3. Les croyances locales
Par croyances locales, nous entendons des convictions non
fondées ou motivées rationnellement et partagées de
manière collective par les membres d'une société
donnée. Vu sous cet angle, le poisson d'eau douce élevé
fait l'objet de certaines croyances qui ont une influence déterminante
sur les comportements des consommateurs, et par là même sur
l'avenir de la pisciculture. D'après les propos recueillis, ces
croyances peuvent être analysées à trois niveaux à
savoir l'élevage, le produit et le producteur.
a- Au niveau de l'élevage
A Fokoué, village où la pisciculture est
pratiquée, les populations croient que les étangs où l'on
élève le poisson d'eau douce, sont fréquentés par
des « totems » qui se matérialisent de diverses
manières. Selon les dires des uns et des autres, ils apparaissent sous
forme animal (la loutre), ou d'élément de la nature
(arc-en-ciel). La cohabitation entre les êtres surnaturels et le poisson
d'eau douce élevé rend ce dernier non consommable aux yeux des
populations. De la sorte, celles-ci cherchent par le refus de consommation,
à se prémunir contre le danger que représente
l'incorporation d'un aliment ayant un quelconque rapport avec des
phénomènes magico-religieux. La conséquence logique de
cette croyance est que les pisciculteurs sont découragés car,
dans ce contexte, même une opinion individuelle sur l'existence de ces
phénomènes peut finir par être partagée par un grand
nombre de personnes.
b- Au niveau du produit
La plupart des enquêtés dans l'arrondissement de
Fokoué n'ont auparavant jamais vu un silure. C'est un poisson dont le
corps ondule et possède une tête plate. Cela fait que ces
personnes croient que ce sont des serpents, comme l'affirme une femme
âgée lorsque nous lui demandons si elle en a déjà
consommé :
« Ici, il y a des gens qui élèvent
des serpents dans l'eau, ça ce ne sont pas des
poissons ».
Cette croyance n'a pour effet que d'entretenir les craintes
et les suspicions à l'égard du poisson d'eau douce
élevé. Par ailleurs, son effet est d'autant plus prégnant
qu'elle est répandue au sein de la population par le « bouche
à oreille ».
c- Au niveau des producteurs
Les pisciculteurs de Fokoué n'échappent
guère au système de croyance que les populations se construisent
autour du poisson d'eau douce élevé. En effet, pour les
consommateurs, les pisciculteurs sont les seuls à savoir comment et avec
quoi ces poissons sont élevés. C'est pour cela que certains
consommateurs prennent la peine de demander avec quoi ces poissons sont
nourris. En plus, on croit que le rapport, ou mieux, le contact entre le
producteur et le poisson qu'il élève lui-même le
« dénature », dans la mesure où le dit
poisson ne peut plus être considéré comme pur et naturel.
Ainsi, l'on ne veut pas manger le poisson « d'un producteur qui
se comporte mal avec les gens ».
Producteur
(dont on croit que le contact avec le poisson dénature
ce dernier)
Poisson d'eau douce élevé
(assimilé à un serpent pour le cas du silure)
Elevage des poissons (associé à
des pratiques magico-religieuses)
Consommateur
(dont la réticence face à la consommation du
poisson inhibe le développement de la pisciculture)
Figure 4: influence des croyances des
consommateurs sur le développement de la pisciculture
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