CHAPITRE I
LA RECONNAISSANCE DE LA DIVERSITE DES COURANTS D'IDEES
ET
D'OPINIONS
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Le pluralisme au Cameroun
S'il est une valeur à consacrer dans une
société qui se veut démocratique, c'est bien le
pluralisme, car « heureuses sont les sociétés qui savent
adapter leur droit aux couleurs [de ce
principe]»87.Suivant la définition donnée
par Le Fédéraliste88, les
sociétés qui reconnaissent ce principe courent moins le risque de
voir s'établir un pouvoir unique justifié par le seul fait qu'il
représente la volonté générale89.La
reconnaissance de la diversité d idées et opinions consiste donc
a laisser le champ libre à leur expression ,qu'ils soient contraires ou
non à ceux défendues par le gouvernement en place et a insister
sur la pluralité des groupes sociaux d'appartenance de
l'individu90 à savoir les syndicats et les Organisations Non
Gouvernementales .Quel chemin emprunte cette reconnaissance au Cameroun et
quels en sont les conséquences sur le processus de
démocratisation ?
Au Cameroun, le développement rapide de la vie
associative intervient suite a la libéralisation politique et
médiatique de 1990 (section I), dont le corollaire fut l'éclosion
d'une démocratie pluraliste (section II).
SECTION I : LA LIBERALISATION POLITIQUE ET
MEDIATIQUE
Le 19 décembre 1990, une série de lois
baptisées code des libertés91
matérialisant la libéralisation associative92 est
promulguée au Cameroun93.Parmi celles - ci figure la loi
n° 90/56 du 19 décembre 1990 sur les partis politiques, qui
consacre la libéralisation
87 Dominique TERRE, « Le
pluralisme et le droit », Arch. Phil. Droit, n ° 49, 2005,
pp .69 - 83 (spéc.p.69). 88Titre d'une série de
quatre-vingt-cinq essais, rassemblés et édités par l'homme
politique américain Alexander HAMILTON, et
publiés en deux volumes en 1788. James MADISON et
John JAY ont participé à la rédaction de
ces essais.
89 James MADISON cité par Guy HERMET
et al, Dictionnaire de la science politique et des institutions
politiques, op.cit., p. 219.
90. Luigi GRAZIANO, « Le
pluralisme. Une analyse conceptuelle et comparative », RFSP,
46ème année, n° 2, 1996. pp. 195-224
(spéc.p.200).
91 Ce « code des libertés »
comprenait également la loi n° 90/052 du 19 décembre 1990
sur la liberté de communication sociale, la loi n° 90/55 du 19
décembre 1990 sur les réunions et manifestations publiques, la
loi n° 053/90 du 19 décembre 1990 relative à la
liberté d'association.
92 La société civile camerounaise
s'est principalement développée et implantée à
partir des années 1990, simultanément au processus de
démocratisation et de libéralisation du pays. Les profondes
mutations sociopolitiques de la fin du XXème siècle
ont été une aubaine pour l'émancipation d'une
société civile jusqu'ici confinée à la satisfaction
des besoins socio-économiques fondamentaux. L'adoption des lois sur les
libertés publiques, le développement des médias et
d'internet, les partenariats avec des associations étrangères et
la prise de conscience d'une population camerounaise jeune et bien
formée, de la nécessité de s'impliquer dans la vie civique
ont ouvert la voie à l'émergence d'associations de défense
et de promotion de droits de l'Homme, d'associations de développement et
de syndicats indépendants.
93 Narcisse MOUELLE KOMBI, La
démocratie dans la réalité camerounaise, op.cit., p.
66.
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Le pluralisme au Cameroun
politique94.Le parti unique95 de fait
instauré en 196696 voit son hégémonie se
terminer par la restauration du multipartisme (paragraphe I), qui, faut - il le
préciser aurait été sans objet s'il ne s'en était
pas suivi une libéralisation médiatique (paragraphe II).
PARAGRAPHE I : LA RESTAURATION DU MULTIPARTISME
Le pluralisme exige le respect et la diffusion de tous les
points de vue, aussi divergents soient- ils. À ce titre, il se base sur
des discussions contradictoires97.Il va de soi que le pluralisme
partisan soit inhérent à la démocratie, car induisant la
mise des partis politiques au centre du jeu démocratique.
L'effectivité du multipartisme au Cameroun, s'illustre aujourd'hui par
la myriade de partis peuplant la sphère politique et la
frénésie avec laquelle ils se créent98.Il
convient néanmoins de s'interroger sur la définition du parti
politique en droit camerounais (A), car le constituant opère
manifestement une différence entre partis politiques et formations
politiques (B).
A - LA NOTION DE PARTI POLITIQUE EN DROIT
CAMEROUNAIS
Du point de vue de sa nature juridique, il ressort que le
parti politique est une association (1), ayant une vocation particulière
: concourir à l'expression du suffrage (2).
94 L'avènement du multipartisme au Cameroun
ne se pas fait sans heurts. Le 19 février 1990, Maître YONDO Black
MANDENGUE et 11 autres Camerounais sont arrêtés, ils
ambitionnaient de créer une coordination dénommée
Comité de Coordination pour le Multipartisme et la
Démocratie. Le 30 mars 1990, la section RDPC du Mfoundi organise
une marche dite « marche contre le multipartisme
précipité » .De même à Bamenda, le 26 mai
1990, une marche de protestation fut réprimée, bilan 6 morts et
plusieurs blessés.
95 Le parti unique (UNC), naît de la fusion
de tous les partis politiques des deux Etats fédérés du
Cameroun. On parle officiellement de « Parti Unifié », or en
réalité il s'agit d'un parti exclusiviste et monopolistique. A
compter de la date de sa création, aucune autre formation politique n'a
été légalisée, toute activité politique
était interdite et réprimée. Cf. Narcisse MOUELLE
KOMBI, La démocratie dans la réalité
camerounaise op.cit, p.64.
96 C'est à la faveur du décret
n° 66 - 445 du 30 août 1966 que nait le Parti unique ou le «
Grand Parti Unifié », L'Union Nationale Camerounaise (UNC) .Voir
Luc SINDJOUN, L'Etat ailleurs, entre noyau dur et case
vide, Paris, Agence Intergouvernementale de la Francophonie/Economica,
« coll. La vie du droit en Afrique » 2002, p. 282. Le parti unique
est instauré alors que la Constitution du 4 mars 1960 en son article 3
prévoyait le multipartisme en disposant que les partis politiques
«se forment et exercent leurs activités librement dans le cadre
fixé par la loi et les règlements».Disposition par ailleurs
reprise par les articles 3 des Constitutions du 1er septembre 1961, du 2 juin
1972 et du 18 janvier 1996.
97 Paula BECKER / Jean -
Aimé RAVELOSON, « Qu'est-ce que la démocratie ?
», op.cit., p.13.
98 En effet en 2010, le nombre de partis politiques
légalisés au Cameroun étaient de 186, en 2013 ce nombre
passe à 272. Voir Joseph OWONA, Droits
constitutionnels et institutions politiques du monde contemporains, Paris,
L'harmattan, 2010, p. 138 - 148 ; voir également Narcisse
MOUELLE KOMBI, La démocratie dans la réalité
camerounaise op.cit.supra, note 35.
Le pluralisme au Cameroun
1 - Le parti politique, une association
Tout parti politique est avant tout une
association99 ou mieux, un rassemblement de
citoyens100.L'association est définie en droit camerounais
comme « une convention par laquelle des personnes mettent en commun
leurs connaissances ou leurs activités dans un but autre que de partager
des bénéfices »101.La
création d'un parti politique est ainsi le résultat de la mise en
oeuvre de la liberté d'association.
Toutefois, l'on remarque à lecture de l'article 5 de la
loi sur la liberté d'association, que les partis politiques à la
différence d'autres associations - associations religieuses en
l'occurrence - obéissent au régime de la
déclaration102, et sont régis par des textes
particuliers. L'alinéa 4 de l'article 5 de la même loi dispose en
effet que « les partis politiques et les syndicats sont régis
par des textes particuliers ».En clair, du fait de la
particularité de leur activité, leur régime juridique est
dérogatoire à celui des associations ordinaires103.
2 - Le parti politique, une association à vocation
particulière
Forme organisée et durable de la participation à
la vie politique, le parti politique est une « catégorie
spéciale d'association »104, dont le but est de
concourir à l'expression du suffrage105 .Il s'agit -
là d'un devoir constitutionnel qui ne peut néanmoins être
effectif que si le parti consent à remplir sa fonction principale et
primaire, à savoir participer au jeu électoral. Le suffrage,
expression du choix de l'électeur à une consultation
électorale106, traduit dans un Etat multipartiste comme le
Cameroun, la liberté d'un citoyen qui pose un acte, guidé par des
convictions propres.
Cette définition du parti politique ne saurait
s'effectuer uniquement par rapport aux associations ordinaires, dans la mesure
où à côté des partis politiques, il existe en
droit
99 Il est symptomatique de remarquer que le texte
de référence, s'agissant des partis politiques en France, fut
longtemps la loi emblématique du 1er juillet 1901 sur les associations,
jusqu'à l'adoption de la loi du 11 mars 1988.Lire à ce propos
Nicaise MEDE, « les partis politiques au Bénin,
essai d'approche fonctionnaliste », African Journal of Political
Science, Volume 9 (2) décembre 2004, pp.1 - 17 (spéc.p.
2).
100 Michel de VILLIERS, Dictionnaire de
droit constitutionnel, op.cit., p. 174
101 Article 2 de la loi n° 90/053 du 19 décembre
1990 portant liberté d'association au Cameroun modifiée et
complétée par la loi n° 99/011 du 20 juillet 1999.
102 Voir alinéa 1er de l'article 5 de la loi
n° 90/053 du19 décembre 1990.
103 Tout le régime des associations ne leur est donc pas
applicable.
104 Joseph OWONA, Droits constitutionnels et
institutions politiques du monde contemporains, op.cit., p. 203.
105Comme le précisent l'article 3 de la Constitution du 18
janvier 1996 et l'article 1er de la loi n° 90/56 du 19
décembre 1990 sur les partis politiques.
106 Michel de VILLIERS, Dictionnaire de
droit constitutionnel, op.cit., p. 230.
Le pluralisme au Cameroun
camerounais un autre type d'association à vocation
politique, désigné par le vocable englobant et quelque peu flou
de « formations politiques »107.
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