CHAPITRE 3
JEUX ET ENJEUX DE LA LITTÉRATURE DE
JEUNESSE ENGAGÉE
3.1 LA FONCTION D'ÉDIFICATION DANS LA
LITTÉRATURE DE JEUNESSE
La littérature de jeunesse se veut au service de la
jeunesse et ambitionne de contribuer au développement et au
bien-être de celle-ci, volonté qui s'expriment pleinement dans le
nom d'une maison d'édition jeunesse comme Grandir43. Au
travers d'une fiction qui se réclame utilitaire et fonctionnelle, la
littérature se dote de trois fonctions. Afin d'expliciter ces fonctions,
nous nous appuierons sur l'ouvrage de Christian Chelebourg et Claude
Marcoin44. La première fonction selon eux, est l'instruction.
Celle-ci concerne la transmission de savoirs fondamentaux par le biais d'un
équilibre entre narration et information. La seconde, est appelée
« récréative » et met au premier plan le divertissement
et la distraction. La dernière quant à elle,
l'édification, touche à la formation des esprits et
s'intéresse essentiellement à la morale. Bien entendu, ces trois
fonctions sont inhérentes à chaque ouvrage de littérature
de jeunesse mais dans des proportions diverses. Nous nous attacherons ici
à cette ultime fonction qu'est l'édification afin d'en saisir les
domaines et les enjeux..
3.1.1. L'édification religieuse
L'édification dans la littérature de jeunesse
peut être tout d'abord religieuse. Ce filon a longtemps été
prolifique avant de se tarir avec le déclin du sentiment religieux.
Parmi les ouvrages interrogeant l'idée de Dieu ou présentant les
principales religions et outre les traditionnelles bibles racontées aux
enfants, on trouve également des
43Les éditions Grandir se situent à
Nîmes et ont été créées par René Turc
et son épouse Aline en 1978 44 CHELEBOURG Christian et MARCOIN Francis,
op. cit.
48
ouvrages conçus dans un dessein d'édification
religieuse. Si les premiers types d'ouvrages cités ont un objectif
éducatif, informatif et s'adressent à tous les enfants
pratiquants, non-pratiquants ou agnostiques, les second quant à eux ont
un dessein d'édification religieuse. L'ouvrage de M. A Murail parut chez
Bayard Jeunesse en 1997 intitulé Jésus comme un roman
est un bon exemple de cette édification religieuse. Par le biais de
la narration, l'histoire vise à séduire le lecteur et à
donner de Jésus l'image d'un héros des temps moderne comme en
témoigne cet engouement de l'éditeur dans sa quatrième de
couverture:
« À ceux qui ne le connaissent pas
Jésus apparaîtra comme un être étrange, qui ne se
laisse pas faire, qui brave les interdits sans violence. À ceux qui le
connaissent déjà
Jésus paraîtra encore plus proche, porteur d'un
formidable message d'amour. »
Cette édification religieuse, un brin
apologétique, n'a rien de bien surprenant quand on sait que les
éditions Bayard appartiennent au même groupe que le quotidien
catholique français La Croix et que ses capitaux proviennent d'une
institution religieuse, la congrégation des Augustins de l'Assomption.
Bayard ne fait pas figure d'exception puisqu'une partie des capitaux des
éditions Fleurus provient de l'Union des oeuvres catholiques de France.
Cette observation est importante pour comprendre les choix éditoriaux de
ces maisons.
3.1.2. L'édification morale
En jouant sur l'identité projective des jeunes enfants
à leur héros préférés, certains albums
entreprennent de forger les comportements de l'enfant et inclinent à
l'édification morale en se approchant pour cela de son quotidien.
Annie-France Belaval, chercheur et documentaliste au CRDP de Lille, analyse
l'identification ainsi:
« l'identification est un processus psychologique par
lequel un sujet assimile un aspect, une propriété, un attribut de
l'autre et se transforme totalement ou partiellement sur le modèle de
celuici. (...) Le héros du livre n'est jamais tout à fait
semblable au lecteur, c'est cette marge qui permet une identification
réussie; la fusion totale deviendrait confusion mentale, et serait
contraire au but
49
psychologique: grandir en s'identifiant à un
être aimé, admiré mais en s'en démarquant analyse
de soi, des différences, prise de conscience de sa personnalité
propre. »45
L'un des ressorts les plus fréquents pour favoriser
l'identification est le recours à un personnage principal ayant
sensiblement le même âge que le lecteur supposé. C'est le
cas de titres comme T'choupi est en colère, T'choupi ne
veut pas prêter ou encore T'choupi s'occupe bien de sa petite
soeur qui sont tous trois des albums de Thierry Courtin. L'enfant se met
à la place du protagoniste de l'histoire en acceptant l'idée que
la réalité de la fiction peut être sa propre
réalité et en recevant les enseignements vécus par le
héros comme les siens propres. Le détour par la fiction permet au
lecteur de mieux appréhender sa propre vie et de vivre par procuration
ses propres angoisses. L'histoire si elle est lue par les parents leur offre
l'occasion d'un débat avec l'enfant sur celles de ses attitudes qu'ils
aimeraient voir corrigées afin qu'elles correspondent en
générale à celles adoptées par le jeune
héros du récit en question. L'édification tend ici
à faire adopter au lecteur des conduites morales.
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