2) La crise de l'identité et du sujet.
Au XXème siècle, le personnage s'interroge surtout
sur son identité et sa liberté ; devenu citoyen et libre, mais
aussi rappelé à sa dépendance par les sciences humaines,
le personnage romanesque doit affronter un monde qui lui paraît mouvant,
étranger et absurde.
Le roman questionne la liberté etl'unité de la
personne humaine: « La découverte d'une telle dualité
m'étonnait prodigieusement » (page 71).
« J'entrais par Anne dans un monde de reproches, de mauvaise
conscience, où, trop inexperte à l'introspection, je me perdais
moi-même » (page 65).
« J'aurais voulu être caressée,
consolée, raccommodée avec moi-même » (page
67).
« J'avais toujours vécu. Or, voici que ces
quelques jours m'avaient assez troublée pour que je sois amenée
à réfléchir, à me regarder vivre. Je passais par
toutes les affres de l'introspection sans, pour cela, me réconcilier
avec moi-même » (page 71).
3) La notion de responsabilité.
Sartre décrit l'homme plongé dans un univers
absurde et cherche par quelles voies il pourrait échapper au
désespoir.Les personnages de Sagan le font dans les ivresses, nous y
reviendrons.
Sartre revendique un existentialisme athée: l'homme, pour
justifier sa propre existence et donner un sens à sa vie, ne peut
compter que sur lui-même.
Ce délaissement engendre le désespoir qui est le
sentiment de ne pouvoir attendre aucun secours ni du ciel ni d'une doctrine
toute faite, et l'angoisse, qui est la conscience de notre totale et profonde
responsabilité.
L'homme doit assumer cette responsabilité dans le plein
exercice de sa liberté. S'il se retranche derrière des traditions
ou des habitudes, s'il s'égare dans ses rêveries
chimériques, il renonce à être lui-même et succombe
à la mauvaise foi.
Chaque situation nous impose un choix original, qui nous engage
et qui engage autrui. Il est impossible de s'y dérober, puisque
l'abstention elle-même est un choix. A la fin du roman, Cécile
refuse d'intervenir pour empêcher le drame de se produire :
« Je m'enfuis. Que mon père fasse ce qu'il
veut, qu'Anne se débrouille. J'avais d'ailleurs rendez-vous avec Cyril
» (page 142).
Cécile tente de se déresponsabiliser et de se
déculpabiliser :
« Je tremblais de remords... comment avais-je pu dire cela,
accepter les bêtises d'Elsa ? »(page 83). « Cyril et Elsa
m'auraient encore extorqué des idées et je n'y tenais
pas ».Le lecteur est témoin de la mauvaise foi de
Cécile.
Tout ce qui encombre l'esprit est chassé par la
frivolité, la gravité est évincée au profit de la
légèreté.Cyril la détourne de ses
problèmes:
« La seule chose qui me tourmentât en ce moment,
c'était son regard [de Cyril] et les coups de boutoir de mon coeur
» (page 21).
« Mais Cyril était là et suffisait à
mes pensées » (page 41). « Et de plus, Cyril m'aimait, Cyril
voulait m'épouser: cette pensée suffisait à mon
euphorie » (page 92).
« Pour ma part, je ne pourrais pas supporter longtemps
le souvenir du visage bouleversé qu'elle [Anne] m'avait montré
avant de partir, ni l'idée de son chagrin et de mes
responsabilités ».(page 146)
Le suicide déguisé en accident apparaît comme
un ultime cadeau: Anne dispense Raymond et Cécile de toute
culpabilité. « Alors je pensai que, par sa mort,Anne se
distinguait de nous. Si nous nous étions suicidés, mon
père et moi, c'eût été d'une balle dans la
tête, en laissant une notice explicative destinée à
troubler à jamais le sang et le sommeil des responsables » (page
150).
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