3.1.3. L'édification idéologique
Tirant parti des jeux de projection ou d'identification du
jeune lecteur, la littérature de jeunesse peut également servir
à des fins de formation idéologique, ce qui est le pendant
politique de son usage en terme de morale. Historiquement, les exemples au XXe
siècle ne manquent pas. À cet égard, on peut penser aux
albums d'Hergé qui tour à tour dénoncent le communisme
comme dans Les Aventures de Tintin, reporter du « Petit
vingtième », au pays des Soviets, publié en 1929 ou au
contraire témoignent d'un esprit paternaliste voire colonialiste envers
l'Afrique comme dans Tintin au Congo46 sortit en 1931.
L'objectif étant à chaque fois de communiquer aux enfants une
vision du monde, le projet s'apparente à de la propagande.
L'arrivée au pouvoir, en 1940, du Maréchal Pétain, qui
aurait souhaité être ministre de l'Éducation
45BELAVAL Annie-France, Pourquoi les adolescents
devraientils lire ?, L'école des lettres, 1999, n°12, p.
.10.
46La controverse autour de cet album a
été relancée en 2007 après qu'un étudiant
congolais de l'Université Libre de Bruxelles a déposé
plainte pour racisme et demandé que l'album soit retiré du
commerce.
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nationale en 1934, offre également le bon exemple d'une
propagande massive qui se développe à l'usage de la jeunesse en
faisant ici la promotion du folklore et en érigeant le chef de
l'État lui-même en héros. L'ouvrage, Il était
une fois un pays heureux, publié en 1943 et qui se termine par
« Travail, Famille, Patrie. » érigée en morale,
est un exemple d'ouvrage à l'honneur de Pétain. Le
Général de Gaulle connaîtra la même exaltation dans
la littérature de jeunesse avec par exemple l'ouvrage Un grand
français, le Général de Gaulle, paru en 1944. Ce
zèle propagandiste qui s'exprime dans la littérature de jeunesse
fait qu'à la libération, ses publications suscitent de violents
débats pour aboutir comme nous le verrons ultérieurement à
la création d'un texte législatif visant à protéger
les publications destinées à la jeunesse.
À l'heure actuelle, nous assistons plutôt
à une littérature de jeunesse qui viendrait non pas
édifier et conforter le pouvoir établi mais plutôt le
contrebalancer. C'est ce qu'ambitionne par exemple Michel Piquemal, auteur
jeunesse:
« Je me demande à quoi je sers vraiment en
tant qu'auteur jeunesse, à quoi nous servons tous. Avoir un discours qui
ne soit pas antisocial, ne seraitce pas se faire les piliers de la
société en place, telle qu'elle fonctionne aujourd'hui ? (...)
Les auteurs jeunesse n'auraientils pour fonction que de justifier moralement
ces nouvelles formes de fascisme et le politiquement correct, de fabriquer de
gentils petits moutons nonviolents prêts à être tondus par
ceux qui mettent sans cesse en avant le respect de la loi sans en respecter
aucune ? »47
Un éditeur affiche également clairement cette
volonté d'agir comme un contre pouvoir, c'est l'éditeur Syros.
Pour illustrer ce propos, on peut penser à l'ouvrage qu'il a
publié en 2003 et qui s'intitule L'agneau qui ne voulait pas
être un mouton. Cet album, prônant la résistance, la
solidarité et dénonçant le fascisme, est sortit une
année après la surprise du premier tour de l'élection
présidentielle où le candidat du parti d'extrême droite,
Jean-Marie le Pen fut qualifié pour le second tour. Plus
récemment, nous pouvons également penser à sa collection
« Au crible » qui ambitionne comme nous l'avons vu
précédemment d'interroger la politique actuelle du
gouvernement.
47PIQUEMAL Michel, le billet d'humeur de Figures
rebelles, Citrouille, 2006, n°45
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