B/ Les auteurs de la violation du droit communautaire
susceptible d'engager la responsabilité de l'Etat membre de la
CEMAC.
Il faut signifier que les principes d`applicabilité
immédiate et d`effet direct de la règle de droit communautaire
exposent certaines institutions républicaines dans le viseur du juge de
droit commun du droit communautaire en cas de violation. Il s`agit
particulièrement, dans le contexte de la CEMAC, du pouvoir
exécutif (1) et des juridictions nationales
(2) des Etats membres.
1) La violation du droit communautaire imputable au
pouvoir exécutif des Etats membres de la CEMAC.
Cette violation peut être vue sur le terrain de
l`illégalité des actes pris par le pouvoir exécutif
c`est-à-dire que les autorités exécutives chargées
de prendre des actes exécutifs, en prennent des mesures qui ne
respectent pas le droit communautaire en vigueur. Dans ce cas, le juge
administratif national dans son rôle de juge de droit commun du droit
communautaire, est dans l`obligation de réparer cette violation du droit
communautaire par le pouvoir exécutif. La remarque faite, il faut
établir quel type de responsabilité peut engager la
procédure en réparation pour cause de violation du droit
communautaire. Il faut dire que la CEMAC laisse généralement le
libre choix aux Etats membres d`établir le mode de responsabilité
qui peut engager la faute de l`Etat membre de la CEMAC. Toutefois le
mécanisme d`établissement de la responsabilité de l`Etat
membre pour cause de violation du droit communautaire par un acte
illégal ne doit pas lui même soustraire le justiciable de ses
droits.
La CEMAC étant en majorité formée des
Etats de culture juridique francophone, la majorité de ses Etats
reconnaissait dans la procédure judiciaire administrative la
responsabilité pour faute. De ce fait pour établir la
responsabilité de l`Etat pour cause d`acte illégal violant le
droit communautaire, l`on doit se référer au mécanisme de
responsabilité pour faute en droit administratif. On distingue dans la
responsabilité pour faute en droit administratif, la
responsabilité pour faute de service et pour faute personnelle. En
générale en droit administratif toute illégalité
d`une mesure administrative est présumée constituer une faute de
personnelle. Ainsi, même la responsabilité de l`administration
peut être engagée lorsqu`elle omet de modifier une
réglementation devenue incompatible avec le droit communautaire. Faut-il
aussi signaler que, l`absence de mesures administratives de transposition d`une
directive pourrait d`ailleurs être assimilée au défaut
d`adoption d`actes
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réglementaires d`exécution d`une loi interne,
une situation qui constitue une faute de nature à engager la
responsabilité de l`État. Si, aujourd`hui, le principe de la
responsabilité de l`État du fait d`une violation du droit
communautaire commise par le pouvoir réglementaire ne fait aucun doute
dans la théorie de droit communautaire européen, il n`en demeure
pas moins que cette responsabilité trouvera bien plus qu`en droit
interne une difficulté majeure au sein de la CEMAC, du fait la
protection de l`autorité de l`Etat par les juges nationaux qui doivent
généralement leur carrière à ce pouvoir
exécutif. L`autre difficulté étant la rigueur ou la
sévérité qui caractérise l`appréciation du
juge administratif lorsqu`il veille au respect de principes procéduraux
tels que celui de la distinction des contentieux ou qu`il détermine le
montant du préjudice indemnisable, voire encore lorsqu`il vérifie
l`existence du lien de causalité direct entre la faute et le
préjudice allégué339. Toutefois on peut se
poser la question de savoir si le dédommagement des préjudices
causés par la violation du droit communautaire peut amener le juge
à accorder des réparations plus onéreuses que celles issue
du droit interne ? Une réponse affirmative nous fera aboutir à la
création d`un « régime dual de responsabilité au
sein des Etats membres, selon que la faute résulte ou non d'une
violation du droit communautaire »340.
2) La violation du droit communautaire CEMAC du
fait des juridictions nationales et du législateur.
Cela peut être perçu comme un tabou en droit
interne dans la mesure où les juridictions nationales manifestent dans
leur exercice la souveraineté nationale. Car les juges nationaux rendent
la justice au nom du peuple, véritable propriétaire de la
souveraineté de l`Etat. La réalité est tout autre parce
qu`il s`agit ici de la mise en oeuvre de la responsabilité de l`Etat du
fait des activités judiciaires. Certes elle est très
théorique comme la mise en oeuvre même de la responsabilité
de l`Etat membre en droit communautaire CEMAC. Il faut dire que la
réparation des dommages qu`entraînent les faits judiciaires
incombe au juge administratif ou au juge judiciaire, selon que le service
public en cause est celui de la justice administrative ou de la justice
judiciaire. Ainsi compte tenu de l`autonomie juridictionnelle des États
membres qui a été affirmée par le droit communautaire pour
la mise en oeuvre des règles et de la réparation des
préjudices, c`est au regard de ces règles que pourra, le cas
échéant, être retenue la responsabilité de
l`État en raison des violations du droit communautaire qui seraient
339 HINDE-GUEGUEN, « Responsabilité (Etat
membre) », op cit, p 21.
340 Ibid. p 21.
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commises par une juridiction, quelle que soit, y compris les
juridictions suprêmes341. La responsabilité de
l`État peut être engagée du fait du fonctionnement
défectueux du service public de la justice suite par exemple au principe
de durée raisonnable de la procédure. C`est dans cette
perspective que le Conseil d`État français retiendra que «
les justiciables ont droit à ce que leurs requêtes soient
jugées dans un délai raisonnable [...] si la
méconnaissance de cette obligation est sans incidence sur la
validité de la décision juridictionnelle prise à l'issue
de la procédure, les justiciables doivent néanmoins pouvoir en
faire assurer le respect ; qu'ainsi lorsque la méconnaissance du droit
à un délai raisonnable leur a causé un préjudice,
ils peuvent obtenir la réparation du dommage ainsi causé par le
fonctionnement défectueux de la justice »342. On
remarque que le conseil d`Etat français considère le
fonctionnement défectueux de la justice comme une responsabilité
pour faute et ne fait nullement référence à la
responsabilité sans faute entrainant deux régimes de
responsabilité du fait de la justice, l`un subordonné à la
démonstration de l`existence d`un refus d`appliquer par exemple le droit
communautaire et l`autre fondé sur la violation, par les juridictions
des principes de procédure de justice. En droit de l`union
européenne, la cour de justice a affirmé un « principe
de responsabilité des États membres du fait des violations du
droit communautaire commises par les juridictions suprêmes nationales
»343. Néanmoins l`application en droit interne de
ce principe risque de ne pas se faire sans quelques difficultés que ce
soit dans l`union européenne ou au sein de la CEMAC. La véritable
difficulté est que la responsabilité ne peut, en vertu du
principe de l`autorité de la chose jugée, être
engagée lorsque la faute alléguée résulte du
contenu même d`une décision de justice devenue définitive.
Au niveau de l`union européenne la cour de justice a déjà
évacué cet argument « visant à contester le
principe de la responsabilité de l'État de ce fait au motif qu'il
aurait pour effet de remettre en cause le principe de l'autorité de la
chose jugée ». Ainsi avec l` appartenance à la
communauté d`intégration de l`Etat, l`autorité de la chose
jugée est remise en cause avec le principes de primauté qui
implique également la reconnaissance de la justice communautaire comme
dernière étape d`appel en cas d`insatisfaction de la
décision rendu dans les juridictions nationales qu`elles soient de
dernier ressort. En d`autre termes, les juridictions suprêmes des Etats
membres de la CEMAC ne bénéficient plus de l`autorité de
la chose jugée lors de l`adhésion de l`Etat à la CEMAC,
entrainant ipso facto la reconnaissance de la cour de justice de la
CEMAC. A la lumière de la conception européenne, on s`interroge
sur la pérennité de la
341 Ibid.
342 CJCE, 9 mars 1978, administration des finances de l'Etats
c/ SIMMENTHAL, Aff 106/77, Rec., I.629 p 31.
343 Ibid.
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cour de justice de la CEMAC qui trouve actuellement la
difficulté à se faire une place au sein des organes judiciaires
nationaux. En effet, la Cour de justice européenne, en rappelant que
l`applicabilité directe du droit communautaire concerne également
tout juge qui a, en tant qu`organe d`un État membre, pour mission de
protéger les droits conférés aux particuliers par le droit
communautaire, a de longue date, dans un arrêt SIMMENTHAL du 9
mars 1978344, affirmé que le juge national «
chargé d'appliquer, dans le cadre de sa compétence, les
dispositions du droit communautaire, a l'obligation d'assurer le plein effet de
ces normes en laissant au besoin inappliquée, de sa propre
autorité, toute disposition contraire de la législation
nationale, même postérieure, sans qu'il ait à demander ou
à attendre l'élimination préalable de celle-ci par voie
législative ou par tout autre procédé constitutionnel
»345. En application de ces principes de la cour de
justice de l`union européenne, il pourrait être soutenu que le
juge national, à qui s`impose l`intégralité du droit
communautaire en sa qualité d`organe national de l`Etat membre, est tenu
d`appliquer la jurisprudence de la juridiction communautaire ou les
dispositions du droit communautaire originaire et dérivé,
à défaut, la violation de cette obligation pourrait être la
source d`une action en responsabilité de l`État membre.
Dès lors, peut-on à la suite de ce qui a été dit,
affirmer de la réalité ou de la potentialité de l`office
du juge nationale ?
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