CHAPITRE 4
ENGAGEMENT ET PRISE DE RISQUES
4.1. ENGAGEMENT V/S NEUTRALITÉ
L'engagement parce qu'il est une prise de position comporte
forcément des risques. Assumant un parti pris esthétique,
pédagogique ou idéologique, l'éditeur « engagé
» peut s'exposer à la censure, comme nous l'avons vu, ou «
manquer » son public dans la mesure où l'engagement est un choix
personnel, né d'une logique intrinsèque, celle de
l'éditeur ou de l'auteur, qui désirent le faire partager par le
biais du médium livre. L'éditeur jeunesse qui publie des ouvrages
engagés ne répond pas, a priori, à une logique commerciale
ce qui comporte des risques financiers. Pour mieux comprendre, dans quoi
réside cette prise de risques, nous allons définir l'engagement
grâce à son contraire, la neutralité.
4.1.1. La neutralité comme politique
éditoriale
La neutralité se définit tout d'abord par son
caractère neutre autrement dit, son absence d'implication. Quelque chose
de neutre ne comporte aucune particularité. La neutralité ne vise
donc pas le singulier. En rapprochant ce terme de l'édition et plus
précisément des politiques éditoriales, on comprend que la
neutralité est une stratégie visant la séduction d'un
public le plus large possible par le recours au dénominateur commun le
plus large possible lui aussi. La neutralité ne cherche pas à
cibler un public précis et limite ses prises de risques. Elle est
souvent proche du conformisme qui est selon le TLFI58, l'«
attitude passive de celui ou de celle qui règle ses idées, son
comportement, sur ceux des personnes de son milieu ». Michèle
Picard, quant à elle,
58Trésor de la Langue Française
Informatisé [en ligne] <http://atilf.atilf.fr/>
rapproche ce phénomène de la notion de «
bon goût »59 qui vise à « édulcorer,
à gommer tout ce qui pourrait choquer les parents dans une quelconque de
leurs convictions ».
La logique commerciale qui sous-tend le discours du « bon
goût » et de la neutralité amène bien souvent les
éditeurs à privilégier les formules éditoriales
ayant fait leurs preuves dans le passé, c'est-à-dire
fidélité au répertoire classique avec les fables
animalières, les contes merveilleux, le fantastique, la science-fiction,
etc.
La fonction dominante dans ce genre d'ouvrage est bien souvent
le divertissement. Attention cependant, il ne s'agit pas ici d'une
généralité dans la mesure où si le merveilleux, la
fable animalière, ou la science-fiction, fonctionnent selon le ressort
de la distanciation au monde réel, cette dernière en même
temps qu'elle permet de le rêver, peut aussi amener à le
critiquer.
Une politique éditoriale neutre minimise bien souvent
les risques en s'adaptant aux tendances du marché et en partant de
l'existant pour proposer des ouvrages qui auront à coup sûr leur
public. Le marketing est alors très important et les études de
marché permettront à l'éditeur de faire correspondre son
offre aux attitudes et à la motivation des acheteurs, se basant bien
souvent sur le penchant naturel des enfants pour les produits marketés.
En tête de liste, les livres qui sont l'adaptation de produits
télévisés, cinématographiques ou de jeux
vidéos. La littérature se trouve ici bien souvent
inféodée au marché du loisir.
À côté de ces politiques
éditoriales, quels sont les recours possibles pour les éditeurs
proposant des ouvrages plus engagés, entendons donc par là moins
« attendus » ?
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59 PIQUARD Michèle, op. cit. p.183.
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