3.1.4. Édification idéologique et censure
L'interprétation idéologique des publications
pour la jeunesse peut devenir une occasion de censure et susciter de violentes
polémiques. La plus célèbre est sans conteste celle
déclenchée en 1985 par Marie-Claude Monchaux dans son pamphlet,
Écrits pour nuire: Littérature enfantine et subversion.
Cet ouvrage, édité par le syndicat étudiant
UNI48 avait pour ambition d'aider les parents, éducateurs et
responsables des bibliothèques à faire le bon choix dans une
production littéraire jugée de plus en plus perfide car incitant
à un certain nombre de perversités sociales: le vol, la drogue,
la destruction de la famille et de la société, etc. Marie Claude
Monchaux y aborde le processus d'identification du lecteur au héros pour
le confondre avec le concept d'incitation, réducteur de liberté,
qui amènerait à une « contagion scélérate
». Les enfants lui apparaissent comme un public fragile, incapable de
discernement. Sa quatrième de couverture est univoque quant aux
intentions:
« La gangrène de la Subversion n'a pas
seulement atteint l'économie, la presse, la radio, la
télévision, elle s'est attaquée à l'Enfant.
Beaucoup de parents achètent des livres sans se rendre compte qu'ils
véhiculent les pires idées sur le plan moral ou social, et qu'ils
détruisent lentement et sciemment les valeurs du monde libre (...) Tout
se passe comme si ces auteurs, ces éditeurs, ces responsables
poursuivaient le but d'attiser la lutte, voire la haine des classes; de
démanteler les structures actuelles de la civilisation occidentale
contemporaine, de déstabiliser la famille, de discréditer l'ordre
social, les moeurs et d'affaiblir les lois, l'armée, la
sécurité, la nation ».49
Elle dénonce plusieurs titres publiés entres
autres par L'école des loisirs, Le sourire qui mord ou Syros.
Périodiquement, le débat ressurgit. On peut
citer à cet égard l' « épisode de la
bibliothèque d'Orange », durant les années 90, ville dans
laquelle, en 1995, le nouveau
48L'Union nationale inter-universitaire est une
organisation universitaire française, se revendiquant de « la
droite universitaire » selon son propre slogan.
49MONCHAUX Marie Claude, Écrits pour
nuire: littérature enfantine et subversion, Paris: Éditions
de l'UNI, 1985.
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maire en place appartenant au Front National, a tenté
d'inféoder la politique d'acquisition de la bibliothèque à
l'idéologie de la nouvelle équipe municipale en place. Cela s'est
traduit par l'introduction massive de centaines d'ouvrages se rattachant de
près ou de loin à l'idéologie d'extrême droite et
prônant les traditions nationales. La censure s'est alors exercée
envers les ouvrages jugés trop « cosmopolites » comme par
exemple les contes africains ou maghrébins ou abordant des thèmes
jugés quant à eux trop tendancieux à savoir le racisme,
l'Europe, etc. L'intervention de municipalités d'extrême droite
dans les bibliothèques publiques a entraîné de vives
réactions chez les acteurs de la chaîne du livre
(bibliothécaire, libraires, écrivains, auteurs) qui se sont
réunis en 1997 dans un numéro hors série de la revue
Livres afin d'y rappeler que « les livres, objets de censure, sont aussi
symboles du combat pour la liberté d'expression, d'opinion, de
création50 ».
Ces réaction et les débats qu'elle suscite
révèlent à quel point la littérature de jeunesse
est un enjeu idéologique voir politique. La vigilance dont elle fait
l'objet est en fait à la mesure de l'influence qu'on lui prête sur
les jeunes esprits.
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