2. L'espace culinaire
Entendu comme l'ensemble des opérations techniques,
symboliques et rituelles qui participent à la construction de
l'identité alimentaire d'un produit naturel et le rendent consommable
(Poulain, 2002), l'espace culinaire des populations étudiées ne
dispose pas des techniques appropriées pour la préparation
culinaire du poisson d'eau douce élevé. En effet, ce type de
poisson possède des propriétés physiologiques qui exige la
maitrisent de techniques particulières pour leur préparation. La
méconnaissance ou l'ignorance de ces techniques déterminent chez
les populations leur décision de consommer ou non le poisson d'eau douce
élevé. A titre illustratif, nous avons pu observer le cas du
silure dont la peau nu et gluante lui donne un gout amer et pratiquement
immangeable si cela n'est pas cuisiné de façon appropriée.
C'est l'idée qu'exprime une ménagère dans les termes
suivants :
« Comment voulez-vous qu'on achète un
poisson qu'on ne sait même pas préparer ? J'ai essayé
le poisson qu'on appelle silure sur la braise, ça n'a pas marché,
personne n'a mangé à la maison ».
Ces propos traduisent l'influence d'un espace culinaire locale
sur les comportements alimentaires de ses membres. Selon les
spécialistes du marketing, le succès d'une activité
commerciale dans le domaine alimentaire repose essentiellement sur les
capacités du produit à satisfaire les consommateurs. Dans ce
sens, la commodité, entendue comme la facilité d'utilisation, est
une des composantes qui permettrait aux consommateurs d'adopter un produit. Ce
qui n'est pas toujours le cas avec le poisson d'eau douce élevé.
L'on entendra alors des pisciculteurs dire par exemple :
« Nous ne sommes pas très motivés
dans la pisciculture ici, puisque le poisson que l'on essaye de produire,
beaucoup de gens disent qu'ils ne savent pas comment le préparer, donc
ils ne peuvent pas l'acheter ! ».
L'espace culinaire, vu sous cet angle, explique dans une
mesure le doute des paysans de Fokoué à s'engager de
manière durable dans la pisciculture.
Cependant, il importe de faire un distinguo entre la zone
rurale (Fokoué) et la zone urbaine (ville de Dschang), où une
partie du poisson pêché est vendue. L'enquête par
questionnaire montre que le pourcentage le plus élevé (74%) de
personnes éprouvant des difficultés dans la préparation
culinaire du poisson d'eau douce élevé vit en zone rurale. Nous
pourrions l'expliquer par le fait que cette société est
géographiquement et culturellement éloignée des
régions où le poisson d'eau douce est habituellement
consommé. Par contre, nous avons pu observer qu'une proportion moins
importante (35%) de personnes rencontrant des difficultés dans la
préparation de ces poissons réside en zone urbaine. A cet effet,
nous dirons que ce contraste résulte du fait que la population urbaine
est plus cosmopolite, car on y retrouve des individus de cultures diverses,
dont les Béti du Centre et du Sud, ou encore les côtiers du
Littoral, où le poisson d'eau douce est un aliment ordinaire.
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