8.3.3. Le concept
d'innovation
Une innovation est définie comme une idée, une
pratique ou un objet qui est perçu comme nouveau par un individu ou une
autre unité d'adoption (Rogers, 2003). De nombreuses
idées nouvelles sont des innovations technologiques et la plupart de ces
technologies ont deux composantes : une composante matérielle qui
consiste en l'ensemble des dispositions matérielles (objets physiques)
qui font partie de cette technologie (ex : un étang), puis une
composante immatérielle que constitue le savoir faire inhérent
à cette technologie (ex : les connaissances relatives aux
techniques de pêche et à l'entretien des étangs). Les
caractéristiques d'une innovation telles que perçues par les
membres d'un système social, déterminent son niveau d'adoption.
Rogers (2003) distingue cinq variables qui sont considérées comme
les attributs d'une innovation : avantage relatif, compatibilité,
complexité, triabilité et observabilité.
8.3.4.
Anthropologie et innovation
Pour Pierre Yves Guiheneuf (1993),
l'anthropologie a peu étudié l'innovation, qui n'est
généralement pas considérée par la discipline comme
un objet scientifique. Son étude s'est souvent fondue dans celle du
changement social. Cependant, plusieurs travaux en socio-anthropologie y font
référence. Selon la façon dont ils abordent l'innovation,
on peut distinguer les points de vue suivants:
a- L'innovation en tant que processus de
diffusion
Dans cette rubrique, le point de vue dominant est le paradigme
épidémiologique. Son porte-drapeau est l'américain
Everett Rogers, dont l'étude pionnière portait
sur la diffusion du maïs hybride dans l'Iowa. C'est cette école,
qui a suscité depuis lors des milliers d'études de cas, qui a mis
en évidence la courbe en S qui décrit le rythme d'adoption d'une
innovation dans un milieu donné, et qui classe la population en 5
groupes à savoir les innovateurs précoces, les adopteurs
précoces, la majorité précoce, la majorité tardive
et les retardataires.
b- L'innovation en tant qu'enjeu social
Cette école, assez ancienne, étudie l'innovation
dans les enjeux locaux, et notamment les rapports de pouvoir. Son étude
pionnière a porté sur la diffusion du maïs hybride dans le
Sud-Ouest de la France. A partir d'une analyse de la place occupée dans
la société par les porteurs de l'innovation, ces travaux ont
montré que l'innovation a des impacts sociaux qui ne s'arrêtent
pas à son adoption : elle peut s'intégrer dans des
stratégies visant à pérenniser ou au contraire à
bouleverser la structure sociale.
c- L'innovation en tant que production du savoir
populaire
Paul Richards, socio-anthropologue anglais,
s'est intéressé aux petites innovations techniques, permanentes
mais peu reconnues. Il les interprète comme une forme de RD paysanne, de
recherche populaire.
d- L'innovation en tant que
réinterprétation
Norman Long ou Jean-Pierre
Darré illustrent bien cette école, qui étudie la
réinterprétation des messages reçus par les paysans, et la
capacité de ces derniers à produire du sens sur l'innovation. Ils
mettent l'accent sur le calcul stratégique des innovateurs.
Ces points de vue ne sont pas nécessairement exclusifs.
Ce qui peut être dangereux en revanche, c'est de s'enfermer dans des
courants de pensée à caractère dogmatique comme l'utopisme
paysan ou l'exaltation des systèmes de signification locaux. D'ailleurs,
certains principes concernant l'innovation et connus depuis le début du
siècle, sont largement admis. Par exemple:
- le principe de désarticulation (adoption par parties
de paquets techniques proposés aux paysans)
- le principe de détournement (une innovation est
adoptée pour satisfaire d'autres objectifs que ceux envisagés
à l'origine).
L'innovation est toujours un jeu interactif, dans lequel les
médiateurs (innovateurs, agents de développement...) ont une
grande importance.
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