B - LES INSUFFISANCES DE CETTE PROTECTION
La protection des droits de l'homme par le Conseil
constitutionnel est plombée par plusieurs insuffisances, au nombre
desquelles la restriction de sa saisine et de son champ de
436 Parmi les fonctions du juge constitutionnel, le
contrôle de la constitutionnalité des lois, est sans aucun doute
le plus en relation avec la protection des droits et libertés
.Malgré les métaphores employées par une partie de la
doctrine française dans les années 80 pour exprimer leurs doutes
sur le degré de protection des droits de l'homme par le Conseil
constitutionnel français, comme contrôle « trompe -
l'oeil » de Danièle LOSCHAK ou encore contrôle laissant
passer le chameau pour « faire la chasse aux moustiques » de
Jean RIVERO (Cf. Véronique CHAMPEIL - DESPLATS, «
Le juge constitutionnel, protecteur des droits des droits et libertés
?», op.cit., p. 17), le Conseil constitutionnel est
compétent pour examiner les recours qui soutiennent qu'une disposition
législative porte atteinte aux droits et libertés fondamentaux
prévus ou non prévus par la Constitution. Le contrôle de
constitutionnalité des lois est ainsi la conséquence des
caractères universels et intangibles des droits de l'homme. Le juge
constitutionnel est en vérité la bouche des droits et
libertés qui lui sont antérieurs, qui s'imposent à lui et
qu'il est tenu de faire respecter. En clair, Il est le « gardien de
valeurs et droits transcendant la Constitution elle-même (Cf.
Dominique ROUSSEAU, Droit du contentieux
constitutionnel, op.cit., p. 512.
437 Voir article 65 de la Constitution du 18 janvier 1996.
438 Denis JOUVE, « Les droits de
l'opposition à la suite de la révision constitutionnelle de 2008
», op.cit., p. 1.
Le pluralisme au Cameroun
compétence (A), d'où une quasi inexistence de
jurisprudence en matière du contentieux des droits de l'Homme et des
libertés (B).
1 - La restriction de la saisine et du champ de
compétence du conseil constitutionnel
Alors que l'on sait que « la vitalité du
travail de la juridiction constitutionnelle est pour beaucoup liée
à la distribution de sa saisine »439, la justice
constitutionnelle440 au Cameroun bénéficie d'un champ
de compétence assez restreint. Pour cause, le Conseil constitutionnel
est une juridiction d'attribution, donc ne pouvant être saisi que pour
des questions limitativement énumérées par la
Constitution441.
D'autre part, Il est admis que la possibilité d'obtenir
le respect d'un droit devant le juge est une condition de son
effectivité voire de son existence442.A quoi bon proclamer un
droit, si l'on ne peut obtenir le respect par une action en justice en cas de
non - respect ou de violation. Cette justiciabilité est
déniée aux individus443et aux groupes -
minorités et peuples autochtones -, entités constitutionnellement
444 protégées. L'on peut comprendre que les groupes ne
puissent pas avoir le droit de saisir cette instance, dans la mesure où
elles demeurent des entités abstraites, et qu'il revient plutôt
à l'Etat de protéger leurs droits. Mais comment comprendre que
l'individu, le citoyen, entité identifiable ne puisse saisir le juge
constitutionnel ni directement, par une requête en violation de ses
droits, ni indirectement en
439 Alain Didier OLINGA, La Constitution de
la République du Cameroun, op.cit., p. 163.
440 On doit une première construction de la justice
constitutionnelle à Charles EISENMANN. La justice constitutionnelle
et la Haute cour constitutionnelle d'Autriche, Paris, LGDJ, 1928
(rééd. Economica et PUAM, 1986), p. 21 et s. Il la définie
comme « cette sorte de justice ou mieux de juridiction qui porte sur les
lois constitutionnelles ». Louis FAVOREU a également mené
d'importantes réflexions sur la question. Pour lui, l'expression justice
constitutionnelle désigne « l'ensemble des institutions et
techniques grâce auxquelles est assurée sans restrictions, la
suprématie de la Constitution » : lire Les cours
constitutionnelles, Paris, PUF, 1986.
441 Il s'agit, tel qu'il ressort de son article 47 de la
constitutionnalité des lois, des traités et accords
internationaux, des règlements intérieurs des chambres du
parlement avant leur application et des conflits d'attributions pouvant
survenir entre les institutions de l'Etat, entre l'Etat et les régions
et entre les régions.
442 Marie - Joëlle REDOR - FICHOT, «L
`indivisibilité des droits de l'homme », op.cit., p.
80.
443 Le constituant de 1996 n'a pas opté pour un
élargissement de la saisine du juge constitutionnel, il a plutôt
confirmé la jurisprudence antérieure à 1996, en
l'occurrence celle du juge administratif, qui ne manquait pas de rappeler que
le contrôle de la constitutionnalité des lois par voie d'exception
n'est pas prévue en droit positif camerounais. En effet dans
l'arrêt Société de Grands Travaux de l'Est, agence de
Yaoundé c. Etat fédéré du Cameroun Oriental de
1970, l'on peut lire cet extrait : «au regard de la
constitutionnalité ou de l'inconstitutionnalité de la
tarification litigieuse, aucun contrôle de la constitutionnalité
des lois par voie d'exception comme en l'espèce n'est prévue en
droit camerounais » (CFJ, recours n° 109/arrêt n° 4
du 28 octobre 1970).
444 Voir préambule et article 57 de la Constitution du 18
janvier 1996
Le pluralisme au Cameroun
soulevant une exception
d'inconstitutionnalité445.Il va de soi qu'une telle
l'exclusion doublée de la restriction du champ de compétence de
cette instance ne peut avoir pour corolaire qu'un timide développement
de sa jurisprudence en matière des droits et des libertés.
2 - Le timide développement de la jurisprudence
constitutionnelle en matière des droits et libertés
La faiblesse de la jurisprudence du Conseil constitutionnel
est à la mesure de la modestie des missions qui lui sont confiées
par la Constitution. Il existe en effet une jurisprudence constitutionnelle
assez abondante en matière électorale. A contrario, celle - ci
est quasiment nulle en matière de constitutionnalité des
lois446 et nulle en ce qui concerne la protection des droits et des
libertés.
Près de 20 ans après son institution et surtout
à un moment où l'accent est mis sur à l'échelle
universelle sur la protection des droits de l'Homme et la valorisation du
rôle du juge constitutionnel dans les démocraties contemporaines,
le Conseil constitutionnel camerounais tarde à s'affirmer sous ce
nouveau jour, si caractéristique de la consolidation de la
démocratie.
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