2) Sagan, icône de sa génération.
Le héros romanesque est le plus souvent aux prises avec
l'ancien et le moderne, à la charnière de deux époques, un
être en mutation.En 1998, dans Le Figaro Magazine,
Françoise Sagan donne un entretien à Philippe Sollers, qui
revient sur le contexte de l'époque.
- Ph. Sollers - Nous sommes dans les années 50. De Gaulle
vient d'arriver, la guerre d'Algérie est en cours, la France est
épuisée. On attend une relève qui ne vient pas. Tout
à coup surgit Sagan, et avec elle une génération. Alors le
projecteur se braque...
- F. Sagan - Un projecteur un peu manichéen, avec les bons
et les méchants. À l'époque, on discutait âprement
de sujets qui, aujourd'hui, ne prêtent même plus à
discussion.
- Ph. Sollers - Avec Sagan, tout un pays découvrait un
mode de vie, une façon d'être. C'est ce qui les frappait, les
Mauriac, les Aragon : qu'on puisse vivre autrement. Ils avaient vécu des
temps plus durs.
- F. Sagan - C'était la fin d'une époque et le
début d'une autre.
Bonjour Tristesse annonce les années 60 et les
Trente Glorieuses, le début d'une société Française
plus permissive, éprise de liberté et d'insouciance.
Sagan, de par son mode de vie débridé - casinos,
alcool, liaisons multiples, voitures de sport - devient le symbole de la jeune
femme hédoniste, désinvolte, qui vit dans l'instant et sans
limites.
Le mensuel Réalités la dépeint
comme « une personnalité éprise de liberté, qui
fuit toute forme d'emprisonnement. Elle s'élance, provoque, puis
s'évade et ne donne jamais prise ».
Françoise Sagan, qui déclare « n'être le
porte-drapeau de personne », (Derrière
l'épaule, 1990), est propulsée icône de la Nouvelle
Vague, des gens en quête d'indépendance et souvent oisifs.
Le 3 septembre 1959, Dans France-Observateur,
François Nourissier écrit un article intitulé
« Madame Sagan » :
« C'est désormais cette toute jeune femme qui
nous aura - avec la plus cruelle, et tranquille, et inexorable
objectivité - observés, devinés, regardé vivre,
écouté bavarder, regarder vieillir, aimer, boire, avoir peur,
nous ennuyer : c'est elle qui aura trahi tous nos secrets :
Nous : je veux dire les bourgeois Parisiens, des années cinquante.
Bonjour tristesse révéla aux gens confortables que leurs filles
faisaient l'amour et que leur façon de vivre - la Côte en
été, un peu d'ennui, six pièces à Passy - avaient
des vertus littéraires, un style. »
Dans une interview au Figaro, en 2004, Françoise
Sagan explique:
« La sortie de Bonjour Tristesse a correspondu
à un moment où la jeunesse avait besoin d'un peu plus de
liberté. Maintenant, elle est au pouvoir. Les adolescents sont
traités en adultes. Ils existent pleinement dans une
société faite pour eux. A l'époque, c'était le
contraire ».
Sagan devient le symbole d'une jeunesse aisée et
désillusionnée qui rejette les anciennes valeurs, les
conventions, et qui privilégie l'hédonisme, pensant que faire la
fête, s'adonner aux plaisirs de la chair, vivre des aventures et ne rien
construire, peut justifier l'existence.
Le 26 mai 1954, Emile Henriot, dans Le Monde,
déclare : « C'est la morale de l'époque pour beaucoup. Rien
n'a d'importance et l'on fait ce que l'on veut ».
Gaétan Picon découvre dans le roman de
Françoise Sagan « le portrait d'une génération
nouvelle, aux moeurs libres, à l'esprit aigu, au coeur vide »
et ajoute « la couleur des romans de Sagan colle admirablement aux tons
fatigués de nos histoires réelles ».
Le 6 septembre 1957, dans L'Express, Madeleine Chapsal
analyse: « Sagan personnifie toute une jeunesse d'aujourd'hui, vieillie
par crainte de le devenir, triste par goût du bonheur, et dont la
dissipation cache mal une nostalgie immense, enfantine, de la vie la plus
rangée ».
Françoise Sagan devient également le symbole de
l'émancipation féminine. Comme le rappelle son fils Denis
Westhoff dans une interview accordée à France
inter : « Elle a écrit tout haut ce que les jeunes filles
de l'époque pensaient tout bas. » (8 juillet 2012).
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