2.3.3. La couverture : promesse d'un ouvrage
engagé
Le lecteur qui prend le temps de regarder cette couverture et
de s'interroger sur sa signification pourra y lire le programme de lecture de
l'oeuvre et approcher le projet éditorial de l'éditeur.
Cette couverture surprend tout d'abord par la longueur de son
titre qui s'étale sur deux lignes. Il est généralement
d'usage de faire des titres plus brefs, un groupe nominal voir au mieux une
phrase simple s'il est phrastique. Or ici, le titre est une phrase complexe,
composée de deux propositions, coordonnées par la
préposition « mais » qui marque une rupture. Si le titre
surprend par sa longueur, il surprend aussi par sa tonalité
réprobatrice, puisqu'un jeune élève blâme sa
maîtresse. Il « condamne » cette dernière pour son
aveuglement, cécité qui est confirmée par le
caractère symbolique de l'illustration à savoir la tête de
cheval avec des oeillères sur le corps enseignant afin de
représenter l'étroitesse d'esprit et la rigidité de ce
dernier.
Le ton est donné, dans cet ouvrage pas de censure ou de
politiquement correct, l'engagement est de mise. Celui-ci se perçoit
tout d'abord dans l'illustration puisque comme nous l'avons vu, il s'agit de
l'élément saillant de la page. Cette dernière par son
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caractère symbolique met le jeune lecteur face à
une oeuvre dérangeante qui sollicite fortement sa participation et son
engagement pour en déceler la signification. Outre l'engagement
graphique, l'engagement concerne également le contenu. Il se ressent
dans le titre de l'ouvrage qui entend s'attaquer de front à
l'institution scolaire, chose non ordinaire dans les ouvrages de jeunesse pour
lesquelles la tendance est plutôt à la défense de
l'éducation. En dernier lieu, la mention « un livre d'Harlin Quist
», vient souligner la présence de l'éditeur, son engagement
personnel en faisant ressentir le travail de conception, de fabrication, en
somme d'artisanat, qui s'est opéré en amont de la publication.
Conformément à ce qui été
annoncé en couverture, le contenu de l'ouvrage est une violente diatribe
contre l'école où l'éducateur est assimilé à
la violence et à l'autoritarisme. L'éditeur commence son ouvrage
par cette dédicace: « À tous les adultes qui, enfants, sont
morts asphyxiés dans les bras de l'Éducation ».
À travers un texte poétique, le narrateur qui
s'exprime à la première personne et qui représente un
élève ordinaire de primaire s'interroge « naïvement
» sur la place qu'il occupe au sein de l'école. L'auteur et
l'éditeur, à l'aide de ce jeune narrateur un peu candide,
questionnent un système éducatif jugé selon eux trop
policé.
Au delà de l'engagement du texte, ce qui frappe ce sont
les illustrations extrêmement originales et variées, qui font que
cet album se démarque et tranche avec la production éditoriale
ambiante. En effet, pas moins de treize illustrateurs ont participé
à l'élaboration de cet ouvrage de trente-deux pages dans des
registres à chaque fois très différents. On y trouve des
photomontages, des illustrations surréalistes ou au contraire ultra
réalistes, des illustrations de type « comics » avec des
traits francs et des couleurs criardes, d'autres de type BD ou encore certaines
beaucoup plus classiques et traditionnelles faisant penser aux illustrations
d'Anthony Browne. En somme, l'illustration occupe dans cet album une place
prépondérante. Elle surprend, elle interroge, elle provoque, elle
fait sourire ou même rire lorsqu'elle entretient des jeux de mots avec le
texte comme sur la couverture par exemple.
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En conclusion, on voit bien ici dans quelle mesure s'exprime
l'engagement. Artistique à première vue, il concerne aussi le
contenu de l'ouvrage. L'analyse de ce titre nous montre que l'engagement dans
une oeuvre de littérature de jeunesse est bien souvent multiple,
relevant d'une véritable démarche éditoriale, il touche
aussi bien le graphisme de l'oeuvre que son contenu. Ici, si l'accent est mis
sur la qualité des illustrations, le texte est quant à lui
également très engagé sans être toutefois
dogmatique.
En effet, il est possible de lire cet ouvrage de
manière littérale, en se laissant séduire par la
diversité de ses illustrations et par sa tonalité comique,
légèrement provocatrice. Une autre lecture en filigrane est
également possible, celle qui permet de voir que derrière les
rires se cachent les pleurs et les cris. Au lecteur d'y trouver ce dont il a
envie, l'accès aux différentes strates de la signification est
fonction de son engagement.
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