2) Un roman psychologique.
Le roman psychologique est inauguré au XVIIème
siècle par Mme De La Fayette. La princesse de Clèves
réalise une mutation importante dans le roman par l'usage du monologue
intérieur: le spectacle romanesque se déplace de
l'extérieur vers l'intérieur, ouvrant la voie à des
expériences ultérieures comme A la recherche du temps
perdu de Proust.
Françoise Sagan utilise le monologue intérieur, qui
révèle l'inadéquation de soi à soi: Cécile
examine ses états d'âme,elle partage avec le lecteur ses
pensées intimes, ses doutes et ses ambitions, à la manière
d'une confession.
Elle voyage de plus en plus à l'intérieur de sa
conscience et de son être intime. Son intériorisation progressive
marque son évolution. Au personnage agissant des débuts du roman
se substitue progressivement un personnage réfléchissant et
pensant :
« Vous qui étiez si contente et agitée, vous
devenez cérébrale et triste » lui dit Anne.
« Pourquoi ce visage, cette voix troublée ? (...)
Aimait-elle mon père ? Je passais une heure à faire des
hypothèses ». (page 23) « L'aimait il ? Pourrait-il l'aimer
longtemps ? » (page 58) « d'ailleurs, n'étais-je pas heureuse
? Elle me guiderait [...] J'étais écoeurée » (page
56) Cécile découvre l'ambiguïté de ses affects.
Ses états d'âmes fluctuent: dès les
premières lignes du roman, le lecteur perçoit l'ambivalence du
personnage: le sentiment auquel Cécile est confrontée est
associé à « une soi énervante et douce ». Ce
tiraillement et cette bascule permanente soulignent les exigences
contradictoires de la conscience et constitue l'un des traits principaux de
Cécile, qui oscille entre remord et regret, ordre et
légèreté.
La jeune fille réfléchit et analyse beaucoup les
choses, elle se torture l'esprit à maintes reprises.Elle est
déstabilisée par ses propres réactions. Elle est
confrontée à un dilemme, poursuivre sa vie agréable mais
futile ou rentrer dans l'âge adulte, perdre son indépendance,
accepter une vie plus équilibrée.
« La découverte d'une telle dualité
m'étonnait prodigieusement [...] Et brusquement, un autre moi
surgissait » « comment pourrais-je lui en vouloir ? [...] Mais
soudain, l'idée qu'elle allait partager notre vie me hérissait.
Elle ne me semblait plus qu'habileté et froideur » (page 71).
Cécile ressent un sentiment contrasté et ambivalent
envers Anne : elle l'admire : « si elle m'intimidait, je l'admirais
beaucoup ». (page 16) « Je la louais en moi-même de sa
patience, de sa générosité » (page 37) Et en
même temps, elle veut l'écarter de son chemin.
« Elle va nous voler tout, comme un beau serpent... un beau
serpent... je me sentais blêmir de honte » : les
répétitions « un beau serpent » marque les mouvements
de sa pensée et l'obsession qui s'installe peu à peu dans son
esprit.
Cécile est prisonnière d'un conflit
intérieur que nulle croyance extérieure ne peut calmer.
L'écriture à la première personne assure le
triomphe de la subjectivité, elle a la force d'un témoignage
à la fois sincère et vécu et leur authenticité
paraît plus grande. Cela nourrit l'illusion réaliste. Les faits
n'existent plus en eux même mais seulement perçus par l'individu.
Cela constitue un renversement par rapport au narrateur omniscient dans le
roman réaliste du XIXème siècle.
Cécile est un narrateur auto diégétique
puisqu'elle est à la fois narrateur et protagoniste. Toute l'histoire
se déroule à travers son point de vue : elle porte un regard
sur elle-même et qui observe ce qui l'entoure:
« J'acquérais une conscience plus attentive des autres, de
moi-même. » (page 71). Son récit mêle les
descriptions et ses propres ressentis. Elle est à la fois actrice et
juge de la situation.
Les personnages prennent vie à travers son regard : «
mon père et ses femmes apparurent ». (page 33), « mon
père sortait de l'eau, large et musclé, il me parut superbe
» (page 92).
Elsa est présentée d'abord comme superficielle et
idiote, mais elle devient peu à peu sensible.
C'est la psychologie des personnages qui détermine
l'action; Cécile, en proie à des sentiments « acides et
déprimants », décide d'élaborer un plan et de mettre
en route la tragédie.
L'action du personnage est principalement une
réaction : Cécile, impulsive, se précipite chez Cyril
une fois qu'Anne l'a énervée :« Je me mis à
courir poussée par une rage » (page 100).Son premier rapport sexuel
est perçu comme une provocation envers Anne.
Françoise Sagan, dans la tradition du roman psychologique,
met dans son texte plusieurs maximes.
« L'insouciance est le seul sentiment qui puisse
inspirer notre vie et ne pas disposer d'arguments pour se
défendre. » (page 63),« Quand on est ivre, on dit la
vérité et personne ne vous croit. » (page 125), ou
encore « On s'habitue aux défauts des autres quand on ne croit
pas de son devoir de les corriger. » (page 105).
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