6) Divertissements.
Selon Pascal, est divertissement toute activité qui
empêche l'homme de réfléchir aux problèmes
posés par sa condition. C'est l'homme sans Dieu qui se livre au
divertissement et qui oublie sa misère profonde. Le divertissement
permet de fuir, de se détourner des préoccupations existentielles
inévitables si nous nous retrouvons seuls face avec nous-mêmes. Le
divertissement est le mouvement qui nous entraîne hors de nous.
« Je me lançai dans l'eau à la poursuite
de mon père, me battis avec lui, retrouvai les plaisirs du jeu, de
l'eau, de la bonne conscience. »
Cécile reconnaît : « Mais je craignais l'ennui,
la tranquillité plus que tout. Pour être intérieurement
tranquilles, il nous fallait à mon père et à moi
l'agitation extérieure. »
Le divertissement est donc le contraire de la tristesse : «
quelque chose se replie sur moi, comme une soie, et me sépare des autres
».
Selon Pascal, « Nous courons sans souci dans le
précipice après que nous avons mis quelque chose devant nous pour
nous empêcher de le voir. » Le divertissement nous fait arriver
insensiblement à la mort.
Jusque dans les dernières pages et les derniers instants
avant l'accident mortel, Françoise Sagan choisit de placer Cécile
aux côté de Cyril, ultime divertissement qui soit, dans
l'épanouissement de la chair, dans le contact d'un corps, dans le refus
de la solitude.
L'homme découvre le sentiment angoissant d'errer sur terre
sans but ni raison. Sagan décide de combattre le mal par le mal: elle
exhorte à « errer ».
Dans L'express, le 26 octobre 1956, elle écrit un
article intitulé « Conseils au jeune écrivain qui a
réussi ».
« Le meilleur conseil que je puisse vous donner, c'est la
distraction. Fatiguez-vous, marchez à pied, n'habitez nulle part, dormez
le moins possible. Faites-le avec excès. Mais surtout n'organisez rien.
Ni le dîner éditeur, ni le dîner confrère, ni le
dîner mondain. Errez ».
Les personnages de Françoise Sagan trompent l'ennui et
s'oublient dans des séductions mensongères. Ils s'enivrent pour
accéder à l'illusion éphémère du
bien-être. La voiture, l'alcool, la fête, la danse, la nuit,
l'ivresse, la paresse sont autant de totems hédonistes remportés
sur l'ennui et sur la solitude. Il s'agit de brûler la vie avant qu'elle
ne nous brûle.
Il y'a une similarité entre Françoise Sagan et
Charles Baudelaire dans l'idée d'échapper au spleen grâce
aux séductions mensongères de l'ivresse : selon le poète,
tous les vertiges sont bienfaisants, s'ils arrachent l'homme à
l'amère méditation de son destin. Le vin, par exemple, est
célébré comme un filtrage magique.
Sagan, dans Des bleus à l'âme : «Ce
qui m'a toujours séduite, c'est de brûler ma vie, de boire, de
m'étourdir. Et si ça me plaît, à moi, ce jeu
dérisoire et gratuit à notre époque mesquine, sordide et
cruelle, mais qui, par un hasard prodigieux dont je la félicite
vivement, m'a donné les moyens de lui échapper. Ah ! Ah
!»
Ainsi, dans Bonjour Tristesse :
Raymond a toujours une bouteille dans les mains. Quand il se
marie avec Anne, et qu'il est heureux « mon père, une bouteille de
champagne dans les mains, revenait en valsant », (page 57) mais aussi
quand il apprend la mort de cette dernière : « Mon père
ferma les volets, prit une bouteille et deux verres. C'était le seul
remède à notre portée. [...] Je pris mon verre dans mes
mains et l'avalai d'un trait. » (page 151).
Cécile : « Je bus beaucoup pendant le
dîner. Il me fallait oublier d'Anne son expression inquiète quand
elle fixait mon père ou vaguement reconnaissante quand ses yeux
s'attardaient sur moi. » (page 121).
Enfin, « Le Sud-Américain en parut un instant
attristé mais un nouveau whisky le relança. » (page 48).
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