DIFFERENCE
Dans la mesure où les Etats multiethniques sont aussi
multilingues - tout au moins sur le plan des langues nationales -, la
reconnaissance de la diversité ethnique s'accompagne de la
reconnaissance de celle linguistique. C'est pourquoi le constituant camerounais
s'attèle à faire respecter les identités ethniques (A) et
linguistiques (B).
A - LE RESPECT DES IDENTITES ETHNIQUES
« L'Africain n'est jamais seul, il appartient
à un lignage, à un village ou à une caste
»196 .Les individus ne sauraient dans une
société plurale comme celle camerounaise devenir de «
pures abstractions juridiques »197, sans attaches
ethniques pour arborer l'étiquette de citoyen. Cette vision de la
citoyenneté198 a été rejetée par le
constituant de 1996, qui même s'il ne donne aucun contenu concret
à la notion d'ethnie (1), organise néanmoins leur protection
(2).
1 - La notion d'ethnie en droit camerounais
La Constitution camerounaise n'emploi pas directement le terme
« ethnie » mais plutôt celui de « race
»199, terme pouvant renvoyer à l'ethnie
200.Si l'on admet que la notion
195 Hédi DHIFFALLAH et al,
Histoire des idées politiques : le pouvoir, sa représentation
et ses dérives, tome 2, Armand Colin, 2004, p. 153.
196 Saidou NOUROU TALL, « La charte
africaine des droits de l'homme et des peuples », in :
Henri PALLARD / Stamatios TZITZIS (dir.),
Minorités, culture et droits fondamentaux, op.cit., pp.15 - 23
(spéc.p. 16).
197 Dominique TURPIN, « La question des
minorités en France », Territoires et libertés,
Mélanges en l'honneur du doyen Yves MADIOT, Bruxelles, Bruylant,
2000, pp. 477 - 509( spéc.p.489).Voir également James
MOUANGUE KOBILA, La protection des minorités et des peuples
autochtones au Cameroun, op.cit., p. 148.
198 Elle est notamment critiquée par certains auteurs
comme René OTAYEK et Will KYMLICKA
dans la mesure où elle ne correspond pas aux
sociétés africaines, qui sont par essence multiethniques et
multilingues.
199 Voir 3ème considérant du
préambule de la loi n° 96/06 du 18 janvier 1996 portant
révision de la Constitution du 2 juin 1972.
200 Jean - Loup AMSELLE/ Elikia MBOKOLO
(dir.), Au coeur de l'ethnie, Paris, la découverte,
1985, p. 14. Voir également Guy HERMET et al,
Dictionnaire de science politique et des instititutions politiques,
op.cit., p. 107.
Le pluralisme au Cameroun
d'ethnie rejoint celle de minorité
culturelle201, la formule laudatrice du frontispice de la
Constitution du 18 janvier 1996 traduisant la fierté du Cameroun pour sa
diversité culturelle202, révèle aisément
la place qu'occupe désormais l'ethnie au Cameroun.
Généralement définie comme « une
catégorie socio - culturelle caractérisée par une
communauté de manière d'être, de faire et de sentir
»203, l'ethnie peut, notamment au Cameroun renvoyer
à un simple groupe ethnoculturel - mbo, banen, bassa duala, fulani,
bakwéri...- ou à un complexe ethnoculturel, comme le grand
groupe Sawa, qui regroupe les peuples duala, bassa, mbo,bakoko,
bakwéri etc.
Soulignons néanmoins que tel qu'il ressort de la
décision de la Chambre administrative de la Cour suprême du 12
juin 2007 relative à l'affaire NGOH AJONG DOBGINA v. State of
Cameroon (Minatd)204, le droit camerounais
protège l'ethnie, simple groupe et complexe ethnoculturel. Cette
protection s'effectue notamment par l'obligation de représentation des
ethnies au sein des instances comme la région et le sénat.
2 - Les instances d'expression des identités
ethniques : la région et le sénat
L'obligation d'avoir un autochtone à la tête de
la région205 signifie clairement que ce dernier doit
appartenir à une ethnie autochtone de la région, vu qu'aucune
région au Cameroun n'est constituée que d'un seul groupe
ethnique. Outre, le Conseil régional doit refléter la composition
sociologique de la région. Bien que cette notion de composante
201Ibid.
202 L'on peut en effet lire au début de la loi n°
96/06 du 18 janvier 1996 portant révision de la Constitution du 2 juin
1972, la formule suivante « Le Peuple camerounais, fier de sa
diversité linguistique et culturelle, élément de sa
personnalité nationale qu'il contribue à enrichir, mais
profondément conscient de la nécessité impérieuse
de parfaire son unité, proclame solennellement qu'il constitue une seule
et même nation, engagée dans le même destin et affirme sa
volonté inébranlable de construire la patrie camerounaise sur la
base de l'idéal de fraternité, de justice et de progrès
».
203 Jean - Loup AMSELLE / Elikia MBOKOLO (dir.),
Au coeur de l'ethnie, op.cit ., p. 17.
204 Voir Supreme Court of Cameroon. Administrative Bench,
judgment n° 026/06 - 07/CE du 12 juin 2007.Par cette décision,
le juge disqualifiait la liste du SDF pour l'élection municipale du 22
juillet 2007 dans la circonscription de BALI, au motif que parmi les 35
candidats figurant sur la liste de ce parti, il n' y avait aucun
Bamiléké (Bawock).Voir James MOUANGUE KOBILA,
« La participation politique des minorités et des peuples
autochtones », RFDC, n°75, juillet 2007, pp. 629 - 664
(spéc.pp. 644 - 667).
205 Voir alinéa 3 de l'article 57 du n° 96/06 du
18 janvier 1996 portant révision de la Constitution du 2 juin 1972.
Le pluralisme au Cameroun
sociologique extenso sensu renvoie en plus de
l'ethnie à d'autres catégories sociales à savoir les
femmes, jeunes, handicapés...206, stricto sensu elle
renvoie à l'ethnie.
Concernant le sénat, l'on observe qu'au nom du respect
de la diversité sociologique, il a été institué un
« bicamérisme sociologique »207, qui
viserait à laisser s'exprimer la diversité ethnique.
L'institution de cette « chambre des régions, des chefferies
traditionnelles et des grandes catégories sociales et culturelles de la
nation »208, est le corollaire ou plutôt la garantie
de la décentralisation régionale209.Même si
à chaque ethnie correspond au moins une langue, la protection de
l'expression différentielle sur le plan linguistique s'inscrit dans un
tout autre schéma.
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