§3) La contrainte esthétique comme moteur de
l'innovation architecturale
Le droit de l'urbanisme et ses règles
d'esthétique peuvent donc être considérés comme un
cadre de travail pour les architectes. Il s'agit à présent
d'aller plus loin en montrant en quoi les règles esthétiques
peuvent également être un moteur pour l'innovation architecturale
au sens où, en architecture comme en littérature, la
créativité naît souvent de la contrainte.
1) Les contraintes liées à a protection
du patrimoine architectural et paysager comme moteur de la
créativité
Dans bien des cas, en architecture comme dans toute
activité dans laquelle il s'agit de créer quelque chose de
nouveau, la créativité naît de la contrainte. En effet,
c'est parce que la contrainte est là que l'on va tenter de la
dépasser. Et c'est en cherchant à la dépasser, c'est
à dire à concevoir quelque chose de nouveau tout en tenant aux
contraintes imposées, que l'on va concevoir quelque chose de vraiment
nouveau. Il en va ainsi du droit de l'urbanisme et de l'architecture. Afin de
justifier cette idée, on prendra des exemples qui recoupent les deux
grands types de contraintes issues du droit de l'urbanisme : les règles
relatives à la protection du patrimoine architecturales et celles
relatives à la protection des sites et espaces naturels.
92 Entretien avec Noëlle Vix-Charpentier,
architecte-urbaniste : Annexe 1
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Concernant les règles de protection du patrimoine
architectural, le cas le plus significatif dans lequel il apparaît que la
créativité naît de la contrainte est celui de la
rénovation de l'ancien.
Par exemple lors la réhabilitation de l'opéra de
Lyon93en 1993 par l'architecte Jean Nouvel, la contrainte venait du
fait que les façades anciennes étaient classées au titre
des monuments historiques. Ainsi, en application régulière du
Code du patrimoine, le reste du bâtiment était
considéré comme abord d'un monument historique en tant
qu'immeuble adossé à un monument historique dans la mesure
où il s'agissait d'une partie non protégée au titre des
monuments historiques d'un immeuble partiellement classé.94
Il en découle que la réhabilitation du nouveau bâtiment
était soumise à l'avis de l'architecte des bâtiments de
France. Et celui-ci déclara que l'ensemble du nouvel édifice ne
devait pas briser l'harmonie des façades existantes. Cependant, Jean
Nouvel a voulu que l'architecture du nouveau bâtiment détonne.
Ainsi « le volume créé par Jean Nouvel à
l'intérieur des façades existantes apparaît comme une
seconde peau. »95 L'architecte a donc su composer avec la
contrainte et proposé une architecture innovante d'un point de vue
esthétique. A cela s'ajoute une innovation technique puisque la salle de
spectacle est entièrement suspendue afin de neutraliser les vibrations
possibles avec le sol.
Prenons à présent un autre exemple plus
récent pour montrer l'actualité de cette idée d'une
l'innovation esthétique qui naît de la contrainte lié aux
règles de protection du patrimoine architectural. En 2013, l'agence TOA
architectes associés a été chargée de concevoir la
restauration de la Caserne Lefebvre à Mulhouse (Alsace)96. Le
projet s'est inscrit dans une volonté de la mairie de Mulhouse de
diversifier l'habitat collectif dans le centre ville. La caserne militaire,
construite en 1877 par les Prussiens a ainsi été reconvertie en
habitat collectif moyenne et haute gamme. Dans ce cas, le bâtiment en
lui-même n'était pas classé mais était compris dans
le champ de visibilité d'un monument historique et était à
ce titre considéré comme abord de monument historique. La
réhabilitation du bâtiment était donc soumise
là-aussi à l'avis de l'architecte des bâtiments
93 Annexe 5, figure n°6
94 Article L.621-30 du Code du patrimoine, voir Partie 1, Titre
1, §1)
95 OGIER, Magali : op. Cit. p.26
96 Annexe 5, figure n°7
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de France97 et celui-ci a imposé que les
façades soient conservées sans ouvertures
supplémentaires.
« Compte tenu du caractère militaire du
bâti, non prédestiné à recevoir du logement, le
véritable enjeu à
été de tourner cette contrainte en atout
afin de réinventer un cadre à la mesure des attentes et des modes
de vie moderne. », souligne le maître
d'ouvrage.98
Ont été par exemple ajouté des balcons de
12 mètres carrés de surface en prolongement de l'ouverture,
offrant ainsi un espace important donnant sur l'extérieur à ces
logements conçus au sein de façades avec peu d'ouvertures. Dans
ce cas aussi l'innovation est donc venue de la contrainte issue des
règles de protection du patrimoine.
C'est la même idée en ce qui concerne les
règles de protection des sites dans le cas d'une
construction nouvelle. On peut prendre comme exemple la construction du
Musée gallo-romain de Lyon en 1974 sur le site de Fourvière. Le
site de Fourvière avec la basilique, l'odéon et
l'amphithéâtre romain est en effet un site classé
patrimoine au patrimoine mondial de l'UNESCO.99 Il s'est donc agit
pour l'architecte, Bernard Zehrfuss de concevoir un bâtiment qui soit le
moins visible possible. L'architecte a ainsi opté pour une architecture
enterrée. La structure de béton disparaît ainsi sous la
végétation et seules deux grandes baies, des « canons
à lumière », sont visibles de l'extérieur et
introduisent les théâtres antiques à l'intérieur de
l'exposition. C'est donc là aussi de la contrainte que naît
l'innovation esthétique, en l'occurrence la conception d'un musée
enterré.100
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