PARAGRAPHE II : LA NAISSANCE D'UNE NOUVELLE CONCEPTION
DE
L'EGALITE ET D'UNE « CITOYENNETE A GEOMETRIE VARIABLE
»
De l'application de la règle relative à la prise
en compte de la composition sociologique, naît une conception nouvelle de
l'égalité, à savoir l'égalité par la
différenciation (A) ainsi qu'une sorte de « citoyenneté
à géométrie variable » (B).
340 Pierre BOISARD, « La cohésion
sociale à l'ère de la mondialisation », Droit social,
Librairie technique et économique, 2008, pp.1225 - 1231
(spéc.p.5).
341 Il ne s'agit pas de l'égalité des conditions
ou des revenus, mais plutôt un degré réduit et acceptable
d'inégalité. Cette première condition est donc
définie par le négative.
342 Ces deux conditions se mesurent par l'intensité des
liens sociaux et la force du sentiment d'appartenance.
343 Pierre BOISARD, « La cohésion
sociale à l'ère de la mondialisation »,
op.cit., p.5.
344 Ibid.
345 Narcisse MOUELLE KOMBI, La
démocratie dans la réalité camerounaise,
op.cit., p.253.
346Pour le philologue français et historien
des religions, Joseph Ernest RENAN, père de la conception dite
française de la nation, la nation est une entité spirituelle, une
âme constituée de deux éléments : l'un se situant
dans le passé avec la possession en commun d'un riche legs de souvenirs,
l'autre étant dans le présent avec le consentement mutuel, le
désir de vivre ensemble.
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Le pluralisme au Cameroun
A - LA NAISSANCE DE L'EGALITE PAR LA
DIFFERENCIATION
L'égalité347, traditionnellement
qualifié de « principe gigogne »348, en ce
sens qu'il se décompose en de multiples cas d'application, est le
premier droits de l'Homme, le fondement de tous les autres349.En
droit camerounais, à la conception égalitaire de
l'égalité (1), le constituant adjoint une la conception
équitable de l'égalité (2).
1 - La conception égalitaire de
l'égalité
L'égalité350 devant la loi est le
premier cas d'application du principe d'égalité.
Héritée des doctrines rousseauistes qui ont influencées
les révolutionnaires de 1789, cette conception égalitaire de
l'égalité est consacrée en droit camerounais, dans la
mesure où la Constitution de 1996, déclare que « l'Etat
assure l'égalité de tous les citoyens devant la loi
»351 avant de préciser que tous les hommes sont
égaux en droits et en devoirs352.Cela se manifeste dans le
cadre de l'expression du suffrage ou devant les charges
publiques353.
Il ressort que le principe d'égalité dans son
acception classique garantit que chacun sera traité avec égal
respect et sollicitude par les pouvoirs publics, dans la sphère
publique354. Il suppose ainsi « l'interdiction de tous
privilèges en faveur ou au détriment de certains citoyens
»355.Mais devant le constat selon lequel les
sociétés contemporaines génèrent
347 Dominique ROUSSEAU, Droit du contentieux
constitutionnel, op.cit., p. 441.
348 Jean Jacques ROUSSEAU dira que «
la démocratie est le seul régime politique qui, en principe,
peut vraiment garantir la liberté et l'égalité de
tous». Voir Jean Jacques ROUSSEAU, Du contrat
social, Paris, Editions du Seuil, 1977, p. 268.
349 Georges VEDEL cité par Guy HERMET
et al, Dictionnaire de droit constitutionnel et des institutions
politiques, op.cit., p. 102.
350 Le principe de l'égalité est proclamé
en 1776 par la Déclaration d'Indépendance américaine, puis
par les révolutionnaires français dans la Déclaration des
Droits de l'Homme et du Citoyen de 1789. Celle-ci affirme en son article
premier que « les hommes naissent et demeurent libres et égaux en
droits ». Disposition reprise par la Déclaration Universelle des
Droits de l'Homme du 10 décembre 1948, par l'article 3 de la Charte
Africaine des Droits de l'Homme et des Peuples du 27 juin 1981 et par le
préambule de la Constitution camerounaise de 1996.
351 Voir l'alinéa 2 de l'article premier de la
Constitution du 18 janvier 1996.
352 Voir préambule de la Constitution du 18 janvier
1996.
353 Cette égalité signifie juste que chaque
citoyen doit participer aux charges publiques, mais chacun le fait en
proportion de ses capacités. Voir préambule de la constitution du
18 janvier 1996.
354 James MOUANGUE KOBILA, La protection
des minorités et des peuples autochtones au Cameroun, op.cit., p.
159.
355 Carl SCHMITT, Théorie de la
Constitution, titre original : Verfassusgslehre (Duncker and
Humblot, Berlin, 1989), trad. Olivier BEAUD, PUL, coll. « Léviathan
», 1993, p.393.
Le pluralisme au Cameroun
encore des inégalités, les pouvoirs publics
adoptent de plus en plus des mesures susceptibles de mener a plus
d'égalité356.
2 - La conception équitable de
l'égalité
Le principe de l'égalité ne fait pas obstacle
à ce qu'une loi établisse des règles à
l'égard des catégories de personnes se trouvant dans des
situations différentes357. L'égalité par la loi
ou l'égalité par la différenciation358 est donc
celle qui exige que l'on applique des mesures différentes à des
situations différentes. Elle est ainsi cristallisée par
l'exigence de prise en compte des composantes sociologiques de la
circonscription et par l'exigence d'avoir un autochtone à la tête
de la région. L'accent est mis, comme l'affirme Dominique ROUSSEAU sur
la « conception équitable de l'égalité
»359 , au détriment de la « conception
égalitaire de l'égalité »360.Cet
état de chose est motivé par la volonté de promouvoir la
participation de tous aux affaires publiques.
Ainsi, au nom de la « justice [et de la
cohésion] entre les groupes »361, le
constituant de 1996 et le législateur ont introduit une
égalité basée sur l'attribution de droits
différents aux membres de groupes
différents362.Dès lors, en droit camerounais, la
reconnaissance des droits spécifiques aux groupes « moins forts
» « est désormais l'essence même de la vraie
égalité »363.
Il ne s'agit pas de justifier une règle que l'on
pourrait qualifier de discriminatoire364, même si cela
contribue à s'interroger sur le sens qu'il faut désormais donner
à la citoyenneté.
356 James MOUANGUE KOBILA, La protection
des minorités et des peuples autochtones au Cameroun, op.cit ., p.
108.
357 Cf. C.C. 79 - 107 D.C 12 juillet 1979.
358 Selon l'expression de Jean RIVERO .Voir James
MOUANGUE KOBILA, La protection des minorités et des peuples
autochtones au Cameroun, op.cit., p. 156
359 Dominique ROUSSEAU, Droit du contentieux
constitutionnel, op.cit., p. 447.
360 Ibid.
361Will KYMLICKA, La
citoyenneté multiculturelle, op.cit., p. 75.
362 Même si cela peut être perçu par les
autres groupes, ceux qui ne bénéficient pas de droits
spécifiques,(les « allogènes » au Cameroun) comme une
inégalité.
363 James MOUANGUE KOBILA, La protection
des minorités et des peuples autochtones au Cameroun, op.cit., p.
259.
364 Dominique ROUSSEAU, Droit du contentieux
constitutionnel, op.cit., p. 449.
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