B- Une compétence jurisprudentielle
contestée
La cour constitutionnelle gabonaise s'est attribuée le
contentieux de la totalité des actes administratifs
réglementaires en république gabonaise. Ce qui inclut de facto
les actes des collectivités locales, peu importe leur nature
administrative ou financière.
Cette confiscation s'est faite à travers deux
décisions fondamentales : la décision n°16/CC du 15
septembre 1994 sur la cour administrative109 et la décision
n°144/CC du 28 octobre 2002 sur le Conseil d'Etat110. Ces deux
décisions, qui ne sont pas les seules en la
matière111, consacrent explicitement la compétence
exclusive de la cour constitutionnelle en matière de «
contrôle de la régularité juridique des actes
réglementaires ».
Par ailleurs, la haute juridiction exerce un contrôle
indirect des finances locales chaque fois qu'elle contrôle une loi
organique relative à la décentralisation (Cf. décision
n°009/96/CC du 3 mai 1996 sur la loi organique relative à la
décentralisation).
Il en est de même, lors du contrôle de la loi de
finances de l'année prévoyant les ressources et les charges de
l'Etat, dans la mesure où c'est dans cette loi que sont prévues
les différentes subventions que l'Etat alloue aux Collectivités
locales sur le fondement du principe constitutionnel de leur libre
administration, voire même les différents impôts locaux (Cf.
loi de finances rectificative de 2009, en son article 15).
En outre, le juge constitutionnel gabonais a eu à
intervenir à plusieurs reprises, de manière indirecte mais
certaine et sur saisine des citoyens, pour réaffirmer et renforcer les
grands principes budgétaires et comptables de l'Etat, qui fondent
également le contrôle des finances locales (Cf. décision
n°114/CC du 28 octobre 2002).
109 Il en ressort ceci : « Considérant qu'aux
termes de l'article 84-1 de la constitution, la cour constitutionnelle statue
obligatoirement sur la constitutionnalité (...) des actes
réglementaires censés porter atteinte aux droits fondamentaux de
la personne humaine et aux libertés publiques ; qu'il en résulte
que le contrôle de la régularité juridique des actes
budgétaires relève de la compétence de la haute instance
».
110 Il en ressort ce qui suit : « ...à la
différence de l'article 61 de la constitution française qui
limite l'intervention de la juridiction constitutionnelle, en matière de
contrôle de constitutionnalité, aux seules lois organiques et
ordinaires ainsi qu'aux règlements des assemblées, le constituant
gabonais a confié la compétence de la régularité
juridique des actes réglementaires à la seule cour
constitutionnelle ».
111 En effet, en de nombreuse occasions, la cour
constitutionnelle a relevé son incompétence en matière de
contrôle des actes administratifs individuels, incluant donc les actes
financiers locaux individuels (Cf. Décision n°10/CC du 10 juin
1992, NDOUTOUME MISSO : recours d'un chef de canton contre une décision
de révocation), ou, au contraire, affirmé implicitement ou
explicitement sa compétence en matière des actes administratifs
à caractère réglementaires (Cf. Décision
n°008/CC du 17 avril 2001, Comptoir gabonais du pneumatique : recours pour
excès de pouvoir aux fin d'annulation d'un arrêté du
Ministre des transports relatif à la production des plaques
d'immatriculation des véhicules automobiles).
Mémoire de Master 2, présenté par
Djéson Faustin AKOUMA MOIAHIDJI Page 57
Thème : « Le contrôle de l'Etat sur les actes
budgétaires des Collectivités locales au Gabon »
Elle a non seulement reconnu l'existence des budgets autonomes
et fait la distinction entre autonomie financières et autonomie de
gestion financières (Cf. décision n°2/CC du 17 mars 1999),
mais aussi précisé que l'autonomie
financières112 constitue une exception au principe
d'unité que seul le constituant peut déroger et non le
législateur113 (Cf. décision n°1/CC du 28
février 2002).
Le juge administratif, influencé sans doute, n'a fait
qu'entériner par la suite cette position jurisprudentielle, notamment
dans l'affaire Comptoir Gabonais du Pneumatique (COGAPNEU).
Dans cette affaire, la cour administrative a estimé que
« cons..., s'agissant de la compétence de la cour
administrative à connaitre du recours pour excès de pouvoir
formé contre cette décision dont le caractère
réglementaire est acquis, qu'il résulte des motifs essentiels au
dispositif de la décision n°16/CC du 15 septembre 1994 de la cour
constitutionnelle que le contrôle de la régularité
juridique des actes réglementaires relève de la compétence
de cette haute instance ; qu'il s'ensuit que la cour administrative est
désormais incompétente à connaître des recours pour
excès de pouvoir formés contre tous les actes
réglementaires, comme le confirme du reste l'écriture
subséquent de l'article 35 de la loi organique n°10/94 du 17
septembre 1994... »114.
De ce qui précède, l'analyse suivante peut
être faite : du législateur au juge constitutionnel, en passant
par le juge administratif lui-même, tous, ont trahi ou
dénaturé la pensée réelle du constituant gabonais
de 1991. Lequel n'a nullement envisagé de dépouiller les
juridictions de l'ordre administratif d'un pan, le plus important de surcroit,
du contentieux administratif 115. Le Gabon est le seul pays au monde
qui remplit cette curiosité intellectuelle. Qui plus est, le juge
constitutionnel ne saurait annuler les actes de l'administration, ni indemniser
les victimes. Elle se contente de les déclarer inconstitutionnels.
112 Notons que cette expression qui découle de la libre
administration revêt une double mission :
- En premier lieu, c'est la capacité juridique à
produire des normes financières : En matière de recette,
elle implique la reconnaissance au profit des
collectivités locales d'un véritable pouvoir fiscal local, le
pouvoir de créer et de lever l'impôt. En matière de
dépense, c'est la liberté de décider d'affecter les
ressources à telle ou telle dépense précise.
- En second lieu, c'est la possibilité pour les
collectivités locales d'assurer le financement de leurs
dépenses par des ressources propres en volume
suffisant.
113 Pour la haute juridiction gabonaise, seul le constituant
peut donc prévoir le principe d'autonomie financière. Il s'agit
là d'une technique de constitutionnalisation de ce principe, notamment
lorsqu'elle affirme que : « considérant que la possibilité
pour une institution d'avoir des ressources autres que les crédits
inscrits pour elle au budget de l'Etat implique nécessairement que cette
institution bénéficie de l'autonomie financière ».
114 Cf. C.A du 23 juin 2000, Comptoir gabonais du pneumatique c.
/Etat gabonais, Rép. N°36.
115 Observons avec l'auteur S.M. KWAHOU que cet «
auto-attribution du contentieux des actes réglementaires115
par le juge constitutionnel gabonais rend encore plus complexe la lecture du
droit positif gabonais en matière de répartition d'attributions
juridictionnelles ».
Mémoire de Master 2, présenté par
Djéson Faustin AKOUMA MOIAHIDJI Page 58
Thème : « Le contrôle de l'Etat sur les actes
budgétaires des Collectivités locales au Gabon »
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