5. Le poisson d'eau douce
élevé et ses représentations
Des représentations analysées ci-dessous, la
première est la plus répandue au sein de notre population
d'étude. Par ailleurs, les autres représentations
évoquées nous permettent simplement de comprendre que la
manière dont la consommation du poisson d'eau douce élevé
est vue, peut contribuer à l'adoption de la pisciculture. Car, consommer
le poisson élevé dans l'arrondissement de Fokoué, c'est
permettre aux pisciculteurs d'écouler leurs produits et ainsi
redynamiser la production.
6. Un aliment
« suspect »
Les sociétés humaines en général
et la société Dschang en particulier dispose d'un appareil de
catégorie (Fischler, 1990 et Lahlou 1998), d'une pensée
classificatoire leur permettant de catégoriser le comestible et le non
comestible. A cet effet, un produit qui n'appartient pas à la
catégorie du comestible est potentiellement dangereux. Les Dschang
qualifient le poisson d'eau douce élevé d'aliment
« suspect ». Selon eux, des poissons tels que le
silure, le tilapia, la carpe et le kanga vivent dans les eaux des mers
et des rivières, et ne peuvent donc pas se retrouver dans l'Ouest du
pays. Alors,
« Dire qu'on élève ces
poissons-là ici à Dschang, c'est quand même
suspect »,
affirme un enquêté. Cette suspicion est la
conséquence d'une difficulté à ranger ce type de poisson
dans l'ordre du « culturellement mangeable ». Mettre un
aliment dans sa bouche, c'est incorporer quelque chose d'extérieur,
étranger à soi. Quand cet aliment étranger semble suspect,
il peut provoquer une certaine peur, donner l'impression d'être envahi
par quelque chose de nuisible. L'Homme Dschang a donc besoin de connaitre ce
qu'il mange, afin de réduire l'écart entre l'identité du
mangeur et l'identité du mangé. Claude Fischler l'a bien
rappelé en soulignant que, face à l'angoisse alimentaire et sa
perception du risque, le consommateur éprouve le besoin de connaitre et
de savoir ce qu'il mange, il ne veut plus ingérer d'Objet Comestible Non
Identifié.
7. Un aliment identitaire
Outre la fonction première de l'alimentation qui est de
nourrir, elle s'avère également porteuse d'une dimension
identitaire, c'est-à-dire relative au sentiment d'appartenance à
un groupe ou à une communauté spécifique. La population
concernée par notre étude est constituée d'individus issus
de régions et de provinces voisines, venus s'installer à Dschang
pour diverses raisons dont les affectations, les mutations, les raisons
académiques pour les étudiants... du fait de ces
déplacements, les migrants perdent peu à peu les habitudes
alimentaires inhérentes à leurs milieux d'origine. Alors la
commercialisation du poisson d'eau douce élevé représente
pour certain une occasion de renouer avec les mets de leur culture, comme le
dit si bien une enquêtée originaire du Centre et affectée
à la sous-préfecture de la Menoua :
« Moi je préfère les silures,
ça va me rappeler le bon ndomba de chez nous ».
Ainsi, on recherche à travers l'incorporation
alimentaire, à reconstruire une identité, à renouer avec
un paysage plus ou mythifié, à affirmer une appartenance
géographique et culturelle plus ou moins diluée par
l'urbanisation (Corbeau et poulain, 2002).
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