SECTION II : LES INCIDENCES DE L'AFFIRMATION D'UN DROIT
A LA
DIFFERENCE AU CAMEROUN
De manière corrélative, l'affirmation, d'un
droit a la différence aboutie à une application novatrice mais
ambigüe du principe de l'équilibre régional (Paragraphe I)
et à la naissance d'une nouvelle forme de discrimination doublée
d'une conception nouvelle de l'unité nationale (paragraphe II).
PARAGRAPHE I : L'APPLICATION NOVATRICE MAIS AMBIGUE DU
PRINCIPE DE L'EQULIBRE REGIONAL
Même si la notion d'équilibre237est
difficilement applicable à un système politique238, le
principe de l'équilibre régional au Cameroun vise à
assurer une meilleure représentativité des groupes ethniques.
Devant à l'origine, favoriser l'accès des populations venant des
régions accusant un certain retard dans l'éducation, à
certaines grandes écoles, ouvrant l'accès aux emplois publics, il
est aujourd'hui, étendu à plusieurs domaines (A).C'est ce
dynamisme, toutefois porteur d'incertitudes qui a valu à ce principe le
qualificatif de source de déséquilibre (B).
A - L'EXTENSION DU CHAMP D'APPLICATION DU PRINCIPE DE
L'EQUILIBRE REGIONAL
L'équilibre régional est la solution
envisagée depuis l'indépendance pour pondérer les
disproportions numériques de représentation dans les grands corps
de l'État au Cameroun. Aujourd'hui applicable à plusieurs
contextes : grandes écoles, structures de formations, recrutement dans
la fonction publique239, ce principe est presque aujourd'hui devenu
« un droit acquis pour certains du fait de leur origine
géographique »240, en vertu notamment de la
règle de prise en compte des composantes sociologiques241. Il
favorise ainsi la protection du
237 L'équilibre est entendue comme « l'état
résultant de l'action des forces opposés qui s'annulent ou se
compensent », voir Luc SINDJOUN, L'Etat ailleurs,
entre noyau dur et case vide, op.cit., p. 312.
238 Ibid.
239 Alain Didier OLINGA, « Le citoyen
dans le cadre constitutionnel camerounais », in : Alain
ONDOUA (dir.), La Constitution camerounaise : bilan et
perspectives, Yaoundé, Afrédit, 2007, pp. 155 - 166
(spéc.p.162).
240 Ibid.
241 Cette règle de prise en compte de la composante
sociologique appliqué au Cameroun, correspond à ce que l'on
dénomme « proportionnelle ethnique » en Italie (province de
Balzano).Elle vise à garantir la participation des différents
groupes ethniques de la circonscription électorale au processus
démocratique. Voir José WOEHRLING, « Les
trois dimensions de la protection des minorités en droit constitutionnel
comparé »,
Le pluralisme au Cameroun
droit de participation des minorités et des peuples
autochtones (1) tout en demeurant une sorte de table de la loi en
matière de recrutement dans la fonction publique (2).
1 - L'équilibre régional, un outil de
protection du droit de participation politique des minorités et des
peuples autochtones
Prenant sa source dans l'ordonnance n°59/70 du 27
novembre 1959 portant statut général des fonctionnaires, qui
proposait déjà un système d'admission des originaires des
régions insuffisamment scolarisés aux emplois publics, le
principe de l'équilibre régional, élaboré pour
faire face aux complexités d'une société plurale, n'avait
pas vocation à rester figé. Il est donc normal qu'il soit
envisagé aujourd'hui comme un outil de protection du droit de
participation politique des groupes ethniques minoritaires.
La participation politique242 de ces groupes est
favorisée par l'exigence de prise en compte des composantes
sociologiques dans le cadre des élections au scrutin de
liste243.En plus, l'Etat est chargé de veiller « au
développement harmonieux des collectivités territoriales
décentralisées sur la base [...]de l'équilibre
interrégional »244 .C'est ainsi que ce principe,
connu aux Etats - Unis sous le nom de « programmes de
répartition régionale»245 est
constitutionnalisé et appliqué au Cameroun dans le cadre de la
décentralisation régionale. Cette extension ne l'a pas toutefois
éloigné de son champ d'application d'antan : la fonction
publique.
Rapport général présenté aux
Journées mexicaines de l'Association Henri Capitant à Mexico et
Oaxaca du 18 au 25 mai 2002, p. 111.
242 La participation politique est définie par Philippe
BRAUD comme « l'ensemble des activités individuelles ou
collectives, susceptibles de donner aux gouvernés une influence sur le
fonctionnement du système politique ». Voir Alain Didier
OLINGA / Patrice BIGOMBE LOGO, « La
participation politique locale et communautaire dans la dynamique de la mise en
oeuvre de la Constitution du 18 janvier 1996 », in :
Alain ONDOUA (dir.), La Constitution camerounaise : bilan et
perspectives, op.cit., pp.187 - 212 (spéc.p.187).
243 Voir alinéa 3 article 70 de la loi n° 2006/009
du 29 décembre 2006 modifiant et complétant la loi n° 91 -
20 du 16 décembre 1991 fixant les conditions d'élections des
députés à l'Assemblée Nationale ; alinéa 2
article 18 de la loi n° 92/002 du 14 août 1992 fixant les conditions
d'élection des conseillers municipaux telle que modifiée et
complétée par la loi n° 2006/10 du 29 décembre 2006 ;
loi n° 2006/005 du 14 juillet 2006 fixant les condition d'élection
des sénateurs ; alinéa 3 de l'article 7 et alinéa 2 de
l'article 36 de la loi n° 2004/19 du 22 juillet 2004 fixant les
règles applicables aux régions.
244 Voir alinéa 4 de l'article 55 de la loi n°
96/06 du 18 janvier 1996 portant révision de la Constitution du 2 juin
1972.
245 James MOUANGUE KOBILA, La protection
des minorités et des peuples autochtones au Cameroun, op.cit.,
p.115.
Le pluralisme au Cameroun
2 - L'équilibre régional, une table de la
loi en matière de recrutement dans la fonction
publique
Il y a deux principes qui guident le recrutement au Cameroun,
celui de la capacité personnelle du candidat et celui de la
sécurisation d'une distribution géographique
équilibrée246.L'équilibre régional au
Cameroun « survit au prince du moment et au changement des
règles du jeu politique »247.Le système de
quotas248 dans les recrutements à la fonction publique et
dans les concours d'entrée dans les grandes écoles,
pérennisé par le décret n° 82/407 du 7 septembre
1982, demeure la matérialisation principale de ce principe en droit
positif camerounais.
La vision pragmatique de légalité citoyenne
à laquelle il se rattache249, se trouve néanmoins
biaisée dans la mesure où certains groupes ethniques, au nom
dudit principe, n'hésitent pas à exiger une plus grande
représentativité de leurs ressortissants au sein d'institutions
établis dans leur région. Ce fut le cas en décembre 2008,
lorsque les élites des trois régions septentrionales (Grand Nord)
ont exigé qu'un quota de 60% des admis de la nouvelle Ecole Normale
Supérieure de Maroua soit réservé aux originaires de ce
complexe ethnoculturel. Alors, simple effet pervers ou complète
dénaturation du principe?
|