2.4. ENGAGEMENT DU LECTEUR DANS LE TEXTE
Le discernement entre le bon et le mauvais livre varie selon
les époques, l'éthique personnelle des individus,
l'idéologie et les représentations ambiantes que l'on se fait de
la lecture et des lecteurs. À l'heure actuelle, on reconnaît comme
capacité à l'enfant, celle de rencontrer des oeuvres fortes aux
sujets graves et sérieux. Cependant comment s'approprie-t-il le texte
littéraire et comment en vient-il à saisir le message dont il est
porteur au-delà quelquefois de sa littéralité,
c'est-à-dire de son sens explicite?
Il s'agit de comprendre ici comment le lecteur s'accommode du
texte, dans la mesure où chacun construit singulièrement son
rapport au texte à l'aune de son vécu, de sa sensibilité,
de ses désirs, de sa culture, etc.
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« L'appropriation des oeuvres littéraires
interroge les histoires personnelles, les sensibilités, les
connaissances sur le monde, les références culturelles, les
expériences des lecteurs. »33
Si on observe que les mêmes activités
fondamentales sont à l'oeuvre dans la réception du texte, chaque
sujet y accède néanmoins par une appropriation personnelle en
fonction de sa singularité et de son rapport au monde. La lecture serait
donc un dialogue entre le texte et le lecteur. C'est ce que souligne Catherine
Tauveron34 quand elle affirme que le texte littéraire ne se
résume pas à un seul et unique message mais qu'au contraire
plusieurs interprétations sont possibles dans la mesure où il
entre en résonance avec son lecteur par le biais d'une
coopération. Le texte littéraire serait une aire de jeu
réclamant un partenaire, le lecteur, qui soit actif et doté
d'initiatives pour en déceler la signification. Pour elle la
vérité du texte se trouve essentiellement dans la relation que
celui-ci va entretenir avec son lecteur. Cette même idée,
largement répandue, se retrouve dans les programmes du cycle 3 qui
sous-entendent que plusieurs interprétations sont possibles:
« À la fin d'une séquence qui aura
permis de parcourir entièrement une oeuvre, il importe d'organiser un
débat pour mettre à jour les ambigüités du texte et
confronter les interprétations divergentes qu'elles suscitent».
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Attention cependant, le texte a ses droits et toutes les
interprétations ne sont pas possibles. Lire un texte, c'est en effet
entrer en relation avec un objet qui résiste à la toute puissance
de son imaginaire, ce qui ne va pas de soi pour un jeune lecteur en proie
à l'égocentrisme enfantin. Lire un texte c'est se heurter
à cette « résistance» car la fiction a aussi une
fonction référentielle dans la mesure où elle constitue
une « expérience vivante, authentique, singulière et
universelle à la fois, par laquelle les hommes vont appréhender
le réel. »36 Lire un texte serait donc aussi être
capable d'occuper les ellipses, d'entendre dans les interstices ce qui n'est
pas dit, tout en
33SCÉRÉN/CNDP, Documents
d'application et d'accompagnent 2002, in Qu'apprend-on à
l'école élémentaire, Paris : XO Éditions, 2006,
p.316.
34TAUVERON Catherine (dir.), Lire la
littérature à l'école. Paris : Hatier
Pédagogie, 2002, p.15. 35SCÉRÉN/CNDP,
op.cit., p.185.
36CHIROUTER Edwige, op. cit.
40
respectant scrupuleusement ce qui est dit. Lire un texte
serait donc un savant équilibre entre adhésion, subjectivation et
distanciation, décentration.
En nous aidant des recherches de Nathalie Lacelle et
Gérard Langlade37, nous allons à présent
décrire quelles sont les opérations qui entrent en jeu dans cette
appropriation littéraire du texte.
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