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évolutions et perspectives de la littérature de jeunesse dite "engagée"

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par Caroline Lecomte
Université de Limoges - Master 2 Édition 2008
  

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CHAPITRE 2

QU'ESTCE QUE L'ENGAGEMENT?

2.1. TENTATIVE D'UNE DÉFINITION

Nous venons de le voir, depuis la seconde guerre mondiale et surtout après les événements de Mai 68, avoir pris en compte les interrogations métaphysiques de l'enfant semble être une des grande tendance de la littérature de jeunesse contemporaine.

La fonction référentielle qui dévoile les dimensions de la réalité inhérente à toute fiction, occupe alors une place de plus en plus importante. La préoccupation d'informer, d'apprendre et d'expliquer se fait progressivement sentir et le terme « engagé » apparaît pour qualifier la littérature. Nous nous attacherons ici à essayer d'en saisir le sens pour mesurer ce que la littérature de jeunesse dite « engagée » recouvre.

2.1.1. De l'engagement et de ses emplois

La notion d'engagement qui se retrouve dans de nombreux emplois, renvoie à de multiples acceptions, apparemment très éloignées : faire une promesse à l'image de deux personnes qui s'engagent l'une envers l'autre, contracter un engagement militaire ou professionnel, prendre publiquement position à l'instar d'un artiste ou d'un intellectuel, etc. Malgré des significations en apparences très diverses, il y a toutefois, un dénominateur commun entre tous ces exemples. Ce qui les lie, c'est le fait que dans tous, on s'engage soi-même en contrepartie d'autre chose. On remarque qu'on ne parle pas d'engagement lorsque qu'on engage quelque chose ou quelqu'un d'autre. S'engager signifie donc se donner soi-même en gage, en caution. Plus précisément, c'est prendre

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une décision libre qui comporte quelques risques pour soi-même. Autrement dit, s'engager, serait par conséquent prendre une responsabilité qu'on n'était pas obligé de prendre. De fil en aiguille, on en vient à admettre que l'engagement repose sur le concept de la liberté individuelle propre à chaque citoyen dans la mesure où il résulte d'une décision, d'un choix librement consenti. Qu'en est-il alors de ce terme quand il se rapporte à la littérature?

2.1.2. Le terme « engagée » pour qualifier la littérature

Historiquement, même si on a pu parler d'écrivains engagés au XIXe siècle pour qualifier Victor Hugo ou Émile Zola par exemple, le concept de littérature engagée est née lors des débats de l'entre deux guerres, qui ont vu l'affirmation d'idéologies totalitaires, avec des personnages comme Hitler ou Staline, et la menace bien réelle d'une Seconde Guerre mondiale promettant des années terribles. En effet, selon les intellectuels, et Sartre notamment, ce sont les circonstances dramatiques de cette moitié du XXe siècle qui vont pousser les écrivains à chercher de nouveaux moyens d'expression, à créer une sorte de littérature « en situation » qui rende compte de l'inquiétude du présent. Détachée de la conception de « l'art pour l'art » qui prévalait au XIXe siècle et par lequel l'artiste ne cherchait à exprimer que des idées artistiques, une conception nouvelle de l'art, engagé celui-ci, le considère comme le moyen d'exprimer des idées qui ne relèvent pas de l'art en lui-même, notamment d'idées politiques. L'écriture qui fait de l'écrivain le contemporain de ses compatriotes qui agissent, souffrent et combattent, va en faire de plus un porte-parole dans leurs luttes sociales et politiques. La littérature engagée part alors au combat pour s'attaquer de front aux maux de la société.

Sartre a théorisé20 et illustré cette vision de la littérature. Dans son essai publié en 1951 et intitulé « Qu'est-ce que la littérature », Sartre y définit ce qu'est pour lui la littérature engagée. L'écrivain qui utilise des mots est un prosateur, soit un parleur. Selon lui, « parler c'est agir » puisque celui qui s'exprime dévoile et révèle le monde de sorte que personne ne puisse ensuite l'ignorer et s'en dire innocent. Les notions de

20SARTRE Jean-Paul, « Qu'estce que la littérature » in Situation II, Paris : Gallimard, 1951.

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liberté et de responsabilité sont importantes. L'écriture selon Sartre, doit être à la fois une volonté et un choix, quant à l'écrivain, homme libre s'adressant à des hommes libres, il ne doit avoir qu'un seul sujet: la liberté, autrement dit tous les sujets. La responsabilité quant à elle est également réciproque. Elle concerne l'écrivain et le lecteur. En effet, si l'écrivain dévoile la société, celle-ci, se voyant nue et se découvrant, est placée devant un choix: s'assumer ou bien changer et évoluer.

Un peu plus tard en 1957, Albert Camus dans son discours de Suède21, réaffirme cette nécessité de l'engagement de l'écrivain et plus largement des intellectuels. Selon lui « l'écrivain ne peut se mettre au service de ceux qui font l'histoire : il est au service de ceux qui la subissent (...) Notre seule justification, s'il en est une, est de parler, dans la mesure de nos moyens, pour ceux qui ne peuvent le faire. » Camus pose la littérature engagée comme un moyen de prolonger la voix de tous. Elle n'est pas question de l'expression d'un seul homme. S'il n'aborde pas quant à lui la responsabilité du lecteur, il revendique et souligne lui aussi celle de l'écrivain qui doit s'attacher à révéler le monde. L'écrivain loin d'être dans une tour d'ivoire est en prise avec la communauté dont il ne peut s'arracher. Son écriture doit oeuvrer au «service de la vérité et de la liberté ». Elle ne peut s'accommoder du mensonge ou de l'assujettissement. Il y a chez Camus la même volonté de révéler la société, de revendiquer le droit à une expression libre et d'agir pour le peuple.

Cette définition de l'engagement et de la littérature engagée selon Sartre et Camus, nous aident à délimiter notre champ d'étude et à en comprendre ses enjeux. La littérature s'est dotée progressivement d'une fonction utilitaire, se devant d'être problématique et morale, sans être toutefois dogmatique. Camus dit d'ailleurs lors de son discours que:

« La vérité est mystérieuse, fuyante, toujours à conquérir. La liberté est dangereuse, dure à vivre autant qu'exaltante. Nous devons marcher vers ces deux buts, péniblement, mais résolument, certains d'avance de nos défaillances sur un si long chemin. Quel écrivain dès lors oserait, dans la bonne conscience, se faire prêcheur de vertu ? »

21CAMUS Albert, Discours de Suède, Paris : Gallimard, 1958.

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La littérature doit interroger, interpeller, tenter de comprendre sans juger. On constate actuellement que cet engagement est toujours très présent en littérature. Loin de ne s'intéresser qu'au politique et aux problèmes d'une société, il tend également à évoluer vers un « engagement civique », spécialisé dans des causes universelles telles que l'antiracisme, l'humanitaire, la défense des droits de l'homme ou celle de l'environnement et du développement durable, etc.

Cet engagement dans la littérature générale s'exprime également dans la littérature de jeunesse. Comme nous l'avons vu précédemment, l'engagement dans ce champ de l'édition est apparu dans les années 50 et s'est accéléré après les événements de Mai 68. Comme l'expliquent Francis Marcoin et Christian Chelebourg22, la littérature de jeunesse se dote, à cette époque, elle aussi de nouvelles ambitions:

« Loin de se situer sur le terrain du divertissement, [toute une pléiade de maisons d'édition] se dote d'un double devoir, qui est d'entretenir la vigilance du lecteur sur les questions essentielles tout en le soumettant à de fortes exigences nées d'une écriture sans concession, abordant les thèmes les plus austères (...) ».

L'engagement dans la littérature de jeunesse se traduira alors à travers un refus de la mièvrerie et la volonté d'aborder avec l'enfant des « sujets d'adultes ». François Ruy- Vidal dira d'ailleurs: « Ce n'est pas en sécurisant les enfants mais au contraire en les exposant progressivement à la vie qu'on en fait des adultes équilibrés. » Quels sont alors ces « sujets d'adultes » abordés dans la littérature de jeunesse engagée?

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"Je voudrais vivre pour étudier, non pas étudier pour vivre"   Francis Bacon