B/ Le contrôle de la validité des normes
inferieures aux « actes constitutionnels »
communautaire.
Les apparences sont nombreuses dans les relations de droit
constitutionnel et droit communautaire. Le principe de primauté en droit
communautaire exerce une pression indescriptible à la primauté
constitutionnelle en droit interne, au point où on se demande quelle
primauté prédomine ? Ou bien comment l`ordre juridique interne
organise la coexistence des primautés ? Si l`on prend en compte la
décision du 20 décembre 2007, du juge constitutionnel
français sur l`interprétation de l`article 88-1 de la
constitution française218 est sans surprise lorsqu`il affirme
que « le constituant a ainsi consacré l'existence d'un code
juridique communautaire intégré à l'ordre juridique
interne et distinct de l'ordre juridique international ». De plus
depuis cette décision, on a assisté à une «
application renforcée de la primauté du droit communautaire par
le juge constitutionnel »219. En 1998220, il
opère un contrôle de conformité de la loi organique sur le
droit de vote et d`éligibilité des citoyens européens aux
élections municipales à la directive y relatives. La
décision du 10 juin est plus décisive221 car elle
marque la véritable constitutionnalisation du droit
communautaire222. Dans le cas de la CEMAC, le contrôle de la
validité de la loi aux actes communautaires est fait en deux volets :
premièrement un contrôle de la communauté par la
commission, les institutions communautaires comme le parlement communautaire et
la cour de justice de la communauté(1), et
deuxièmement par les juridictions nationales que sont les juridictions
ordinaires(judiciaires et administratives) qui sont les juridictions de droit
commun, du droit communautaire et la juridiction
constitutionnelle(2).
218 L`article 88-1 de la constitution française dispose
que « la république participe aux communautés
européenne et à l'union constituée d'Etats qui ont choisi
librement, en vertu des traités qui les ont institués, d'exercer
en commun certaines de leurs compétences »
219 CHALTIEL (F), « Droit constitutionnel
européen 2004-2006 », RFDC, 2007/1 N°69, pp
161-173.
220 Décision N° 98-400 du 20 mai 1998, loi
organique déterminant les conditions d`application de l`article 88-3 de
la constitution française JORF, 26 mai 1998, p 8003.
221 Le conseil constitutionnel pose un principe et une
exception. Le principe est que la transposition d`une directive est une
exigence constitutionnelle. L`exception étant que la disposition
constitutionnelle expresse contraire. Voir décision N° 2004-496 DC
du 10 juin 2004, loi sur l`économie numérique.
222En paraphrasant CHALTIEL (F), « Droit
constitutionnel européen 2004-2006 », op cit, p 343.
« Le terme de constitutionnalisation est à double tranche,
signifiant à la fois l'inscription d'un texte dans la constitution, en
l'espèce les traités communautaires et la nature
constitutionnelle que les rédacteurs des traités entendent ou non
donner à la communauté d'intégration »
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1) Le contrôle par la communauté de la
validité des normes inferieures aux « actes constitutionnels
».
Comme sus évoqué, la primauté du droit
primaire de la CEMAC se vérifie sur deux plans : au plan supranational
et au plan national223. De plus, le principe de primauté du
droit primaire et sa double mise en oeuvre met en exergue une forme de
hiérarchie des normes communautaires224, dont il en
découle une forme de hiérarchisation normative où la norme
suprême avec valeur constitutionnelle se trouve être le droit
primaire, et la norme inférieure se trouve être le droit
dérivé. Ainsi par analogie, il est évident que si les
normes dérivées ne respectent pas dans leurs
énoncés l`esprit du traité instituant la
communauté, il va de soi que, d`après l`esprit de la
hiérarchie des normes selon KELSEN, ces normes dérivées
sont illégales, simplement parce qu`elles ne tirent pas leur
légalité du droit primaire. Par conséquent, le
contrôle communautaire, devra s`atteler à les retirer de
l`ordonnancement juridique communautaire. Il s`agit vraisemblablement dans ce
cas d`un contrôle de la primauté du droit primaire par la
communauté. Ce contrôle se manifeste par trois institutions, la
commission, le parlement et la cour de justice. Le caractère
constitutionnel225 du droit primaire impose à ses
institutions de contrôler le respect du droit primaire par les actes
dérivés ou le droit national. Ainsi au niveau supranational,
lorsqu`il est dit que « les institutions, les organes, et les
institutions spécialisées de la communauté agissent dans
la limite des attributions et selon les modalités prévues par le
présent traité, les conventions de l'UEAC, et de l'UMAC et par
les statuts et autres textes respectifs de ceux-ci »226 ;
cela signifie premièrement que, l`ordre juridique de la CEMAC constitue
une hiérarchie de normes et que deuxièmement, le fonctionnement
des institutions communautaires est encadré par les textes primaires
d`où l`intérêt d`en tirer leur validité. En quelque
sorte, cet article ouvre
223 Au niveau supranational les normes de droit communautaire
forme un ordre juridique (c`est-à-dire un ensemble de règles de
droit constituant un système, présentant un certain degré
d`organisation et de cohérence) dans lequel la norme primaire exerce une
primauté sur les normes dérivées. Alors qu`au niveau
nationale, le droit primaire intègre un ordre juridique avec qui il
forme un ordre juridique commun avec pour précision la reconnaissance
par les constitutions nationale du principe de primauté de la norme
communautaire.
224 La théorie de la pyramide de Kelsen, met en exergue
une norme suprême (niveau constitutionnel) et des normes
hiérarchiquement inferieures qui tirent de la norme suprême leur
égalité, leur légitimité et leur existence. L`on
peut également établir dans l`ordre juridique communautaire une
telle hiérarchisation des normes communautaires en reconnaissant aux
normes primaires (traités et actes additionnels) le statut de norme
suprême parce que c`est elle qui organise la structure et le
fonctionnement de la communauté et adopte la législation des
actes dérivés dans le respect des textes constitutifs de la
communauté intégrative.
225 La référence à la notion de
constitution dans le contexte du droit communautaire n`a d`intérêt
que si elle a un contenu non seulement institutionnel, mais également et
surtout substantiel en ce sens qu`elle est l`incarnation de l` «
officialisation d'une idée de droit » c`est-à-dire
qu`elle exprime les fondements, les valeurs, les principes, bref
l`identité de l`union européenne. Voir la formule de ROUSSEAU
(D), Une résurrection, la notion de constitution, RDP,
1990, p 5. Cité par SIMON (D), rapport général, «
les fondements de l'autonomie du droit communautaire », op
cit, p 225.
226 Article 11 du traité révisé CEMAC de
2008 et en 2009.
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implicitement une voie à un éventuel
contrôle. L`article 34 reconnaît à la commission «
la mission de gardienne des traités de la CEMAC
»227. Le rôle de gardien implique le contrôle
du respect des traités de la CEMAC autant par les institutions
communautaires que par les Etats membres de la communauté. Le
traité révisé de la CEMAC reconnaît à la
commission la mission de contrôle du respect du traité. Parmi les
prérogatives de cette institution l`article 35 met l`accent sur la
mission de veiller « au respect et à l'application par les
Etats membres ou leurs ressortissants, des dispositions du présent
traité et des actes pris par les organes de la communauté
». Disposition très porteuse parce que la notion de veille est
une notion préventive et curative. Dans ce cas, le contrôle du
respect et de l`application des normes communautaires est fait en amont, dans
la création par exemple des actes dérivés ou dans
l`élaboration par les Etats des lois de transposition du droit
communautaire. Ce contrôle est également fait en aval, lors de
l`exécution des normes communautaires par les citoyens et les Etats
membres, elle veille à la stricte application par les parties du droit
communautaire. Ce contrôle lui est recommandé et même
réitéré par le même article en disant que la
commission « veille à la mise en oeuvre du présent
traité, des conventions et des décisions de la communauté
»228.
La compétence la plus évidente du contrôle
de la primauté du droit primaire revient à la cour de justice de
la CEMAC, lorsqu`elle est saisie pour des procédures de renvoi
préjudiciel et pour un recours en annulation. Cela se manifeste à
l`article 48 qui stipule que « la cour de justice assume le respect du
droit dans l'interprétation et dans l'application du présent
traité et des conventions subséquentes »229.
En ce qui concerne le parlement communautaire, il s`agit d`une
représentation selon les textes de la CEMAC, de la population de la
communauté. Le contrôle ne peut être effectué que sur
l`action de l`exécutif communautaire. Toutefois le contrôle est
purement relativisé du fait des sanctions presqu`inexistantes,
inhérentes aux questions orales et écrites, également aux
résultats des commissions d`enquête qui permet de contrôler
l`action et les actes de l`exécutif communautaire230.
227 Article 34 du traité révisé CEMAC de
2008 et en 2009.
228 Ibid.
229 Article 48 du traité révisé CEMAC de
2008 et en 2009..
230 Voir l`article 5 du traité révisé
CEMAC « le parlement contrôle l'action de l'exécutif par
voie de questions orales ou écrites, par l'audition en commission et par
la constitution des commissions d'enquêtes sur des objets
déterminés »
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Concernant le parlement communautaire ces pouvoirs de
contrôle de la primauté des actes primaires se limitent au
contrôle sans sanctions de la conformité des actions de
l`exécutif au droit primaire. Quid du contrôle national
de la primauté du droit primaire ?
2) Le contrôle national de la validité
des normes nationales aux « actes constitutionnels ».
Le contrôle du respect du droit primaire communautaire
par les juridictions nationales a connu beaucoup de retards suite aux
réticences, relatives à la portée du principe de
primauté du droit communautaire qui se heurtent à celle de la
constitution au niveau national. En France par exemple on a constaté, un
long cheminement de la jurisprudence constitutionnelle européenne vers
une reconnaissance tout au moins difficile de la primauté du droit
communautaire par le droit national et concomitamment par les juridictions
nationales. Les incidents de l`inscription du principe de primauté du
droit communautaire nous ont montré une évolution d`une
« primauté imposée à une primauté
consentie »231. Ce passage tout de même difficile
pour l`organe chargé de veiller à la constitution et à son
respect, a marqué un réel changement dans les rapports ambigus
qui existaient entre le droit primaire et les constitutions des Etats membres.
Ainsi, en réaction à l`affirmation prétorienne de la
primauté par la cour de justice dans le célèbre
arrêt COSTA232, s`est organisée une «
résistance » des cours nationales au moment de donner pleine
portée à ce principe dans l`ordre interne233.on
constate un décalage entre les prétentions de
l`interprétation communautaire de la primauté et les restrictions
de l`interprétation internes de la primauté234. Les
lois communautaire n`ayant point les moyens d`assurer elles mêmes leur
suprématie « auto proclamée », la cour de
justice s`en remet aux juridictions internes en les habilitant à
procéder à une hiérarchisation235. Le
constituant se trouva dans l`obligation de constitutionnaliser le droit
communautaire, tout au moins, cette obligation d`inscrire la primauté du
droit communautaire dans les constitutions nationales nous fait penser à
une communautarisation des constitutions nationales ou plutôt des droits
constitutionnels. En
231 DUBOUT (E), « De la primauté «
imposée » à la primauté « consentie »,
AFDC, contribution au congrès de Montpellier, atelier 3 : Europe et
constitution, 2005, p 4.
232 CJCE, Juillet 1964, F. COSTA c/ ENEL, Aff. 6/64,
Rec., P 1141, spec. p 1159 et s.
233 Voir notamment BURGORGNE-LARSER (L), « Les
résistances des Etats de droit » in J RIDEAU (dir.) de la
communauté de droit à l'union de droit, paris, LGDJ, 2000,
spec. p 448 et s. cité par DUBOUT « de la primauté
« imposée » à la primauté « consentie
», op cit, p 2.
234 Ibid. p 3.
235 Voir à cet effet l`arrêt de la CJCE, 9 mars
1978, administration des finances de l`Etat c/ SA Simmental, Aff.106/77. Rec.,
p 629 spec. Point 21 : « tout juge national saisi dans le cadre de sa
compétence, à l'obligation d'appliquer intégralement le
droit communautaire et de protéger les droits que celui-ci
confère aux particulier [...] » cité par DUBOUT (E),
« De la primauté « imposée » à la
primauté « consentie », op cit, p 5.
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effet, en introduisant le droit communautaire dans la
constitution nationale, le constituant reconnaît la primauté
communautaire au sein du droit national, mais en plus il met les textes
primaires au même rang que les constitutions nationales. Par
conséquent, le droit primaire, fait partie de la constitution nationale.
Premièrement les normes originaires et dérivées de l`union
acquièrent une valeur égale aux normes constitutionnelles
nationales236. Deuxièmement et selon Edouard DUBOUT la
« suprématie de la constitution nationale » est
préservée et le conseil constitutionnel maintient ce que d`aucun
ont appelé le « règne de la constitution
»237, avec pour conséquence de sauvegarder la
valeur du droit communautaire inférieure aux normes fondamentales. Bien
plus encore, en constitutionnalisant le principe de primauté du droit
communautaire, le juge constitutionnel pourrait devenir dans le même
temps, le garant de celui-ci. Il lui incombera dès lors, de
contrôler la validité des lois selon les normes communautaires.
Dans ce cas, le contrôle de la validité des lois aux «
actes constitutionnels » communautaire est reconnu au juge de
droit commun et au juge constitutionnel lui se bornant qu`à
contrôler la constitutionnalité des « actes constitutionnels
» communautaires à la constitution nationale. Le traité
révisé CEMAC aura une valeur plus égale à la
constitution qu`a une convention. Ce qui ne semble pas être possible pour
les juges constitutionnels. Premièrement, le constituant
constitutionnalise le principe de primauté du droit primaire et
dérivé de la communauté, mais pas directement la valeur
des normes issues de ce droit, c'est-à-dire, «l'obligation
négative de ne pas violer le principe de primauté
constitutionnellement protégé et essentiellement plus directement
justiciable, que celle positive de garantir aux traités une «
autorité supérieure à celle des lois
»238. La seconde nuance est relative à la valeur du
droit primaire et dérivé matériel, qui a été
formellement reconnue par la constitution. Il sera plus judicieux que le droit
primaire et dérivé soit reconnu constitutionnellement comme supra
législatif et infra constitutionnel
De ce qui précède, un constat découle de
ce développement c`est davantage l`importance du droit primaire et du
droit dérivé. Alors qu`en est-il des pouvoirs législatifs
et exécutifs de l`Etat membre ?
236 « Tirant leur force en droit interne d'une
disposition constitutionnelle posant le principe de primauté de l'ordre
juridique de l'union européenne, les dispositions de celui-ci
revêtent elle même une valeur constitutionnelle. En cas de conflit,
il faudra alors opérer une conciliation in concreto au regard des
circonstances de chaque espèce sans qu'il n'y ait de hiérarchie
prédéterminée in abstracto entre normes de l'union
européenne et normes constitutionnelles internes » voir DUBOUT
(E), « de la primauté « imposée » à la
primauté « consentie », op cit, p 14.
237 Ibid. p14.
238 Ibid. p 17.
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