CHAPITRE IV : ESSAI
D'INTERPRETATION SOCIO-ANTHROPOLOGIQUE
Notre question de départ était de savoir ce qui
explique la difficulté des paysans de Fokoué, à
intégrer la pisciculture dans les Exploitations Familiales Agricoles,
malgré les avantages qu'elle apporte. A partir des données
collectées et analysées, nous essayons dans ce chapitre,
d'apporter des éléments de réponses en tenant compte de la
posture théorique que nous avons adoptée. Ainsi, seront
abordés successivement les freins à l'intégration de la
pisciculture dans les Exploitations Familiales Agricoles, les
représentations qui tournent autour du poisson d'eau douce
élevé, les comportements adoptés par les consommateurs
à l'égard de ce poisson. Nous verrons également les
différents facteurs qui entrent dans la construction des
préférences alimentaires liées au poisson d'eau douce
élevé, les représentations inhérentes à sa
qualité et le processus d'adoption du nouveau produit par les
consommateurs. Pour finir, nous analyserons les moyens par lesquels le poisson
d'eau douce élevé peut être internalisé par les
consommateurs.
· Des facteurs explicatifs de l'intégration
problématique de la pisciculture dans les Exploitations Familiales
Agricoles
Les données disponibles permettent de mettre en
évidence trois types de facteurs qui nous renseignent sur le difficile
développement de la pisciculture dans l'arrondissement de Fokoué.
Ces facteurs sont d'ordre socioculturel, économique et
individualiste.
1. Les facteurs socioculturels ou
« holistes »
1. Les habitudes alimentaires
L'ordinaire alimentaire en vigueur chez les Fokoué
recèle une large palette de produits consommables, dont le poisson d'eau
douce élevé ne fait habituellement pas partie. L'agriculture
étant la principale activité de subsistance, on y retrouve
prioritairement des légumes, des tubercules, des céréales
et des fruits. Le poisson consommé dans la région est de deux
types : le /bunga/ « poisson sec » est
la forme la plus rependue. Il entre dans la composition de nombreux mets et
s'avère économiquement accessible pour la plupart des
ménages. Le second type de poisson est le /msèfi/
« poisson frais ». Pour les personnes interrogées,
il renvoie généralement au poisson surgelé importé,
perçu également comme un bourratif. Dès lors, le poisson
d'eau douce élevé intervient dans ce système alimentaire
comme un élément étranger, élément singulier
qui renvoie pour certains à une intrusion dans la quotidienneté
alimentaire locale. Cette posture des membres de la socio-culture fokoué
à l'égard du poisson d'eau douce élevé qui est le
produit de la pisciculture, ne peut être favorable à son
développement. On s'aperçoit alors que les habitudes alimentaires
des populations déterminent d'une certaine manière leurs
comportements par rapport à un produit ou à un aliment nouveau.
En d'autres termes, si les populations ne s'intéressent pas au poisson
d'eau douce élevé, c'est en partie parce qu'ils n'y sont pas
habitués. C'est ce qu'affirme un de nos
enquêtés :
« Ce poisson-là, nous on ne connait pas
ça ici, ce n'est pas de chez nous ».
Il s'agit de l'influence d'un système alimentaire dont
les règles portent sur le choix des produits mais aussi sur la
manière de les cuisiner, car si nous ne consommons tout ce qui est
biologiquement comestible, c'est que tout ce qui est biologiquement mangeable
n'est pas culturellement comestible (Fischler, 1990). Ainsi, pratiquer une
nouvelle activité de production dans une société
donnée, met à la disposition de celle-ci un produit alimentaire
qui sort de l'ordinaire. Il n'est donc pas étonnant de se retrouver en
présence d'un système de production alimentaire qui ne cadre pas
avec la réalité socioculturel du milieu dans lequel il est
inséré.
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