10 CHAPITRE III : INTERPRETATION ET
DISCUSSION
Dans les développements précédents,
l'attention était portée sur la présentation descriptive
des données. Ceci requérait de les ordonner, les classer et les
regrouper par catégories pour en faciliter l'interprétation
subséquente. La raison de cette démarche est que,
« Conseiller d'orientation et adaptation des adolescents
des familles instables en milieu scolaire : étude
menée au Lycée Bilingue de Bertoua»,est
une étude fondamentalement compréhensive ; elle repose sur
un devis qualitatif. Et donc, le questionnement posé, les objectifs
à atteindre et les hypothèses émises recommandent une
attention particulière. De ce fait, il s'agit présentement de
procéder de manière à comprendre le
phénomène mis en relief. Pour cela, il faut rendre visible,
intelligible et compréhensible la question d'adaptation scolaire des
adolescents des familles divorcées.
10.1 INTERPRETATION
L'interprétation est une action évolutive d'un
exégète, consistant à expliquer ce qui pose de gêne
dans l'entendement ; ou alors à développer ce qui ne posant
pas de gêne, mais n'est pas trop clair. En fait, c'est l'action qui
souhaite rendre plus compréhensible un fait en évoquant des
théorèmes explicatifs et éprouvés. En d'autres
mots, lorsqu'on interprète, on est amené à donner du sens
à quelque chose d'une manière démonstrative. Cela implique
le caractère glossateur du chercheur.
Il faudra partir des hypothèses formulées afin
de vérifier si elles corroborent avec les théories retenues. Il y
a lieu de rappeler que, la théorie retenue dans cette recherche est la
théorie de l'étayage de Bruner (1983) ; mais elle a
été accompagnée par deux autres qui permettent de
comprendre davantage les situations des adolescents objets de l'étude.
Il s'agit de l'approche écologique et de la théorie de
l'attachement. Alors, opérationnalisée, il a été
retenu deux fonctions de l'étayage à savoir :
l'enrôlement etle maintien de l'orientation. Ce qui a
permis de ressortir deux hypothèses spécifiques. C'est sur ces
hypothèses notamment que l'interprétation sera basée aux
fins de vérifications des théories.
10.1.1 Interprétation à partir de la
première hypothèse spécifique
La première hypothèse spécifiques retenue
est formulée ainsi : (HR1) :
L'enrôlement par le Conseiller d'orientation permet l'adaptation
scolaire des adolescents des familles instables pour leur insertion
socioprofessionnelle.
Bruner (1983) voulant exposer des justificatifs au soutien
temporaire de l'activité de « l'enfant » par
« l'adulte », reconnait à travers l'enrôlement
qu'il faut susciter l'adhésion de l'enfant aux exigences de la
tâche. Les adolescents sont des êtres fragiles ; les prendre
avec tendresse est la meilleure chose qui soit.
L'enrôlement est l'une des tâches essentielles du
tuteur qui assure la place de la figure d'attache. Cette tâche consiste
à engager l'intérêt et l'adhésion du sujet maintenu
par des troubles de tout genre ; troubles l'empêchant de pouvoir
s'épanouir. Il faut donc gagner la confiance du sujet en l'amenant
à s'ouvrir. L'objectif étant de l'extérioriser pour mieux
l'aider. Elle n'est pas aisée, parce qu'elle demande plus de tact. En
milieu scolaire, le Conseiller d'orientation doit offrir nécessairement
une situation de départ accrocheuse et stimulante à l'adolescent
en difficultés. C'est la raison pour laquelle, trouver un espace propice
pour les entretiens est très important. Le sujet veut se sentir en
sécurité ; de laquelle sécurité, il pourra
aisément parler. Ceci traduit en filigrane, le droit de réserve,
et le secret. On peut observer les effets de l'enrôlement dans la
situation de cas de :
Ø sujet 1
Le fait pour « Ena » de baisser
la tête au début de nos entretiens, pouvait se justifier par le
fait qu'elle avait du mal à s'ouvrir à nous ; et à
nous faire confiance. Mais par la suite, et à travers l'encadrement
continuel, elle le faisait par respect. Il fallait l'amener à parler.
Suite à cet exercice, elle coulait des larmes. Ces larmes peuvent
être appréhendées d'une manière duale.
Premièrement, elles témoignaient des souvenirs qu'elle se
remémorait. Secondement, elle les coulait lorsqu'elle donnait certaines
réponses qui lui rappelaient des mots durs que lui avançait sa
tante chaque fois à la maison.
L'entretien clinique a révélé que
« Ena » n'a pas un emploi de temps
personnel pour étudier; ce qui induit une planification anormale de
ses études ; elle a tendance à se décourager
rapidement ce qui explique sa démotivation.En classe, et d'après
son professeur et sa camarade de banc, elle « est
timide ». Sa timidité en classe fait mention de ce
qu'elle craint les enseignants d'une part; et d'autre part cette
timidité peut renvoyer au fait qu'elle devient petitement une personne
renfermée. C'est pourquoi, elle parlait difficilement avec sa camarade
de banc.Elle considère les enseignants comme des bourreaux. En outre, sa
résistance à demander des explications au professeur
résulte de la peur pour elle d'être condamnée. En
réalité, un jeu cognitif rapide se produit en elle : soit,
elle ignore que tout le monde peut se tromper ; soit alors, elle sait que
tout le monde peut se tromper, sauf elle.
Au total, la jeune fille fait face à des situations
suivantes : les problèmes de famille, les difficultés
d'apprentissage et les problèmes de discipline à l'école.
En prenant en compte les éléments de l'anamnèse, elle
subit un double traumatisme. Premièrement, elle est victime de la
situation de sa région d'origine (elle est une déplacée
interne) ; secondement elle subit en aval les brusqueries de la part de la
tante qui a décidé volontairement de l'aider en amont.
Ø sujet 2
Les données recueillies révèlent que,
« Oumar » a du mal à s'adapter à la
nouvelle situation familiale dans laquelle il se trouve. Bowlby explique cette
attitude (in « Attachment »). L'auteur envisage
cela comme un équilibre entre les comportements qui permettent
d'explorer le milieu de vie du sujet. Le fait est que, le manque de tendresse
et d'affection de la part de sa mère ont un lien étroit avec son
incapacité à s'adapter, non pas seulement à la maison mais
aussi et conséquemment à l'école.
Le fait pour « Oumar »
d'être le seul enfant de la maison à poursuivre ses études
témoigne de ce qu'il aime les études malgré que la
situation dans laquelle il vit soit abjecte. Le fait de se battre seul pour
subvenir aux besoins vitaux est cause de découragement. Cet état
de fait le démotive, et crée en lui de la procrastination.
Ø sujet 3
L'absence de son père à la maison s'explique et
peut se comprendre parce que celui-ci a un travail instable, et le rend de ce
fait instable à la maison. Mais, cette situation a une autre
signification pour le vécu de « Yonta ». Il
a le sentiment d'être rejeté et abandonné par son papa. En
effet, il l'est justement parce que sa position dans la maison permet
d'affermir l'idée qu'il est un enfant entièrement à
part.
Les interminables travaux ménagers qu'il subit, les
fessées continuelles qu'il subit entrainent dans son état
émotionnel un trouble psychique. Certes, même dans une famille
normalement composée, un enfant peut être fouetté à
cause de ses égarements. En effet, le fouet peut s'avérer
déterminant dans l'éducation d'un enfant dans certains cas;
surtout quand l'objectif est de le recadrer. Mais, dans la situation de
« Yonta », le fouet est caractériel, car
est susceptible de générer en lui des tourments qui troubleront
son comportement, et engendreront un caractère favorisant une difficile
adaptation à son milieu. Le fait est qu'il se fait fouetter à
tort et à travers. Cette intervention malhabile du fouet, et les travaux
persistants déchaînent une planification anormale de son temps
qu'il gère d'ailleurs déjà mal. Son retard en classe
résulte de ces multiples contraintes qu'il subit le matin. Ce qui
explique sa fatigue en classe. Mais avant de s'être installé en
classe, il subit des punitions de la part du surveillant général
dû à des retards. Ses absences répétées les
jours de rattrapage découlent des occupations qui lui sont
imposées.
L'interprétation de toutes ces données
rejoignent sans doute les travaux de Lokpo (2002) sur les liens qui peuvent
exister entre les conditions socio-économiques des élèves
vivant avec un tuteur, et leurs rendements scolaires. Pour l'auteur, les
travaux domestiques et l'apprentissage scolaires n'influencent pas
nécessairement les rendements scolaires des apprenants. Le fait
d'effectuer quelques tâches ménagères le matin avant
d'aller à l'école n'a rien d'abject. Par contre, chez certains
élèves, on note la constance des difficultés d'adaptation
dû au fait qu'ils ne sachent pas joindre les deux réalités.
La raison en est que, ces élèves n'effectuent pas ces
tâches ménagères en toute quiétude. Ils le font sous
contrainte ; car ils sont butés à leurs conditions de
défavorisés. Et le seul sentiment pour un adolescent d'être
dans une position de défavorisé au milieu de plusieurs autres
adolescents comme lui, est source d'errements conduisant à une
asthénie psychologique et aussi physiologique.
Au regard de ce qui précède, l'enrôlement
comme rôle de l'étayage permet au Conseiller d'orientation
d'engager l'intérêt de l'adolescent en difficulté.
L'objectif ici étant de relever le défi qui consiste à
amener le sujet à s'ouvrir afin de trouver ensemble des voies de
solutions. Il faut que, le Conseiller d'orientation sache faire preuve de bonne
figure d'attache. Qu'en est-il de la seconde hypothèse ?
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