2) Des critiques d'ordre environnemental, social et
économique
La première série de critiques que l'on peut
adresser aux règles environnementales du droit de l'urbanisme au sens
large est justement d'ordre environnemental. C'est l'idée que ces normes
ont des effets contre-productifs en matière écologique. On
présentera d'abord le problème causé pas les technologies
d'automatisation des bâtiments, puis on s'intéressera à ces
nouveaux matériaux de construction que les réglementations
thermiques prônent : les matériaux dits Haute qualité
environnementale (HQE®).
a) Le coût énergétique des technologies de
pointe
Les réglementations thermiques visent à
diminuer le plus possible la consommation énergétique des
bâtiments. Et selon un article paru dans Environnement &
Énergie Magazine, avec les objectifs actuels issus de la RT 2012,
les solutions classiques ne suffisent plus, il faut à présent
passer à des technologies de plus en plus sophistiquées :
« Mieux isoler, assurer une bonne
étanchéité à l'air, miser sur des doubles, voire
triples vitrages... Pour limiter la consommation des passoires
énergétiques, les recettes sont connues. Mais l'entrée en
vigueur de la nouvelle réglementation thermique change la donne. Pour
atteindre 50 kWh/m2/an, la laine de roche et un mode de chauffage
performant ne suffisent plus. »171
On peut recourir par exemple aux technologies de la domotique
qui permettent d'automatiser les bâtiments afin de ne chauffer et de
n'éclairer une pièce vraiment que lorsque cela est
nécessaire. Le problème est que la fabrication de ce genre de
technologie nécessite de fortes dépenses
énergétiques et de fortes émissions de gaz à effet
de serre. La fabrication de ces équipements technologiques visant
à limiter la consommation énergétiques va donc dans le
sens inverse de l'objectif initial de ces technologies : économiser de
l'énergie.
b) La question des matériaux labellisés
HQE®
La question du coût énergétique de
fabrication ces technologies ne se limite cependant pas à la domotique
et peut s'appliquer aussi aux nouveaux matériaux de
171« Bâtiment : efficacité active, mode
d'emploi » : Environnement et Énergie Magazine, n°17, Mars
2014
88
construction labellisés Haute qualité
environnementale dont la Réglementation thermique 2012 prône
l'utilisation à travers le plan Bâtiment basse
consommation.
Haute qualité environnementale correspond
à une certification des matériaux qui est donnée par
l'Association HQE, crée en 1996 par les pouvoirs publics et qui vise
à inscrire la construction dans un projet de développement
durable. La certification HQE par l'association permet aux matériaux
d'obtenir le label « NF Ouvrage Démarche HQE® » de
l'AFNOR.
L'AFNOR est l'association française de normalisation
qui est l'organe chargé en France de déterminer que tel ou tel
produit commercialisé répond aux normes françaises. C'est
donc le label qui détermine que tel ou tel matériau de
construction est écologique ou pas selon les normes françaises.
Et justement, la réglementation thermique actuelle incite à voire
contraint, par ses dispositions, à utiliser ce genre de matériaux
pour atteindre les objectifs d'efficacité énergétique des
bâtiments.
Critiques d'ordre écologique
:
Le premier problème est que le caractère
écologique des matériaux labellisés HQE n'est pas
véritablement prouvé. En effet, il est très difficile de
déterminer l'empreinte énergétique d'un matériau
pendant toute sa durée de vie. Certaines données comme les
besoins énergétiques liés à la fabrication de
matériaux sont faciles à calculer mais il est déjà
plus difficile de calculer le coefficient de transmission thermique d'un
matériau (c'est à dire la quantité de chaleur qui traverse
une surface donnée en un temps donné) d'autant plus que celui-ci
varie selon les climats. Enfin, l'estimation de l'énergie
nécessaire à la préservation, à la
démolition ou au recyclage d'un ouvrage est impossible à
évaluer précisément. Pourtant, des labels du type HQE
existent dans de nombreux pays industrialisés, Minergie en
Suisse et BREEAM en Grande-Bretagne par exemple, et il existe
même un label européen.172
Les règles d'urbanisme incitent donc à utiliser
des matériaux labellisés dont on ignore si le caractère
écologique est vraiment supérieur à celui d'un autre
matériau. Les architectes dénoncent donc un « business
» de l'architecture environnementale et une
172VAN UFFELEN, Chris : op. Cit. : Introduction p. 7
à 12
89
collusion d'intérêt entre l'État et les
industriels qui fabriquent les matériaux HQE®. C'est pour cette
raison que que l'Ordre national des architectes s'est retiré en 2004 de
l'Association HQE. Cependant, pour l'instant, l'AFNOR continue de labelliser
les matériaux HQE® et le secteur de la construction continue donc
de les acheter. On peut citer cette phrase issue du bulletin n° 51 de la
Société française des architectes :
« cette volonté farouche de réglementer
chaque parcelle de notre vie, à commencer par les logements,
débouche inexorablement sur de nouveaux besoins matériels
quantifiables est marketables, bientôt transformés en nouveaux
marchés. »173
En outre, comme le montre Rudy Ricciotti dans son ouvrage
consacré à la question, ces matériaux, dont on ne
connaît pas la véritable nature écologique sont produits
dans les pays émergents, ce qui signifie qu'on délocalise la
pollution et la consommation d'énergie nécessaire à leur
fabrication.174
La démarche HQE, encouragée par le droit de
l'urbanisme français va donc à l'encontre des recommandation de
l'Agenda 21 en matière de construction. L'Agenda 21
lequel prône en effet de recourir à des matériaux
locaux et de promouvoir les techniques traditionnelles, de recourir à
des techniques de construction exigeant de la main d'oeuvre plutôt que de
la technologie et aussi de décentraliser l'industrie du bâtiment
en multipliant les petites entreprises175. Et au contraire, les
règles environnementales actuelles du droit de l'urbanisme
entraînent l'utilisation de techniques de construction qui
nécessitent une forte technologie (et donc une forte consommation
d'énergie), qui sont fabriqués à l'autre bout du monde (ce
qui entraîne une consommation d'énergie liée au transport
des matériaux) et qui font la part belle aux grands groupes industriels
de fabrication de matériaux de construction.
Critique d'ordre économique : le coût des
matériaux HQE®
En outre, les matériaux HQE® ont un coût
plus important que la moyenne. C'est là aussi que réside
l'idée d'un business de l'architecture environnementale encouragé
par le droit de l'urbanisme à travers la Réglementation
thermique. Cela va une fois de plus à l'encontre de l'Agenda 21
qui recommande de préférer des matériaux peu
onéreux et
173Bulletin de la Société française des
architectes n°51 op. Cit.
174RICCIOTTI, Rudy : La HQE® brille comme ses initiales
sur la chevalière au doigt, édition le Gac Presse, 2013
175STEELE, James : op. Cit. : p. 171
90
disponible sur place, le but étant que l'architecture
environnementale ne soit pas un privilège de pays riches.
Cette critique à l'égard des matériaux
HQE® correspond à une critique de l'architecture industrielle qu'on
a présenté lorsqu'on parlait des enjeux de l'architecture
environnementale. Face à la multiplication des matériaux
industriels qui augmentait le coût des bâtiments certains
architectes, tels que l'Américain Samuel Mockbee, se sont en effet
donnés pour règle d'utiliser des matériaux à bas
coût.
Ainsi, les règles environnementales françaises
de construction aboutissent à un effet inverse à leur but qui est
l'architecture écologique puisqu'elles prônent l'utilisation de
matériaux industriel et d'une haute technologie
Critique sociale des matériaux HQE
Enfin, on peut adresser une critique d'ordre social à
la promotion des matériaux HQE® que fait le droit de l'urbanisme
à travers la réglementation thermique.
Tout d'abord, ces matériaux sont produits dans les pays
émergents et donc leur production ne crée pas d'emploi en
France.
Ensuite, ce sont des matériaux avec lesquels la
construction du bâtiment ne nécessite pas une main d'oeuvre
importante, ce qui a aussi des conséquences en terme d'emploi.
L'architecte Rudy Ricciotti déplore par ailleurs le fait que ce type de
matériaux fait oublier ce qu'il appelle « la mémoire du
travail » et aboutie à long terme à « la perte
irréversible des savoirs faire » et en particulier des
métiers de la façade.176
On peut donc dire que le droit de l'urbanisme fait
indirectement la promotion de l'utilisation de matériaux qui ne sont pas
durables en terme d'emploi.
176RICCIOTTI, Rudy : La HQE® brille comme ses initiales sur
la chevalière au doigt, édition le Gac Presse, 2013, p.9
91
La critique de l'ordre national des
architectes
L'Ordre national des architectes, qui s'est retiré en
2004 de l'Association HQE, fait une synthèse de toutes ces critiques en
proposant la création d'un nouveau label qui prendrait en compte tous
les aspects du développement durable.
L'ordre national des architectes dit en effet que la
démarche HQE est une démarche trop centrée sur la facette
environnementale du développement durable et qui en oublie les autres
facettes : sociale et économique. Pour ce qui est de la facette
économique en effet, ces matériaux alourdissent
considérablement le coût des bâtiments. Pour la facette
sociale, l'Ordre national des architectes dénonce des matériaux
produits « hors-sol » qui nécessitent une technologie
importante et peu de main d'oeuvre.
« Par rapport aux enjeux de développement
durable auxquels est confronté l'ensemble des acteurs de la chaîne
de construction, la démarche HQE, dans sa conception actuelle,
s'avère ainsi être tout à la fois réductrice,
minimaliste, technicienne et castratrice. »177
L'Ordre national des architectes a donc la volonté que
soit créé un label plus global « développement
durable » qui prendrait en compte l'ensemble des aspects de ce
concept.
On a donc montré dans ce chapitre que le droit de
l'urbanisme est critiqué pour ses règles environnementales. Tout
d'abord parce que ces règles viennent s'ajouter à des
règles qui étaient déjà extrêmement
nombreuses et ensuite parce que le droit de l'urbanisme, à travers la
réglementation thermique et son application dans les documents
d'urbanisme, fait la promotion de la haute technologie et de matériaux
labellisés Haute qualité environnementale, dont la
production et l'utilisation ont non seulement des effets inverses à leur
objectif de réduire la consommation énergétique mais aussi
des conséquences négatives en matière sociale et
économique. Dans le chapitre suivant, il s'agira de présenter des
solutions qui permettent une urbanisation durable sans pour autant passer par
la technologie.
177« L'Ordre des architectes quitte l'association HQE :
Quelques explications», Site internet de l'Ordre national des architectes
, avril 2005
92
|