PARAGRAPHE II : UNE NOUVELLE FORME DE DISCRIMINATION ET UNE
CONCEPTION INNOVANTE DE L'UNITE NATIONALE
A la faveur de l'introduction de la règle relative aux
composantes sociologiques, est née une nouvelle forme de discrimination
en droit camerounais : la discrimination positive(A) ; Ainsi qu'une conception
novatrice de l'unité nationale : l'unité dans la
diversité(B).
254 Voir CA/CS jugement n° 33/95 - 96 du 9 mai 1996
ENANDJOUM BWANGO et RDPC c. Etat du Cameroun et CA/CS, jugement n° 59/95 -
96 du 18 juillet 1996, Roger DELORE c. Etat du Cameroun (Commune Rurale de
Baré - Mungo/SDF).
255 Voir arrêt n° 96/A/2003 - 2004 du 9 juin 2004
suscité.
256 Depuis l'introduction de l'exigence de la prise en compte
des composantes sociologiques, l'on assiste à l'introduction de
requêtes tendant à l'annulation des élections pour motif
pris de ce que les listes ayant remportées les élections n'ont
pas respectées cet exigence. Ainsi, dans le jugement n°59/CS -
CA DU 18 juillet 1996, EPALE Roger Delore,le requérant, simple
électeur, n'a pas hésité à solliciter de la chambre
administrative de la cour suprême, l'annulation du résultats des
élections remportées par la liste S.D.F dans la commune rurale de
Baré - Moungo, au motif que la liste composée de 25 conseillers
comportait 24 allogènes et un seul autochtone. De même, dans le
jugement n° 60/CS/CA rendu le même jour, le sieur NGUEYONG
Moussa, tête de liste R.D.P.C dans la commune rurale de Mélong,
sollicite du juge administratif l'annulation des dites élections, car
estime - t - il la liste rivale ne respecte pas la composition sociologique de
la commune.,
257 Alain Didier OLINGA, « Le citoyen dans
le cadre constitutionnel camerounais », op.cit., p.
163.
258 Une analyse simple et logique permet d'affirmer qu'en
droit camerounais, le terme « composantes sociologiques de la
circonscription » renvoie aux différentes ethnies présentes
dans la circonscription.
259 Alain Didier OLINGA, « Le citoyen dans
le cadre constitutionnel camerounais », op.cit.supra,
note 253.
Le pluralisme au Cameroun
A - L'INSTAURATION D'UNE DISCRIMINATION
POSITIVE
En introduisant la protection catégorielle - celle des
minorités et des peuples autochtones - sublimée par la
règle de prise en compte des composantes sociologiques, le constituant
de 1996 marque son rejet de la conception « caricaturale du citoyen
»260 et introduit une nouvelle forme de discrimination.
Ainsi de l'interdiction formelle de la discrimination arbitraire (1), l'on est
passé à la promotion d'une discrimination positive, notion dont
il convient de préciser les contours (2).
1 - L'interdiction de discrimination
arbitraire
Au sens le plus large, l'on pourrait qualifier de
discrimination « toute différence de traitement, qu'elle soit
inscrite dans un texte ou qu'elle résulte du comportement de telle
personne ou de la pratique de telle institution
»261.Après tout, discriminer,
étymologiquement ce n'est rien d'autre que faire une distinction,
établir une différenciation sur la base d'un critère, d'un
« discriminant ».
Au - delà de son sens premier, étymologique, le
terme discrimination est chargé d'une connotation négative :
discriminer, dans le langage courant, ce n'est pas simplement séparer
mais en même temps hiérarchiser, traiter plus mal certains en
privilégiant d'autres262.La discrimination arbitraire est
celle qui ne répond à aucune fin d'intérêt
général, à aucune exigence spéciale du service
public, à aucun intérêt public et qui par conséquent
est injustifiée aux yeux du juge263.Ici, la différence
de traitement est fondée sur un motif illégitime, comme le fait
de refuser à autrui l'accès à un lieu ouvert au public ou
à un emploi en raison de sa
260 Qui consiste selon Dominique TURPIN à transformer
l'individu en « une pure abstraction juridique, sans race, ni origine
».Voir Dominique TURPIN, « La question des
minorités en France », Territoires et libertés,
Mélanges en l'honneur du doyen Yves MADIOT, Bruxelles, Bruylant,
2000, pp. 477 - 509( spéc.p.489) .Voir également James
MOUANGUE KOBILA, « La participation politique des
minorités et des peuples autochtones au Cameroun
»,op.cit., p. 57.
261 Danièle LOSCHAK, « La notion
de discrimination dans le droit français et le droit européen
», in : Miyoko TSUJIMURA / Danièle LOSCHAK
(dir.), Égalité des sexes : la discrimination
positive en question. Une analyse comparative (France, Japon, Union
européenne et Etats-Unis), Société de
législation comparée, 2006, pp. 39-60 (spéc.p. 41).
262 Ibid.
263 Jean RIVERO, cité par James MOUANGUE
KOBILA, La protection des minorités et des peuples
autochtones, op.cit., p. 164.
Le pluralisme au Cameroun
race, sa langue ou de sa religion264.Ce type de
discrimination, au Cameroun tombe sous le coup d'une disposition de droit
positif, notamment constitutionnelle265.
Toutefois, que la Constitution interdise formellement certaines
formes de
discriminations, en l'occurrence celles fondées sur
l'origine, l'ethnie et la croyance, cela n'exclut pas que des distinctions soit
faites. C'est ainsi que l'article 1er de la Déclaration de
1789 autorise des différences de traitement fondées sur
l'utilité commune266. Il en découle qu'en droit
constitutionnel camerounais des différences peuvent être
établis entre les citoyens en fonction de leurs situations, d'où
la discrimination positive267.
2 - La notion de discrimination positive
Toute différence de traitement revêt deux
aspects, l'un négatif et l'autre positif, puisqu'elle s'exerce toujours
au profit d'un groupe et au détriment d'un autre268.Les
griefs de « lèse - majorité et de
lèse-allogènes »269, provoqués par la
protection des minorités et des peuples autochtones résultent de
l'instauration d'une discrimination positive dans le paysage juridique
camerounais. Définie
comme une différenciation juridique de traitement,
ayant pour but de favoriser une catégorie déterminée de
personnes physiques ou morales, afin de compenser une inégalité
de fait
264 Ce type de comportement est d'ailleurs puni par la loi
n° 67/LF/1 du 12 juin 1967 portant code pénal (article 242) punit
d'un emprisonnement d'un mois à deux ans et d'une amende de 5.000
à 500.000 francs. Ce même texte en son article 341 prévoit
un délit d'outrage aux races et aux religions puni d'un emprisonnement
de six jours à six mois et d'une amende de 5.000 à 500.000.Cet
outrage aux races et aux religions consiste en une diffamation, une injure ou
une menace faite soit par des gestes, paroles ou cris proférés
dans des lieux ouverts au public en l'encontre d'une religion ou d'une race,
soit par tout procédé destiné à atteindre le
public.
265 Le préambule de la de la loi constitutionnelle
n° 96/06 du 18 janvier 1996 portant révision de la Constitution du
2 juin 1972 prévoit que : « nul ne peut être
inquiété en raison de ses origines, de ses opinions ou croyances
en matière religieuse, philosophique ou politique sous réserve du
respect de l'ordre public et des bonnes moeurs».
266L'article 1er de la Déclaration des
Droits de l'Homme et du Citoyen de 1789 dispose que : « les hommes
naissent et demeurent libres et égaux en droits. Les distinctions
sociales ne peuvent être fondées que sur l'utilité commune
».
267 La discrimination positive consiste à accorder des
avantages à des groupes de personnes qui sont victimes d'une situation
d'inégalité. Elle vise donc à rétablir
l'égalité de chances.
268 Danièle LOSCHAK, «
Réflexion sur la notion de discrimination positive », Droit social,
1987, p. 778.
269 James MOUANGUE KOBILA, « Le
préambule du texte constitutionnel du 18 janvier 1996 : de l'enseigne
décorative à l'étalage utilitaire » Lex
lata, n° 023 - 024, pp.33 - 38 (spéc.p.33).
Le pluralisme au Cameroun
préexistante270, la discrimination positive
se fonde sur un motif légitime qui est la compensation d'une
inégalité de fait271.
En organisant la protection des groupes minoritaires et des
peuples autochtones, à travers la règle de prise en compte des
composantes sociologiques de la circonscription, le constituant et le
législateur camerounais272 admettent que certains groupes du
fait de leur petit nombre et de leur situation de non dominance pourraient
être écartés du jeu politique. La conception absolutiste de
l'égalité devant la loi dans une société plurale
comme celle camerounaise, de ce point de vue n'est plus adaptée du fait
des inégalités de fait qui existent entre les
ethnies273.C'est pourquoi il faut corriger les défauts de
« l'égalité de chances formelle » en la
remplaçant par « l'égalité équitable des
chances ».La discrimination positive introduite en droit camerounais, qui
par ailleurs renforce l'interdiction de discrimination arbitraire est donc
valide au regard du principe de l'égalité.
Hier reniées parce que considérées comme
de freins au développement et à l'unité nationale, les
différences nomment ethniques et linguistiques sont aujourd'hui promues.
Il en découle une rénovation du concept de l'unité
nationale.
B - LA RENOVATION DU CONCEPT DE L'UNITE NATIONALE
Le concept de l'unité nationale274 est depuis
1960 au coeur de la dynamique constitutionnelle et normative du
Cameroun275.Cette option fondamentale du
270 Danièle LOSCHAK, «
Réflexion sur la notion de discrimination positive », op.cit.,
supra, note 262. Voir également Claude MOMO,
« Quelques aspects du droit électoral rénové
au Cameroun », Annales de la Faculté des sciences Juridiques et
politiques de l'Université de Douala, n° 1, janvier - juin
2006, pp. 139 - 173 (spéc.p. 161).
271 James MOUANGUE KOBILA, La protection des
minorités et des peuples autochtones, op.cit., p.165.
272 En effet c'est d'abord législateur qui introduit la
règle de prise en compte des composantes sociologiques de la
circonscription, notamment dans la loi n° 91 - 020 du 16 décembre
1991 fixant les conditions d'élections des députés
à l'Assemblée Nationale (alinéa 4 article 5), puis dans la
loi n° 92/002 du 14 août 1992 fixant les conditions
d'élection des conseillers municipaux (alinéa 2 article 3). Il
sera suivi par le constituant en 1996 à la faveur de la révision
de la Constitution du 2 juin 1972.
273 James MOUANGUE KOBILA, La protection
des minorités et des peuples autochtones, op.cit.supra
note 268.
274 L'unité nationale est définie par Paul BIYA
comme « le fait pour un camerounais d'être d'abord camerounais avant
d'être Bamiléké, Ewondo, Foulbé, Duala ...
». Paul BIYA cité par Jean NJOYA, Unité
nationale et mutations politiques : essai sur une régulation symbolique
et conservatrice du système politique camerounais, thèse de
Doctorat d'État en science politique, Yaoundé II, 2006, p. 20.
275 Alain Didier OLINGA, La Constitution de
la République du Cameroun, op.cit., p. 295.
Le pluralisme au Cameroun
constitutionnalisme camerounais fut d'abord conçue
comme une sorte d'unité par embrigadement (1) avant de devenir une
unité dans la diversité (2).
1 - L'unité par embrigadement
Loin d'être un slogan politique creux mais plutôt
un principe constitutionnel276, l'unité nationale fut d'abord
conçue comme une unité par embrigadement, c'est-à-dire une
« unité de sentiments patriotiques obtenu par le biais de la
répression des différences»277. En effet,
peu après l'indépendance, un monolithisme tant politique que
syndical va s'installer au Cameroun. Suite à l'ordonnance du 12 mars
1962 réprimant la subversion, un syndicat unique, l'Union Nationale des
Travailleurs du Cameroun (UNTC) est créé278.Peu
après, à la faveur du décret n°66 - 455 du 30
août 1966, l'Union Nationale Camerounaise (UNC), parti unique encore
appelé le « Grand Parti Unifié » voit le jour. Celui-ci
est considéré comme l'instrument au service de l'unité
nationale279, le « vaccin » contre tribalisme que pourrait
engendrer le multipartisme280.
De même certaines associations religieuses qui
n'oeuvraient pas pour l'unité nationale, furent dissoutes. Ce fut le cas
de l'association des « Témoins de Jéhovah » qui
demandait à ses fidèles de s'abstenir d'aller voter, de saluer le
drapeau ou de chanter l'hymne national. Fondée sur la répression,
cette conception de l'unité nationale sera abandonné à la
faveur de la Constitution 18 janvier 1996.
2 - La naissance de l'unité dans la
diversité
Théorisée par Philippe RAYNAULD à propos
d'une étude sur la culture américaine, l'« unité
dans la diversité »281, concept similaire à
celui de l'«unité composée »282 est
fondée sur la tolérance pour les modèles culturels
différents. Chaque groupe doit participer à la construction de
l'identité nationale en tant que groupe. C'est une unité faite de
pluralité, en ce
276 Ibid.
277 Jean Pierre FOGUI, cité par Luc
SINDJOUN, L'Etat ailleurs, op.cit., p. 286.
278 Luc SINDJOUN, L'Etat ailleurs, op.cit.,
p. 282.
279 Ibid., p. 286.
280 Manassé ABOYA ENDONG, « Parti
administratif, transitions démocratiques et patrimonialisme en Afrique
noire francophone », op.cit.supra, note 52.
281 Philippe RAYNAULD, «
Multiculturalisme et démocratie », Le débat,
n° 97, 1997, pp. 152 - 157 (spéc.p. 154).
282 Stéphane PIERRE - CAPS, « Le
Conseil Constitutionnel et la question du demos », Renouveau du droit
constitutionnel, Mélanges en l'honneur de Louis FAVOREU, Paris,
Dalloz, pp. 387 - 397 (spéc.p.390).
Le pluralisme au Cameroun
sens qu'elle prend en compte les différences ethniques,
linguistiques, religieuses et idéologiques.
La Constitution camerounaise du 18 janvier 1996 s'ouvre en
effet par la reconnaissance de la diversité du substrat d'une
société camerounaise fière de « sa
diversité »283. En plus elle se veut « une
République une et indivisible »284.Ces
énoncés solennisent la « variante camerounaise de
l'unité dans la diversité»285 .La rupture
est ainsi opérée avec les options du constitutionnalisme
français reçues par les premières
constitutions286, pour rejoindre l'idée de Pierre -
François GONIDEC, lorsqu'il soulignait que fait constitutionnel doit
transcender son essence juridique pour mieux coller à la
réalité sociale287.
53
283 Voir préambule de la constitution du 18 janvier
1996.
284 Voir al.2 de l'article premier de la Constitution du
18 janvier 1996.
285 Alain Didier OLINGA, La Constitution de
la République du Cameroun, op.cit., p. 296.
286 Alain Didier OLINGA rappelle que les Constitutions
antérieures à celle de 2 juin 1972 (Constitutions de 1960 et de
1961) étaient plus attachées aux principes de
l'indivisibilité et de l'unité de la République. Cet
attachement aux conceptions constitutionnelles de la France qui rappelle «
le mythe français de l'homogénéité du peuple »
ne correspondait pas au « prêt - à - porter constitutionnel
» camerounais. Voir Alain Didier OLINGA, La
Constitution de la République du Cameroun, op.cit., pp. 296 -
299.
287 Pierre - François GONIDEC, «
A quoi servent les Constitutions africaines ? Réflexions sur le
constitutionnalisme africain », RJPIC, n° 4, 1988, pp. 844 -
866 (spéc.p. 887).
Le pluralisme au Cameroun
CONCLUSION DE LA PREMIERE PARTIE
Comme le soulignait Alexis de TOCQUEVILLE, si les Etats-Unis
ont pu échapper au piège du despotisme, c'est parce qu'ils ont
accordé un grand intérêt au principe du pluralisme. A sa
suite, l'on peut affirmer que si le Cameroun a pu rejeter le «
présidentialisme autocratique » c'est également parce qu'il
a reconnu ce principe. L'émergence d'une démocratie pluraliste a
ainsi pour socle la réception des deux postulats majeurs du principe du
pluralisme à savoir la reconnaissance de la diversité politique
et la reconnaissance de la diversité sociologique. Solennisée par
la très controversée règle de la prise en compte des
composantes sociologiques dans la cadre des élections au scrutin de
liste288.Tout compte fait, le processus de démocratisation
enclenché au Cameroun depuis 1990 est entré dans une nouvelle
phase à la faveur de l'édiction de la Constitution du 18 janvier
1996.
54
288 En effet la doctrine camerounaise ne s'accorde pas sur
l'opportunité de l'introduction d'une telle exigence. Pour certains
à l'instar de Léopold DONFACK SOKENG et
de Maurice KAMTO, il s'agit d'une mesure qui n'a d'autre
conséquence que de remettre en cause la citoyenneté,
l'universalité du suffrage, bref de dénaturer la
démocratie. Pour d'autres, en l'occurrence James MOUANGUE
KOBILA, Luc SINDJOUN et Alain - Didier OLINGA, une
telle exigence est nécessaire dans la mesure où la construction
de la démocratie dans une société plurale comme celle
camerounaise doit s'appuyer sur la recherche d'un compromis entre les
différents segments de la société. Il s'agit pour ces
derniers d'une mesure louable visant à éviter la «
tyrannie » d'un groupe du seul fait de son nombre. Lire à
ce propos Léopold DONFACK SOKENG, « Existe - t -
il une identité démocratique camerounaise : la
spécificité camerounaise à l'épreuve de
l'universalisme des droits fondamentaux », op.cit., pp. 34 - 44 ;
James MOUANGUE KOBILA, La protection des minorités
et des peuples autochtones au Cameroun, op.cit., pp. 124 - 145 ;
Luc SINDJOUN, « La démocratie est - elle soluble
dans le pluralisme culturel ?, op.cit., p. 22 ; Alain Didier
OLINGA, « La protection des minorités et des peuples
autochtones en droit public camerounais, RADIC, 1998, pp. 171 -
191.
Le pluralisme au Cameroun
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