2.2. LES DIFFÉRENTS CHAMPS DE L'ENGAGEMENT
L'engagement est un terme très vaste qui peut toucher
plusieurs domaines et revêtir différents mode d'expression
à savoir verbale ou graphique, qui plus est dans un livre de jeunesse ou
l'image occupe une place prépondérante. Parce qu'il existe une
22CHELEBOURG Christian et MARCOIN Francis, op.
cit., p.52.
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multitude de champs dans lesquels la littérature de
jeunesse s'engage, nous allons tenter ici d'en établir une
classification au travers de maisons d'éditions qui illustreront
à chaque fois les différentes « expressions » ou «
lieux » par lesquels l'engagement se réalise.
2.2.1. L'engagement graphique
L'expérience éditoriale de François
Ruy-Vidal à travers les éditions Harlin Quist est sûrement
l'exemple qui illustre le mieux ce que l'on peut appeler « l'engagement
graphique ». Celui-ci développe dans les années 70 un
concept singulier et personnel quant au livre de jeunesse en niant la
spécificité du public enfantin et en érigeant la recherche
d'esthétique comme principe fondamental. En témoignent ces
quelques lignes:
« Il n'y a pas d'arts pour l'enfant, il y a
l'Art.
Il n'y a pas de graphisme pour enfants, il y a le
graphisme.
Il n'y a pas de couleurs pour enfants, il y a les
couleurs.
Il n'y a pas de littérature pour enfants, il y a la
littérature.
Et partant de ces quatre principes, on peut dire qu'un livre
pour enfants est un bon livre
quand il est un bon livre pour tout le monde.
»23
François Ruy-Vidal apporte aux livres pour enfants une
nouvelle esthétique visuelle, inspirée des graphistes venus de la
publicité. Il privilégie des images symboliques suscitant
l'imaginaire des lecteurs et leur participation active afin
d'interpréter l'album. L'image s'adresse à l'imaginaire et
à l'inconscient de l'enfant, elle le met en face de véritables
créations et non plus devant des dessins mièvres et
édulcorés. L'illustration devient alors, au même titre que
les mots, un langage qui va explorer tous les modes d'expression en s'inspirant
par exemple du cinéma, de la photographie ou de l'art contemporain.
23SORIANO Marc, « RuyVidal,
François » in Guide de la littérature pour la jeunesse,
Paris: Flammarion, 1975, p.461.
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Dans la même veine que François Ruy-Vidal,
l'École des Loisirs fondée par Jean Fabre et Arthur Hubschmid
affiche également son engagement à proposer des albums de
qualité tant au niveau narratif qu'esthétique. Les publications
de cette maison d'édition vont ainsi faire appel à des artistes
internationaux à l'image d'un Maurice Sendak ou d'une Sonia Delaunay par
exemple, favorisant par la même l'expression et la reconnaissance de
créations inhabituelles comme les images abstraites de Petit bleu et
petit jaune de Léo Lionni en 1970 ou encore l'albums sans texte de
Iela Mari, sortit en 1967, qui s'intitule Les aventures d'une petite bulle
rouge, etc.
À l'heure où l'illustration jeunesse a atteint
sa pleine légitimité, où la création
révèle son foisonnement par la multiplication des styles et la
diversité des techniques employées, de tels éditeurs
pourraient désormais passer inaperçus mais ce serait oublier
qu'ils ont été les précurseurs à une époque
où l'illustration était encore largement considérée
comme un accompagnement descriptif du texte. C'est parce qu'ils se sont
engagés et qu'ils ont pris parti que l'illustration du livre de jeunesse
a évolué et changé. Parler aujourd'hui d' «
engagement artistique » au sens où nous l'avons abordé
serait donc un peu anachronique, même s'il existe encore à l'heure
actuelle bon nombre de maisons d'édition jeunesse qui affichent un
réel souci de qualité esthétique et graphique à
l'image des Éditions du Rouergue, lesquelles oeuvrent, selon leurs
propres termes, pour une « expression graphique originale
»24. Les albums de cette maison ont par ailleurs servi à
la réalisation de plusieurs films d'animation ce qui conforte
l'idée que l'illustration jeunesse, qui s'inspirait auparavant des
autres formes d'expressions telles le cinéma, la photographie, la
peinture, le collage, etc., a bel et bien acquis sa légitimité et
son autonomie à l'égard du texte, dont elle n'est plus le
subalterne.
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