II/ Le roman à la croisée des genres.
Le roman au XXème siècle s'est inspiré des
genres qui l'ont précédé, dans le traitement des
données essentielles du temps et de l'espace, ce qui le rapproche du
théâtre et de la poésie narrative, mais également
dans la création des personnages et des caractères, ce qui le
rattache aux genres de fiction comme le conte et la nouvelle.
Les legs techniques se présentent sous la forme de
procédés simples ou empiriques (créations de noms de
famille et de prénoms, titres, surnoms...) et de techniques ou
procédés généraux (monologue intérieur,
dialogue, style indirect libre...) qui établissent des relations de type
indiciel entre l'intérieur et les apparences, le milieu social et le
personnage.
1) Un roman d'apprentissage ?
L'évolution du personnage au cours même d'un
récit semble bien caractéristique de la nature du personnage
romanesque. Certes, il y'a parfois des personnages statiques dans un roman,
mais ils jouent en général un rôle de faire-valoir par
rapport à ceux qui évoluent. On peut pratiquement dire que tout
roman est un roman d'apprentissage, et que si le héros n'évolue
pas, c'est que l'apprentissage est raté.
Les premières lignes du roman dévoilent une
narratrice qui analyse son ressenti, une narratrice qui a changé,
confronté à une émotion nouvelle, la tristesse. Le roman
va relater l'évolution d'une conscience, la transformation d'une jeune
fille qui fait l'apprentissage de nouveaux sentiments.
« C'était mon premier contact avec la cruauté. Je
bâtis soigneusement un plan » (page 106).
Le conflit avec Anne lui fait prendre conscience de sa «
dualité », et de sa médiocrité.
Cécile devient une femme : elle perd sa
virginité. Avant Cyril, elle ne connaissait que « des amours
rapides, violentes et passagères », elle cherchait « une
douceur de père et d'amant » chez les amis de son père (page
14). « Je pensais que toutes mes amours avaient été ainsi :
une émotion subite devant un visage, un geste, sous un baiser... »
(page 40).
En 1958, Simone De Beauvoir publie Mémoires d'une
jeune fille rangée, le récit de la construction d'une
identité.
L'héroïne connaît une série
d'initiations, d'épreuves, de crises, mais - et c'est ce qui l'oppose au
récit d'apprentissage classique - il ne s'agit pas d'intégrer la
société.
Tout comme Mémoires d'une jeune fille
rangée, Bonjour Tristesse n'est pas un roman
d'apprentissage classique.
« Je ne sais pas si c'est de l'amour que j'avais pour
lui en ce moment, j'ai toujours été inconstante et je ne tiens
pas à me croire autre que je ne suis » (page 102) : le
récit est entrecoupé de réflexions au présent qui
induisent que Cécile n'a pas changé de caractère.
De plus, après la mort d'Anne, Cécile n'a plus
aucun intérêt pour Cyril : « Je le regardai: je ne l'avais
jamais aimé. Je l'avais trouvé bon et attirant; j'avais
aimé le plaisir qu'il me donnait; mais je n'avais pas besoin de lui.
J'allais partir, quitter cette maison, ce garçon et cet
été. » (page 150).
Le doute quant au suicide d'Anne la dégage de toute
responsabilité. Et si Cécile dit bonjour à la tristesse,
elle reprend tout de même sa vie d'avant.Son père retourne
également à une vie dissolue.
« La vie recommença comme avant, comme il
était prévu qu'elle recommencerait. Quand nous nous retrouvons,
mon père et moi, nous rions ensemble, nous parlons de nos
conquêtes. [...] Nous sommes heureux. L'hiver touche à sa
fin, nous ne relouerons pas la même villa, mais une autre, près de
Juan-les-Pins. » (page 154).
Ainsi, Bonjour Tristesseserait le récit d'une
éducation sentimentale ratée, avortée. L'oeuvre relate
davantage la faillite du roman d'apprentissage que son succès.
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