1.1.10. Comment est perçu le changement
organisationnel ?
Kets de Vries et Miller abordent la problématique de la
relation entre le changement et l'individu à travers
l'anxiété suscitée par la "menace" que représente
le changement pour un individu (en termes de changement de méthodes de
travail, pertes de certains repères, changement éventuel de
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collaborateurs, etc.). Ces auteurs considèrent que le
travail d'une personne par rapport au changement est complet lorsque le
processus de compréhension s'associe à un processus de deuil,
c'est-à-dire que, "comme pour la perte d'un être cher pour un
individu, les salariés de l'entreprise doivent apprendre à
oublier les anciennes manières d'être et de procéder, et
s'engager dans une sorte de processus de deuil pour pleurer le
passé".41
Le tableau suivant permet de mieux comprendre les
différentes étapes de ce "deuil" en leur associant des
comportements observés chez les individus et dans les organisations.
Etapes du processus de deuil
|
Manifestation chez l'individu
|
Manifestation dans l'organisation
|
Peur
|
Paralysie entrecoupée de moments
d'affolement et de colère.
|
Stupeur et désorientation.
|
Incrédulité
|
Recherche de ce que l'on a perdu, refus de la
réalité.
|
Survalorisation du passé et de ses
logiques connues.
|
Renoncement
|
Rejet des anciennes façons de penser et d'agir,
redéfinition de soi.
|
Redéfinition de la situation
s'accompagnant d'une exploration encore hésitante de la
nouvelle réalité.
|
Acceptation
|
Acceptation de la nouvelles réalité
avec reconstruction des représentations.
|
Acceptation de la nouvelle réalité et
projection dans le futur, ouverture vers l'avenir.
|
Figure 8 : processus de deuil face au changement selon Kets de
Vries et Miller42 1.1.11. Pourquoi résister lors d'un
changement ?
Dupuy43, dans la continuité de Kets de
Vries, explique que l'immobilisme face au changement a pour origine une peur
diffuse dans l'organisation. Cette crainte du changement entraîne
l'élaboration de plans réécrits plusieurs fois, ceci afin
de prévoir chaque détail du projet du changement. Comme le dit
Dupuy : "Le mieux est l'ennemi du bien et le perfectionnisme tatillon est
un puissant facteur d'immobilisme". Ainsi, le moindre doute, la moindre
imprécision concernant le projet de changement dans son processus peut
arrêter sa réalisation.
Dupuy précise que l'une des origines principales de
l'immobilisme dans les organisations est la rotation des dirigeants qui fait
qu'aucun d'entre eux ne veut prendre le moindre risque. En effet, le (court ?)
passage d'un dirigeant à la tête d'une organisation s'inscrit dans
un parcours de carrière
41 Kets De Vries M. et Miller D. (2006), La face
cachée du leadership, Village Mondial, Paris, p. 166
42 Kets De Vries M. et Miller D. (1985),
l'entreprise névrosée, Mc Graw-Hill, cité par
Autissier D. et Al (2014), Conduite du changement : concepts
clés, Dunod, Paris, p. 192
43 Dupuy F. (2004), Sociologie du changement,
Dunod, Paris, p. 205
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qui ne doit être marqué par aucun incident. Dupuy
dit d'ailleurs : "Changer devient d'autant plus une rhétorique
dominante qu'elle est une non-pratique".
Aussi, les décisions du changement sont prises la
plupart du temps selon une logique de "bonne raison", ne faisant appel qu'au
bon sens et à la logique des différents acteurs. Cette bonne
raison s'assimile au "one best way" taylorien : comme le changement est la
seule solution s'imposant d'elle-même de par le contexte de l'entreprise,
la décision s'impose elle aussi, sans discussion possible. Ce qui
entraîne une crainte dans le changement, c'est le passage d'une situation
de confort, où l'ensemble des méthode et processus est
maîtrisé, à une situation nouvelle : nouvelles
méthodes, nouveaux processus, nouvelle organisation.
Autissier et Moutot concrétisent cette peur par le
concept de la "vallée du désespoir". Lorsque l'ancien
système est remplacé par le nouveau, il y a une perte
systématique de productivité du fait de la mise en place de
nouveaux outils, de nouvelles méthodes et processus, de nouvelles
relations entre les différents acteurs. Il y a à ce
moment-là du changement une perte de productivité durant le temps
d'adaptation nécessaire à l'appropriation de la
réorganisation. Un effort d'apprentissage (et donc d'accompagnement)
doit alors être réalisé afin de retrouver (voire de
dépasser) le niveau de productivité qui existait avant la bascule
vers la nouvelle organisation.
![](Impacts-du-changement-oraganisationnel-cas-du-projet-industrialisation-au-sein-de-Sopra-banking-s7.png)
Figure 9 : "vallée du désespoir" selon Autissier
et Moutot44
Ainsi, la conduite du changement va avoir notamment pour
rôle de préparer l'ensemble des acteurs du changement afin de
minimiser cette perte de productivité. Le fait de retrouver très
vite le niveau de productivité initial (voire le dépasser) est le
meilleur justificatif de la nécessité du changement et permettra
de convaincre les derniers acteurs réticents.
44 Autissier D. et Moutot J.-M. (2013),
Méthode de conduite du changement, Dunod, Paris, p. 15
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Comme nous l'avons vu précédemment, tout
changement suscite des réticences (voire des oppositions) concernant
certains acteurs de ce changement. Comment alors faire de ce changement un
succès et rallier les opposants (au sens global du terme) à la
cause du changement ?
D'Herbemont et César ont développé ce
qu'ils appellent la "stratégie du projet latéral" consistant en
une "autre formulation du projet d'origine, qui tient compte des remarques
ou des besoins exprimés par les acteurs
alliés"45.
Chaque acteur est caractérisé soit par sa synergie,
soit par son antagonisme vis-à-vis du projet.
- Synergie : c'est l'énergie que développe un
acteur en faveur du projet
- Antagonisme : c'est l'énergie que développe un
acteur contre le projet46
Par rapport aux précédentes définitions
caractérisant chaque acteur selon son intensité, D'Herbemont et
César ont établi huit grands types d'attitudes socio-dynamiques
face à un projet :
- Le triangle d'or : doté d'une forte synergie
permettant de faire avancer le projet, et d'un certain antagonisme pour garder
du recul par rapport au projet et proposer des améliorations.
- L'engagé : forte synergie et aucun antagonisme. Il
adhère sans retenue au projet.
- L'hésitant : assez impliqué. Synergie et
antagonisme équivalents. Selon les circonstances, il soutiendra le
projet ou ne le soutiendra pas.
- Le passif : synergie et antagonisme faible, voire nuls.
L'ensemble des passifs constitue la "majorité silencieuse", voire les
"poids morts". Ce sont pourtant des personnes extrêmement importantes,
car il s'agit de la typologie la plus répandue.
- Le râleur : synergie très faible, petit
antagonisme.
- L'opposant : image renversée de l'engagé.
Beaucoup plus antagoniste que synergique. Sensible aux rapports de force.
- Le déchiré : à la fois totalement pour
le projet, mais pense que ce n'est pas comme cela qu'il faut s'y prendre. Il
vit mal ce paradoxe.
- Le révolté : très fort antagonisme.
Préfère tout perdre plutôt que de laisser une quelconque
chance au projet de réussir.
45 D'Herbemont O. et César B. (1998), La
stratégie du projet latéral, Dunod, Paris, p.53
46 D'Herbemont O. et César B. (1998), La
stratégie du projet latéral, Dunod, Paris, p.34
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![](Impacts-du-changement-oraganisationnel-cas-du-projet-industrialisation-au-sein-de-Sopra-banking-s8.png)
Figure 10 : typologie des comportements selon D'Herbemont et
César47
Suite aux différentes résistances au changement
organisationnel que nous venons d'exposer, il nous paraît important
d'aborder les clés de réussite pour que ce changement en soit
une.
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