PARAGRAPHE II : Le régime juridique des «
actes constitutionnels » de la conférence des chefs d'Etat.
Des actes juridiques, ayant une force comparable à
celle de la norme fondamentale en droit interne, soulèvent des
interrogations sur les fondements de la légitimité de tels actes.
On constate de fait que toute manifestation de la volonté souveraine,
comme c`est le cas dans les actes primaires des communautés
intégratives, tire leur autorité ou compétences de la
législation nationale210, qui donne acte aux
représentants des Etats de conclure traité et accord
internationaux (A). Il s`en suit inéluctablement pour
garantir le respect de l`acte primaire par les normes inferieures, un
contrôle de validité des normes inferieures aux « actes
constitutionnels » communautaires (B).
A/ Les fondements du « pouvoir constituant »
des Etats membres de la CEMAC.
Il s`agit de mettre en exergue les sources ou les bases sur
lesquelles s`appuient les Etats membres pour émettre des actes
juridiques ayant force contraignante assimilable à la constitution
nationale. Comme sus évoquée, toute manifestation de la
volonté souveraine par un Etat tire son fondement de la norme
fondamentale de chaque Etat (1) et également du
traité instituant la communauté intégrative
(2).
1) Le fondement national du « pouvoir constituant
» de l'Etat membre.
La question de l`habilitation constitutionnelle de l`Etat
membre s`est posée avec acuité lors de la découverte de la
particularité des traités instituant les communautés
intégratives. Le constat a été la modification des
constitutions pour marquer la différence qui existe entre le droit
international et le droit communautaire211. La majorité des
représentants des Etats membres de communautés
intégratives autorisées à émettre la volonté
des Etats le font d`après des bases constitutionnelles et
généralement des dispositions constitutionnelles
210 Voir KAMTO (M), « La volonté de l'Etat en
droit international », recueil des cours de l'académie de
droit international de la Haye, 2004, p 48.
211 La constitution Gabonaise du 26 mars 1991 consacre le
titre X intitulé « traités et accords internationaux »
au droit international classique alors que le titre XI « des accords de
coopération et d`association » est réservé au droit
communautaire.
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relatives au droit international212. Cependant le
problème qui se pose est celui des dispositions constitutionnelles
relatives à la réception du droit international, comme la
majorité des constitutions d`Afrique Centrale ont emprunté des
dispositions de la constitution française de 1958. Elle-même,
comme le texte français, marque une défiance vis-à-vis du
droit international dans la constitutionalité des engagements
internationaux des Etats et « conditionne la valeur supra
législative des normes issues de ces engagements internationaux à
l'exigence de réciprocité »213. Ce qui du
point de vue de la norme communautaire pose un problème d`habilitation
constitutionnelle de la réception du droit communautaire en amont et de
la compétence des autorités amenées à signer et
ratifier les engagements communautaires en aval. Ceci pose le problème
de la légalité constitutionnelle des engagements communautaires,
particulièrement des actes primaires. Il faut dire que certains Etats
d`Afrique Centrale, vont intégrer ces dispositions constitutionnelles
favorables à un engagement de l`Etat dans le processus
d`intégration régionale de type communautaire214, en
omettant cette fois le principe de réciprocité et en mettant en
avant sans même le savoir le principe de primauté du droit
communautaire. En d`autres termes, les Etats comme le Cameroun et la
Guinée Equatoriale qui n`ont pas trouvé important de
réviser leurs constitutions pour réceptionner le droit
communautaire, continuent à assimiler le droit communautaire au droit
international, ce qui pose inéluctablement la question de la
primauté du droit communautaire. Car contrairement au droit des gens
qui, pour avoir une pleine efficacité, doit s`appuyer sur les ordres
juridiques nationaux, le droit communautaire lui n`a nullement besoin d`une loi
d`approbation ou d`application pour être effectif et produire des effets
de droit. Il s`agit pour la règle de droit communautaire d`une
intégration respectueuse de son statut originel et de l`identité
primordiale du droit communautaire. Ceci fait de l`ordre juridique
communautaire un ordre juridique spécifique et autonome. Le conseil
constitutionnel français affirmera par la que l`article 88-1de la
constitution « a (...) consacré l'existence d'un ordre
juridique communautaire intégré à l'ordre juridique
interne et distinct de l'ordre juridique international
»215. La conséquence à en tirer au sein de
la CEMAC est la suivante : toute mesure ou engagement communautaire
signé par le Cameroun ou la Guinée Equatoriale ne trouve son
fondement ou son habilitation dans aucune disposition constitutionnelle. Ces
deux pays intègrent et appliquent une norme qui ne trouve
212 La constitution camerounaise du 18 janvier 1996 et la
constitution de la Guinée Equatoriale.
213 Voir TCHUINTE (J), « l'application effective du
droit communautaire en Afrique centrale », op cit, p 68.
214 Ibid. p 69.
215 Décision N°2004-505 DC du 19 novembre 2004
portant sur le traité établissant une constitution pour l`Europe,
recueil des décisions du conseil constitutionnel, Dalloz, 2005.
Cité par TCHUINTE (J), « l'application effective du droit
communautaire en Afrique centrale », op cit, p 71.
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veritablement pas de fondement dans la
constitution216. Alors l`organe de contrôle de la
constitutionnalité doit se saisir car les normes communautaires
signées ne trouvent pas leur validité dans la constitution.
Toutefois, la seule existence dans le texte fondamental des Etats d`Afrique
Centrale des dispositions spécifiques se rapportant au droit
communautaire emporte habilitation constitutionnelle de mettre sur pied des
actes primaires à caractère constitutionnel. Quid du fondement
communautaire ?
2) Le fondement communautaire du pouvoir constituant
de l'Etat membre
Le fondement communautaire revient à présenter
la compétence expresse reconnue à l`Etat membre d`émettre
des actes juridiques avec caractère constitutionnel. L`article 40
l`énonce très bien en ces termes : « la
conférence des chefs adopte des actes additionnels au traité
»217. Fort du pouvoir constituant à lui reconnu,
l`Etat membre au sein de l`organe qu`il constitue possède
également la capacité d`effectuer des révisions du
« bloc de constitutionnalité » constituant la
communauté intégrative. L`article 57 du traité
révisé de la CEMAC l`a stipulé comme il suit : «
tout Etat membre peut soumettre à la conférence des chefs d'Etats
des projets tendant à la révision du présent traité
ou des conventions de l'UEAC et de l'UMAC. Les modifications sont
adoptées à l'unanimité des Etats membres». En
résumé, l`habilitation communautaire comporte premièrement
le pouvoir de créer des actes juridiques ayant rang de l`acte primaire,
et devant être annexés au traité constitutif de la
communauté, deuxièmement, le pouvoir de modification et de
révision du traité constitutif de la communauté
intégrative, et également de toutes conventions. Qu`en est-il du
contrôle de la validité du droit communautaire ?
216 Nous notons que toute tentative de justifier la
réception du droit communautaire dans ses pays s`appuie sur un
énoncé du préambule, de surcroit implicite, mais qui
semble plus être une habilitation constitutionnelle à
l`intégration du droit international en droit interne. En tenant compte
que le droit international n`est pas matériellement du droit
communautaire. En plus, loin d`avoir une appréciation réductrice
des intentions du constituant de 1996, précisément en ce qui
concerne le cas du Cameroun, nous discutons de la vision futuriste de celui-ci,
qui aurait pris en compte toute la complexité du droit communautaire, et
nous mettons l`énoncé du préambule de la constitution
camerounaise qui habiliterait implicitement l`intégration de la norme
communautaire et l`engagement du Cameroun à la communauté, sous
le prisme des mouvements politiques tendant à favoriser le rapprochement
et l`union des pays, des peuples, et des cultures africaines. Et
généralement ce type de regroupement donne naissance à des
organisations internationales à caractère politique à
l`instar de l`UA. Nous affirmons donc que l`énoncé du
préambule de la constitution camerounaise ne restitue pas la
spécificité et l`autonomie du droit communautaire. Par
conséquent tous les engagements communautaires au Cameroun manquent de
bases constitutionnelles, donc sont dans l`illégalité
constitutionnelle, à distinguer de l`inconstitutionnalité qui est
la résultante du non respect de la règle constitutionnelle. Dans
le cas de l`illégalité constitutionnelle, la norme
intégrée dite illégale constitutionnelle ne trouve pas un
fondement ou une base lui permettant de justifiée sa
légalité au sein de la norme fondamentale.
217 Voir l`article 40 du traité révisé CEMAC
de 2008.
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