pouvoir constituant.
Disposant « du pouvoir et de la
légitimité propre à établir une norme juridique qui
fonde et organise un ordre juridique »181, pour ce faire
l`Etat membre use des actes juridiques pour atteindre ses objectifs. Parmi ces
actes, on distingue ceux considérés comme constitutionnels,
à savoir le traité constitutif d`une organisation
intégrative182 (1) et également les
actes additionnels (2).
1) L'acte de validité de l'ordre juridique
communautaire : le traité instituant la CEMAC.
Le traité est un engagement ou un accord entre sujets
de droit international. Sa définition ne fait intervenir à aucun
moment le caractère constitutionnel de cette source du droit
communautaire. Le conseil constitutionnel français l`a même
affirmé en ce qui concerne le traité établissant une
constitution pour l`Europe en disant qu`elle « conserve le
caractère d'un traité international souscrit par les Etats
signataires du traite instituant la communauté européenne et du
traité sur l'union européenne »183. Bien que
la forme qui revient au mécanisme ayant conduit à son
élaboration ne nous renseigne pas sur le caractère
constitutionnel du traité instituant la CEMAC, son esprit
démontre tout de même le caractère constitutif de celui-ci.
Comme en droit interne, on distingue en définissant la constitution, une
appréhension formelle liant le caractère solennel de la
procédure de conception de la constitution. Et également
matérielle, qui se borne à déterminer le caractère
constitutionnel d`un texte dans son oeuvre consistant à organiser la vie
institutionnelle et normative d`un Etat184. Alors dans cette
deuxième acception de la constitution, l`on peut déduire du
traité
181181 MATHIEU (B), « Réflexions sur le
pôle de l'Etat en tant qu'élément du pouvoir constituant de
l'union européenne in annuaire de droit européen »,
op cit, p 13.
182 « Le traité CEE, bien que conclu sous la
forme d'un accord international, n'en constitue pas moins la charte
constitutionnelle d'une communauté de droits ». Voir l`avis
relatif au projet d`accord entre la communauté européenne et les
Etats de l`association européenne de libre échange
européen (EEE) du 14 décembre 1991, N°1/91, Rec., P
I-6079.
183 Les dispositions du traité constitutionnel
relatives aux modalités de son entrée en vigueur, de sa
révision et la possibilité de le dénoncer, le range bien
dans la catégorie générique des « engagements
internationaux ». Voir Décision N° 2004-505 DC du 19
novembre 2004, traité établissant une constitution pour l`Europe,
J.O.R.F du 24 novembre 2004, p 19885.
184 « Il est convenu que toutes les constitutions
possèdent des traits communs. Elles fixent dans l'Etat le statut du
pouvoir politique et des conditions d'exercice de l'autorité publique
» voir MONJAL (P.Y), Les normes de droit communautaire,
coll. « que sais je », PUF, 2000, p 15.
Mémoire présenté et soutenu par EKO
MENGUE Arsène Silvère 56
Recherches sur l'Etat membre de la Communauté
Economique et Monétaire de l'Afrique Centrale
instituant la CEMAC une base constitutionnelle de l`ordre
juridique communautaire CEMAC. Il ne s`agit point de soutenir que la
communauté intégrative forme un Etat et que le traité
révisé de la CEMAC est une constitution. Une telle assimilation
ne serait pas soutenable au regard du droit constitutionnel. Toutefois on ne
saurait admettre que cette branche du droit public procède à une
appropriation de la notion de constitution, et à une «
absorption lexicale exclusive ». L`on peut, dans la perspective de
ressortir le caractère constitutionnel du traité instituant la
CEMAC, mettre en exergue les critères établissant la
constitutionnalisation de l`acte primaire de la CEMAC. Le critère formel
du caractère constitutionnel trouve sa source dans l`article
57185 relatif à la procédure de révision du
traité constitutif. En vertu de l`article précité, les
Etats membres forment le pouvoir constituant au sein de la communauté,
sur leur initiative ou celle de la commission. Il est mis en exergue ici, le
fondement démocratique nécessaire à toute constitution.
Mais le caractère étatique ne doit pas occulter la réelle
dimension démocratique car les « modifications entrent en
vigueur après avoir été ratifiées par tous les
Etats membres en conformité avec leurs règles constitutionnelles
respectives »186. Bien que la ratification sonne comme une
loi d`approbation du « droit venu d`ailleurs »187, elle
revêt également une forme de légitimation populaire du
texte soumis aux parlementaires. Par conséquent cette instance
fondatrice qui est l`adhésion du peuple par les ratifications nationales
prouve qu`il s`est indiscutablement produit un « moment
constitutionnel »188. Dans une approche analogique, l`on
peut affirmer comme dans le cas des constitutions nationales que, les
autorités élues représentant le peuple, et agissant au
niveau communautaire portent en elles une parcelle du pouvoir constituant
dérivé. On peut dès lors raisonnablement soutenir qu`une
fraction de la population communautaire CEMAC, le plus solennellement possible
a donné une légitimité populaire ou démocratique au
traité instituant la CEMAC.
En ce qui concerne le critère matériel,
c'est-à-dire « tout ce qui dans le droit primaire est de nature
ou d'origine constitutionnelle »189, on est dans
l`obligation de constater
185 Article 57 du traité constitutif de la CEMAC «
Tout Etat membre peut soumettre à la Conférence des
Chefs
d'Etat des projets tendant à la révision du
présent Traité ou des Conventions de l'UEAC et de l'UMAC. Les
modifications sont adoptées à l'unanimité des Etats
membres. Sur proposition du Président de la Commission, des premiers
responsables des Institutions et Organes de la Communauté ou du premier
responsable de toute Institution Spécialisée de la
Communauté, le Conseil des Ministres ou le Comité
Ministériel, peuvent également soumettre des projets de
révision du présent Traité à la Conférence
des Chefs d'Etat. Les modifications entrent en vigueur après avoir
été ratifiées par tous les Etats membres en
conformité avec leurs règles constitutionnelles respectives
».
186 Ibid.
187 F. Mélin-Soucramanien, « La Constitution, le juge
et le droit venu d`ailleurs? », Mélanges en l'honneur
de
Slobodan Milacic. Démocratie et liberté :
tension, dialogue, confrontation, Bruxelles, Bruylant, 2008, p. 177 et
s
188 MONJAL (P.Y), les normes de droit communautaire,
op cit, p 18
189 Ibid.
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Recherches sur l'Etat membre de la Communauté
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en fait un double processus de constitutionnalisation du droit
primaire. Le premier est au niveau supranational, dans la prise de
décisions au niveau supranational, on assiste au respect des traditions
constitutionnelles des Etats membres, et du respect de la répartition
des compétences dans le traité révisé CEMAC. Le
respect des traditions constitutionnelles des Etats membres dans la prise de
décision se manifeste au préambule par la réaffirmation de
leur « attachement au respect des principes de démocratie, des
droits de l'homme, de l'Etat de droit, de la bonne gouvernance, du dialogue
social et des questions de genre »190. Il faut dire que la
CEMAC est fondée sur l`ensemble de ces principes dont la nature
constitutionnelle est difficilement réfutable. Et partant de cet
énoncé, les institutions communautaires voient leur action
décisionnelle prédéterminée ou encadrée par
la norme primaire.
La constitutionnalisation au niveau supranational peut
également être recherchée dans le mécanisme
d`attribution des compétences communautaires. C`est par rapport à
ce système de répartition des compétences que naît
le principe de primauté ou de la suprématie du droit
communautaire sur les droit nationaux , formulé dans l`arrêt
COSTA, et repris en d`autre termes dans l`article 44 du traité
révisé de la CEMAC « les actes adoptés par les
institutions, organes et institutions spécialisées de la
communauté pour la réalisation des objectifs du présent
traité sont appliqués dans chaque Etat membre nonobstant toute
législation nationale contraire antérieure ou postérieure
».
Le second processus de constitutionnalisation est national et
renvoi véritablement à l`intégration progressive du droit
communautaire dans les constitutions nationales. Lors de l`entrée en
vigueur du traité révisé CEMAC, une modification
substantielle du nombre de constitutions africaines191 montre une
forme de
190 Voir le préambule du traité
révisé CEMAC signé en 2008 à Yaoundé.
191 La constitution du Gabon du 26 mars 1991 consacre au titre
XI « des accords de coopération et d`association » son unique
article stipule : « la république gabonaise conclut
souverainement des accords de coopération ou d'association avec d'autres
Etats. Elle accepte de créer avec eux des organismes de gestion commune
de coordination et de libre coopération ».
La constitution Tchadienne du 31 mars 1996
révisée en mai 2004 et le 6 juin 2005 en son article 217 dispose
que « la république du Tchad peut conclure avec d'autres Etats
des accords de coopération et d'association...elle peut créer
avec d'autres Etats des organismes de gestion commune de coordination et de
coopération... ».
Le titre V de la loi fondamentale centrafricaine
reconnaît également à l`Etat la possibilité
d`établir avec ses partenaires des relations très poussées
pouvant entrainer « un abandon total ou partiel de la
souveraineté [nationale] en vue de réaliser l'unité
africaine ».
L`article 184 de la constitution congolaise stipule que «
la république peut conclure des accords
d'association...créé... des organismes inter gouvernementaux de
gestion commune de coordination... et d'intégration ».
Le cas du Cameroun et de la Guinée Equatoriale est
particulier. La constitution camerounaise du 18 janvier 1996 ne comporte pas de
disposition spécifique au droit communautaire. Il en est de même
de celle de Guinée Equatoriale.
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MENGUE Arsène Silvère 58
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constitutionnalisation des lois fondamentales des Etats de
l`Afrique centrale. En d`autre terme le traité révisé
CEMAC exerce un effet normalisateur sur les constitutions nationales.
En ce qui concerne le critère fonctionnel
caractéristique de la constitution, la cour de justice proclama
« non seulement que le traité de Rome forme la charte
constitutionnelle de la communauté, mais surtout que la construction
européenne a atteint le stade d'une communauté de droit
»192. Par analogie avec le concept d`Etat de droit, cette
affirmation véhicule des principes fonctionnels qui sont d`une part
juridiques et contentieux, et d`autre part politiques ou
démocratiques.
« Juridiquement, tout d'abord le principe qu'exprime
la notion de communauté de droit est que les actes des institutions ne
peuvent échapper au contrôle de conformité avec le droit
primaire »193. Cela traduit tout simplement comme dans la
théorie de l`Etat de droit que les « institutions
communautaires ne peuvent agir qu'en vertu d'une validation normative,
étant entendu que leur action est susceptible de contrôle
juridictionnel ». La communauté de droit et l`Etat de droit
semblent être convergents. Éventuellement c`est bien le
citoyen-justiciable national qui se trouve être au centre des enjeux de
la communauté de droit. Il y a lieu de se demander si elle ne favorise
pas l`émergence d`une conception différente de la
démocratie traditionnelle194. Autrement dit, « la
communauté de droit donne aux requérants-citoyens des Etats
membres de nouvelles fonctions leurs permettant de compléter le
contrôle politique traditionnel »195, de limiter ou
d`encadrer l`action de l`Etat.
Ainsi avec la notion de constitution d`une communauté,
on dispose d`un concept juridique et politique autonome qui reflète la
constitutionnalisation du droit primaire. Cependant, il faut préciser
que « les dispositions techniques réglementant les
activités économiques, commerciales ou encore sectorielles, ne
sont pas de nature constitutionnelle ». Le statut de constitution
d`une communauté de droit reconnu au droit primaire est
réservé exclusivement aux dispositions relatives aux droits
fondamentaux ou aux principes que partagent les Etats membres de la CEMAC et
qu`ils respectent, aux compétences des communautés et des
institutions. Peut-on aussi reconnaître aux actes additionnels, aux
traités institutifs le caractère de constitutionnel ?
192 Voir MONJAL (PY), les normes de droit communautaire,
op cit p 22.
193 Ibid.
194 Ibid. p 23.
195 Ibid.
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2) Les actes additionnels : l'acte de
validité de l'ordre juridique communautaire.
L`article 40 du traité révisé de la CEMAC
stipule que : « la conférence des chefs d'Etats adopte des
actes additionnels au traité (...) »196 et il s`en
suit que « les actes additionnels sont annexés au traité
de la CEMAC et complètent celui-ci sans le modifier. Leur respect
s'impose aux institutions, aux organes et aux institutions
spécialisées de la communauté, ainsi qu'aux
autorités des Etats membres »197. Le traité
révisé de la CEMAC est clair dans son énoncé. Par
conséquent, il est évident qu`un acte additionnel est un acte
juridique qui acquiert le même rang et la même force juridique que
l`acte sur lequel il vient se greffer et bénéficie
automatiquement du même respect que la norme sur laquelle il se greffe. A
cet effet, les actes additionnels et le traité CEMAC constituent si tant
on peut le dire, « le bloc de constitutionalité
»198 instituant la communauté CEMAC bien que tous
ses instruments juridiques communautaires ne soient pas ratifiés par
tout les Etats membres. Ainsi, les actes additionnels et le traité
révisé CEMAC, cet ensemble normatif forme « le droit
originaire, tant d'un point de vue matériel que chronologique
»199. On met dans le cadre des actes additionnels de la
CEMAC, les conventions régissant l`UEAC, l`UMAC et la cour de justice de
la CEMAC. Comme le traité constitutif, les actes additionnels ont force
contraignante sur les autres normes communautaires qui leurs sont
inférieures, et sur le droit national. Guy ISAAC affirmera même
que « le droit communautaire n'est pas un droit étranger, ni
même un droit extérieur : il est le droit propre de chacun des
Etats membres applicable sur son territoire tout autant que son droit national,
avec cette qualité supplémentaire qu'il couronne la
hiérarchie des textes normatifs de chacun d'eux »200.
L`on peut également dire avec GUY ISAAC que la règle des
traités et actes additionnels se situent au sommet de la
hiérarchie de l`ordre juridique communautaire. « Elles
prévalent à l'égard de l'ensemble des autres sources du
droit communautaire »201. Le traité institutif et
les autres actes additionnels constituent à la fois le fondement, le
cadre et les limites de la communauté. On peut en conclure que les
normes de droit primaire ont une primauté presque absolue car elles
s`exercent autant sur les autres normes communautaires que sur le droit
national. Quels sont les effets juridiques ?
196 Chapitre IV : des actes juridiques et contrôle des
activités de la communauté, section 1 des actes juridiques de la
communauté, article 40 du traité révisé CEMAC.
197 Voir article 41 du traité révisé
CEMAC.
198 En droit français on appelle « bloc de
constitutionnalité » l`ensemble des principes et disposition
que les lois doivent respecter et dont le conseil constitutionnel est le
garant. Il n`est pas limité à la seule constitution. Elle les
articles de la constitution de 1958, la déclaration des droits de
l`homme et du citoyen de 1789, le préambule de la constitution de 1946,
la charte de l`environnement depuis 2005.
199 MONJAL (PY), Les normes de droit communautaire,
op cit p 16.
200 ISAAC (G) et BLANQUET (M), Droit général de
l'union européen, op cit p 261.
201 Ibid. p 197.
Mémoire présenté et soutenu par EKO
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