PARAGRAPHE II : L'office réel ou potentiel du juge
national en matière de violation du droit communautaire.
Il est souvent considéré que les juges qui
appliquent le droit communautaire sont principalement -- sinon exclusivement --
ceux qui siègent au sein des juridictions communautaires, à
savoir les membres de la cour de justice de la CEMAC. Toutefois dans son
rôle de contrôle, et d`assurer le respect du système
juridique communautaire, la Cour joue à cet égard le rôle
de juridiction suprême dans l`interprétation et l`application des
règles de l`ordre juridique communautaire. C`est donc une «
responsabilité communautaire » du juge national que
d`exprimer le plus clairement la notion d`invocation du droit communautaire
parce qu`il est juge communautaire (A). L`office communautaire
du juge national connait toutefois quelques difficultés au sein de la
CEMAC, cela augure un caractère potentiel de l`office du juge national
en matière de violation du droit communautaire (B).
344 Ibid.
345 Voir l`article 44 du traité révisé CEMAC
de 2009 à Libreville au Gabon.
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A/ Le juge national : juge de droit commun de l'ordre
juridique communautaire CEMAC.
L`office communautaire du juge national revient à lui
reconnaître la capacité de sanctionner les violations du droit
communautaire au niveau étatique. C`est ce que l`on appelle l`invocation
du droit communautaire devant le juge national (1). Cependant
au cas où il n`existe pas de législation communautaire à
cet effet, l`office communautaire du juge national est exercé dans le
cadre de ses règles nationales de procédure, en vertu d`un
principe d`autonomie procédurale. Il faut toutefois mettre en
lumière comment le droit communautaire CEMAC encadre cette autonomie
(2) en obligeant le juge national à assurer l`effet
utile du droit communautaire et, plus largement, une protection
juridictionnelle effective des droits que les justiciables tirent du droit
communautaire.
1) L'invocation du droit communautaire devant le juge
national.
Invoquer le droit communautaire devant le juge national
revient à confier à ce dernier la sanction du droit
communautaire, en tant que juge de droit commun de l`ordre juridique
communautaire CEMAC. C`est bien à ce titre que les justiciables peuvent
faire valoir, devant le juge national, les droits que cet ordre juridique leur
confère. Au-delà de sa primauté en droit interne, le droit
communautaire doit se voir reconnaître une véritable
effectivité. Et celle-ci ne se vérifie pas nécessairement
par le prisme de l`effet direct, mais en termes d`invocation, la pierre
angulaire de l`effectivité du droit. L`invocabilité du droit
communautaire revêt plusieurs formes : « le juge national est
tenu d'appliquer le droit communautaire (invocabilité d'application); le
juge national doit écarter toute législation nationale contraire
au droit communautaire (invocabilité d'exclusion) ; le juge national a
l'obligation d'interpréter le droit national conformément au
droit communautaire (invocabilité d'interprétation) ; le juge
national peut, le cas échéant, condamner un État à
réparer les dommages qui résulteraient d'une violation du droit
communautaire (invocabilité de réparation)
»346. Qu`implique véritablement
l`invocabilité pour le justiciable devant une juridiction nationale ?
L`invocabilité démontre véritablement l`appartenance de
l`Etat et en particulier des nationaux, à un environnement juridique
bien plus grand que celui étatique. De fait les juridictions nationales
sont dans l`obligation d`écarter les législations nationales pour
appliquer le droit d`origine communautaire. Au-delà de
l`invocabilité d`application, d`exclusion et d`interprétation, il
est évident toutefois que la manifestation indéniablement la
346 ISAAC (G) et BLANQUET (M), Droit général de
l'union européenne, op cit.
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plus patente de l`invocabilité du droit communautaire
ressort de la responsabilité des États membres pour violation de
ce droit. Selon une jurisprudence européenne désormais constante,
les particuliers lésés par une violation du droit communautaire
de la part d`un État membre ont droit à réparation
dès lors que la règle de droit communautaire en cause a pour
objet de leur conférer des droits, que la violation est suffisamment
caractérisée et qu`il existe un lien de causalité direct
entre cette violation et le préjudice subi par les
particuliers347.
2) L'encadrement communautaire des règles
nationales de procédures.
Le droit du procès -- devant les juridictions
nationales -- relève de la compétence des États membres.
Ainsi l`organisation juridictionnelle qu`elle soit judiciaire, des comptes ou
administrative est régie par le droit interne des Etats membres en vertu
de ce que l`on appelle l`autonomie procédurale. Loin du cas
européen, où certains textes introduisent directement ou
indirectement, de nouvelles procédures, au niveau des États
membres, dans le procès civil, commercial348 ou
pénal349, au sein de la CEMAC la mise en oeuvre du droit
communautaire, devant le juge national, relève du droit national, en
application du principe dit de « l'autonomie procédurale
»350. Dans le contexte européen et même au
sein de la CEMAC, le principe est que les traités n`imposent pas une
organisation constitutionnelle, administrative ou juridictionnelle aux
États membres, car le soin d`assurer la protection juridique
découlant, pour les justiciables, de l`effet direct du droit
communautaire est attribué au juge national en application du principe
de coopération. Il revient donc pour l`intégration et
l`application des dispositions du droit communautaire originaire et
dérivé que l`Etat définisse les procédures à
suivre dans les juridictions nationales, à savoir les juridictions
compétentes et les règles et modalités de sanction des
violations pour sauvegarder les droits des justiciables que protège le
droit communautaire. Ainsi, les États membres demeurent libres de
structurer comme ils l`entendent leur système juridictionnel et de
déterminer la compétence interne de leurs juridictions pour les
différends dans lesquels interviennent des droits conférés
aux justiciables par le droit communautaire. Il s`agit d`une reconnaissance de
l`autonomie d`organisation juridictionnelle. Au-delà de l`autonomie
347 Voir arrêt 5 mars 1996, brasserie du pécheur
et factortame, C-46/93 et C-48/93, Rec. I-1029.
348 Voir règlement (CE) N°1896/2006 du parlement
européen et du conseil du 12 décembre 2006, instituant une
procédure européenne d`injonction de payer (JO L 399, P.1), et
règlement (CE) N°861/2007 du parlement européen et du
conseil du 11 juillet 2007, instituant une procédure européenne
de règlement de petits litiges (JO L 199, P.1)
349 Voir décision du conseil du 15 mars 2001, relative
au statut des victimes dans le cadre de procédure pénale (JO L
82, P.1).
350 LE BAULT-FERRARESE (B), « La communauté
européenne et l'autonomie institutionnelle et procédurale des
Etats membres », thèse de doctorat, université de Lyon
3, 1996.
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d`organisation, il y a également autonomie des
procédures : ce sont les voies de droit prévues en droit interne
qui permettent la mise en oeuvre du droit communautaire devant les juridictions
nationales, y compris les règles relatives aux délais, à
la charge de la preuve, aux dépens. Par conséquent, afin que le
droit processuel des États membres ne remette pas en cause la
primauté et l`effet direct du droit communautaire, le principe de
l`autonomie procédurale est nécessairement encadré,
l`exercice de l`autonomie procédurale des États membres doit, en
effet, satisfaire aux exigences d`équivalence et d`effectivité.
Le principe d`équivalence exige que, pour les recours destinés
à assurer la sauvegarde des droits que les justiciables tirent du droit
communautaire, l`application de la loi de procédure nationale se fasse
de façon non discriminatoire par rapport aux procédures visant
à trancher des litiges du même type, mais fondées sur du
droit purement national. Ce principe participe également à
l`effectivité du droit communautaire dans l`Etat. Ainsi par exemple, les
délais pour intenter une action en vue de faire valoir des droits
tirés du droit communautaire ne sauraient-ils pas être plus courts
que ceux d`actions intentées en vue de faire valoir des droits
tirés du droit national. Le principe d`équivalence sanctionne les
discriminations processuelles, c`est-à-dire les inégalités
de traitement, sur un plan procédural, des situations communautaires et
internes. Il n`en reste pas moins que le respect du principe
d`équivalence ne saurait suffire pour garantir une protection
juridictionnelle effective des droits que les justiciables tirent du droit
communautaire. Les règles de procédure nationales doivent
être conformes au principe d`effectivité du droit communautaire et
le juge national doit ignorer, comme incompatible avec les exigences
inhérentes à la nature même du droit communautaire, toute
disposition nationale qui aurait pour effet de diminuer l`efficacité du
droit communautaire par le fait de refuser au juge compétent, pour
appliquer ce droit, le pouvoir de faire, au moment même de cette
application, tout ce qui est nécessaire pour écarter les
dispositions législatives nationales formant éventuellement
obstacles à la pleine efficacité des normes
communautaires351. Le principe de protection juridictionnelle
effective requiert que la juridiction nationale puisse néanmoins
octroyer les mesures provisoires nécessaires pour assurer le respect des
droits des justiciables. Cependant au sein de la CEMAC l`office du juge
national, juge de droit commun de l`ordre juridique communautaire rencontre de
nombreuses difficultés dans sa mise en oeuvre. L`on pourrait même
dire que l`office du juge sus-évoqué n`est que potentiel à
la lumière des difficultés constatées dans la prise en
compte du droit communautaire dans la CEMAC.
351 Voir arrêt SIMMENTHAL, op cit.
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