Section 2 : La compétence exceptionnelle des
juridictions non financières en matière de finances
locales
En dehors des juridictions financières, les violations
des règles budgétaires et comptables peuvent interpeller,
à titre exceptionnel, d'autres juridictions. Il en est ainsi
92 Article du professeur T.K.G, « le contrôle
des finances publiques », journal hebdo info, N°185, 13 mai
1989, page 76.
93 En ce qui concerne la rétractation des
décisions de la cour des comptes. En principe, selon l'article 152 de la
loi organique n°11/94, l'arrêt définitif dessaisit la
formation de jugement qui l'a rendu, à moins qu'il ne s'agisse d'une
décision d'avant-dire-droit93 ou provisoire. Toutefois, il appartient
à toute formation de rétracter sa décision si des erreurs
et omissions matérielles affectent celle-ci. La Cour est saisie par
simple requête de l'une des parties ou par requête commune. Elle
peut aussi se saisir d'office. La demande de rétractation doit, à
peine d'irrecevabilité, faire mention des erreurs ou omissions ayant
motivé la saisine de la Cour (article 153). Si la Cour déclare la
demande recevable, elle doit la dire fondée ou non. La décision
rendue est alors notifiée aux parties dans les formes prévues par
la loi (article 154).
Les décisions du juge des comptes peuvent
également faire l'objet de révision en cas de
nécessité. En effet, selon l'article 155 : « la Cour
nonobstant l'arrêt de jugement définitif d'un compte, peut pour
erreur, omission, faux ou double emploi découvert postérieurement
à l'arrêt procéder à sa révision, soit sur la
demande du comptable appuyée de pièces justificatives
recouvrées depuis l'arrêt, soit d'office ». Cette demande en
révision est adressée au premier président de la Cour.
Elle doit comporter l'exposé des faits et moyens invoqués par le
requérant, être accompagnée d'une copie de l'arrêt
attaqué, des justifications servant de base à la requête
ainsi que des pièces établissant la notification de cette
requête aux autres parties intéressées.
Après instruction et selon qu'elle estime que les
pièces produites permettent ou non d'ouvrir une instance en
révision, la Cour, statuant à titre définitif, admet ou
rejette la demande en révision. Quand elle admet la demande, la Cour
prend, par le même arrêt, une décision préparatoire
de mise en état de révision des comptes et impartit au comptable
un délai de deux mois pour produire des justifications
supplémentaires éventuellement nécessaires à la
révision lorsque celle-ci est demandée par lui, ou faire valoir
ses moyens lorsque la révision est engagée contre lui.
Après examen des réponses, ou après l'expiration du
délai susvisé, la Cour procède s'il y a lieu à la
révision de l'arrêt et des comptes concernés. Lorsque la
Cour agissant d'offi ce estime, après instruction, que les faits dont la
preuve est apportée permettent d'ouvrir une instance en révision,
elle rend un arrêt préparatoire de mise en état de
révision des comptes et procède conformément aux
règles prévues par l'article 156.
Par ailleurs, l'exercice des recours en rétractation et en
révision n'est soumis à aucun délai (article 158).
Mémoire de Master 2, présenté par
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Thème : « Le contrôle de l'Etat sur les actes
budgétaires des Collectivités locales au Gabon »
lorsque l'irrégularité financière est
constitutive d'une infraction à la loi pénale. Dans ce cas, la
responsabilité de son auteur peut être engagée devant le
juge pénale. Parfois c'est une question de légalité qui se
pose, alors le juge administratif ou constitutionnel peut être saisi,
selon la nature de l'acte local litigieux.
L'attribution de tels conflits à des organes
juridictionnels, indépendants du pouvoir exécutif d'Etat comme
local, traduit selon Aimé Felix AVENOT « le souci du
législateur gabonais de garantir non seulement les collectivités
secondaires contre les empiètements et les usurpations de
compétences d'une collectivité vis-à-vis d'une autre, mais
également contre les ingérences intempestives et le risque de
l'arbitraire de la part des autorités de l'Etat
»94.
Autrement dit la question de la légalité des
actes locaux, incluant les actes financiers, peut être posée aussi
bien devant le juge administratif, pour les actes budgétaires non
règlementaires (Paragraphe 1), que devant le juge
constitutionnel, pour les actes ayant un caractère règlementaire
(Paragraphe 2).
Paragraphe 1 : Le juge administratif, juge de la
légalité des actes financiers locaux non
réglementaires
C'est parce que le juge administratif gabonais est le gardien
de la légalité républicaine et le censeur de
l'activité administrative, qu'il contrôle, a posteriori, la
légalité des actes des autorités administratives en
générale.
Par conséquent, le contentieux de la
légalité des actes budgétaires locaux non
règlementaire relève des tribunaux administratifs du ressort
territorial, saisit par l'autorité de tutelle locale, le
représentant légal de la collectivité locale ou par tout
administré de la collectivité locale concernée, au moyen
d'un recours pour excès de pouvoir qui court à partir du jour de
la publication l'acte attaqué95.
Selon le législateur, le juge administratif peut
être saisi pour examiner non seulement la légalité des
délibérations à caractère financier (A),
mais aussi celle les décisions de l'autorité de tutelle,
objet de litiges (B).
A- Le contrôle des délibérations
à caractère financier
Ce sont les dispositions de l'article 77 de la loi organique
001/2014 qui disposent que « la juridiction administrative locale est
compétente pour connaitre en premier ressort des recours pour
excès de pouvoir introduits contre les délibérations des
conseils n'ayant pas un caractère règlementaire ». Il s'agit
d'une affirmation de la pleine compétence des tribunaux administratifs
sur le contrôle de légalité de l'ensemble des
délibérations des
94 Cf. République du Gabon, FDSE, UOB,
mémoire de droit public, « Remarques à propos de la loi
organique n°15/96 du 6 juin 1996 relative à la
décentralisation », Aimé Felix AVENOT, 1997,
p.57.
95 Cf. les articles 75 à 77 de la loi organique
001/2014 sus citée.
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Thème : « Le contrôle de l'Etat sur les actes
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conseils locaux, peu importe leur nature. Autrement dit, c'est
le même régime est applicable à tous les actes des
autorités décentralisées.
Mais le texte ne déterminant pas un régime
particulier en ce qui concerne le contentieux de la légalité des
actes budgétaires et financiers, il convient d'avoir une
interprétation large de l'expression «
délibération à caractère non réglementaire
» utilisée, en y incluant les délibérations
ayant un caractère financier. Elles relèvent de la
catégorie des actes administratifs dit « spéciaux
»96.
C'est en effet par délibération97 que
les conseils des collectivités locales, « décide sur
leurs attributions et ressources spécifiques ; de leur participation
financière dans les entreprises nationales d'économie mixte ;
votent leurs budgets, leurs autorisations spéciales de dépenses
et leurs virements de crédits ; approuvent leurs comptes administratifs
; la création des impôts locaux, des taxes et amendes locales ;
entendent, débattent et arrêtent leurs comptes de gestion ;
autorisent leurs emprunts ; leurs signatures des marchés et conventions
après dépouillement, examen et sélection des dossiers
d'appel d'offre »98. Il en ressort que chaque acte
budgétaire local soumis à l'approbation obligatoire de la tutelle
doit être accompagné d'une délibération du conseil
laquelle sert de support juridique audit acte.
Notons que les requérants peuvent assortir leurs
requêtes d'une demande de sursis à exécution de l'acte. Sur
cette question, l'apport de la jurisprudence administrative gabonaise est
considérable99. Ce sursis est accordé dans certaines
conditions : caractère sérieux de l'un des moyens invoqués
dans la requête en l'état de l'instruction pouvant justifier
l'annulation de l'acte, possibilité d'une compromission de l'exercice
d'une liberté publique, ou c'est le juge administratif qui décide
de sa propre initiative de surseoir à l'exécution d'un
marché public local que lui transmet par exemple le représentant
de l'Etat aux fins d'annulation.
96 Du fait de la nature exclusivement administrative de la
décentralisation au Gabon, les autorités
décentralisées sont détentrice du pouvoir de
décision règlementaire local.
En qualité donc d'autorité administrative les
actes qu'elles édictent sont des actes administratifs (actes de gestion
administrative et actes de gestion financière). Leur caractère
spécial tient au fait que ces actes visent un intérêt
général spécial : celui des populations locales de la
collectivité concernée.
97 Il s'agit d'un acte qui émane d'un organe collectif
ou délibérant. Ici, le terme est spécialement
employé pour désigner les décisions prises par les
assemblées des collectivités locales. La
délibération du conseil a un caractère financier si l'acte
principal est un acte budgétaire par exemple, c'est-à-dire
lorsqu'elle est prise dans une matière financière de la
collectivité.
98 Selon l'article 36 de la loi organique n°001/2014.
99 Cf. la Jurisprudence administrative :
Décision NZET BITHEGHE, de la chambre administrative de la cour
suprême, du 24 novembre 1989 sur les conditions de forme de la
recevabilité d'une demande de sursis («il faut que
l'exécution de la décision dont il s'agit risque d'entrainer pour
la victime des conséquences difficilement réparables »)
; et Décision TCHICKAYA PORTENCE, du tribunal administratif, du
25 février 2003 sur les conditions de fond de la
recevabilité d'une telle requête (« la mesure de sursis
à exécution ne peut être ordonnée à la
demande du requérant que si l'urgence le justifie et si les moyens
énoncés dans la requête apparaissent, en l'état de
l'instruction, sérieux (...) pour justifier la demande de sursis,
l'exécution de la décision attaquée doit être de
nature à entrainer pour le requérant des conséquences
difficilement réparables actives d'un préjudice certain
»).
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Thème : « Le contrôle de l'Etat sur les actes
budgétaires des Collectivités locales au Gabon »
Lorsqu'un particulier ou administré a
intérêt à agir contre un acte à caractère
budgétaire ou financier, soumis à l'approbation préalable
qui est devenu exécutoire, il peut intenter un recours direct devant le
juge administratif. Ce dernier, après avoir examiné les
conditions de recevabilité du recours, se prononce sur tous les
éléments de la légalité interne comme externe, en
procédant à un examen formel et matériel de l'acte
budgétaire incriminé.
Dans le premier cas (contrôle formel), le juge
administratif peut alléguer deux moyens pour annuler une
délibération attaquée : l'incompétence et le vice
de forme.
L'incompétence peut être définie comme
l'inaptitude légale d'une autorité à prendre une
décision. Elle se présente lorsqu'une autorité
administrative agit au-delà de ses compétences. La doctrine fait
de plus en plus le distinguo entre incompétence ratione materiae,
ratione loci et ratione temporis100. Le vice de forme consiste
à l'omission ou l'accomplissement incomplet ou irrégulier des
formalités auxquelles un acte administratif est assujetti par les lois
et règlement. C'est une irrégularité liée à
la rédaction d'un acte administratif.
Dans son office, le juge différencie les formes
obligatoires (cas des contreseings) des formes facultatives (cas des visas) de
l'acte examiné. La nullité de la délibération peut
être acquise si elle est substantielle. Exemple : une absence de mention
obligatoire, dénaturant ainsi l'acte. Par contre, si la
présentation est uniquement altérée par une imperfection
accessoire, il y a irrégularité vénielle101 et
la délibération dans ce cas d'espèce ne pourrait
être déclarée nulle.
Dans le second cas (contrôle matériel), il existe
deux cas d'ouverture du recours pour excès de pouvoir : la violation de
la loi et le détournement de pouvoir.
La violation de la loi ne constitue un moyen d'annulation que
si elle constitue en même temps une atteinte à une règle de
droit. C'est une illégalité qui touche le contenu même de
l'acte, c'est-à-dire à toute contradiction avec les normes qui
lui sont supérieures. Quant au détournement de pouvoir, il
consiste à détourner un pouvoir légal du but pour lequel
il a été institué. Le juge va s'en tenir ici aux
irrégularités consécutives aux mobiles qui ont
inspiré l'auteur de l'acte incriminé. Il va alors voir si le
conseil de la collectivité locale a exercé ses compétences
à des fins autres que celles liées à la satisfaction de
l'intérêt
100 L'incompétence ratione materiae, c'est par
exemple lorsque le conseil d'une collectivité locale n'est pas
compètent quant à la matière traitée, car relevant
soit du législateur, soit du juge ou d'une autre autorité
administrative.
L'incompétence ratione loci, c'est lorsqu'une
autorité locale a ignoré les limites territoriales de sa
compétence. Le cas d'un conseil municipal qui statue en
réalité à l'égard de personnes qui ne
dépendent pas de lui.
L'incompétence ratione temporis, c'est quand un
élu local a agi en dehors de la durée de son mandat, soit avant
le début, soit après le terme de celui-ci.
101 C'est-à-dire une légère
irrégularité ; une entorse à la loi peu
sévère, excusable ou insignifiante, qui ne saurait en
l'espèce aboutir à l'annulation de l'acte
incriminé.
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Thème : « Le contrôle de l'Etat sur les actes
budgétaires des Collectivités locales au Gabon »
général ou si le conseil a bien exercé
ses compétences à des fins d'intérêt
général, mais la délibération a été
adoptée en visant un but différent102.
C'est à la suite de son contrôle de
légalité qu'il procède à l'annulation de la
délibération à caractère financier, s'il l'estime
illégale. Dans le cas contraire, le recours est rejeté et l'acte
rendu exécutoire dès notification du président du conseil
local.
L'annulation, qui peut être partielle ou totale,
consiste à anéantir rétroactivement l'acte.
C'est-à-dire faire disparaitre de l'ordonnancement juridique national,
la délibération attaquée. Elles sont alors
considérées comme n'ayant jamais existées. Ce qui entraine
l'anéantissement de toutes les conséquences de droit qui
résultent de l'application de ladite
délibération103.
Mais s'il n'y a pas que les délibérations
à caractère financier des collectivités locales qui
peuvent être contrôlés et sanctionnées par la
juridiction administrative locale. Les décisions de l'autorité de
tutelle en font aussi l'objet.
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