La décentralisation territoriale sous la constitution du 18 février 2006. Bilan d'une décennie d'application.( Télécharger le fichier original )par Jordy Panza Université Protestante au Congo - Licence en Droit public 2016 |
Sous-section 3. L'évaluation de la rétrocession des recettesAvec la décentralisation territoriale consacrée par la Constitution, les provinces et les ETD disposent de ressources économiques et financières qui leur sont propres. En effet, le transfert par le pouvoir central d'une partie de son pouvoir fiscal et financier s'est opéré dans l'optique de leur permettre d'assumer de façon autonome les responsabilités et les charges qui leur sont dévolues par la Constitution et les lois.169(*) Doit-on préciser que la décentralisation fiscale matérialise l'autonomie reconnue aux provinces et aux ETD sur le plan financier ? Elle confirme l'autonomie politique par celle des finances.170(*) Cependant, aux termes de l'article 175 alinéa 2 de la Constitution, les provinces ont droit à 40 % des recettes à caractère national. Cette part est retenue à la source. Tous les observateurs et analystes du processus de décentralisation s'interrogent sur la portée pratique de cette disposition qui demeure la base des tensions entre le Gouvernement central et les provinces. Qui plus est, les ETD ont, conformément à l'article 115 de la loi organique n°08/016 du 07 octobre 2008 portant composition, organisation et fonctionnement des Entités Territoriales Décentralisées et leurs rapports avec l'Etat et les provinces, droit à 40% de la part des recettes à caractère national allouées aux provinces. Fort de ces deux prescriptions, nous dirons un mot sur les recettes revenant aux provinces et à la ville de Kinshasa (40%) qui, du reste, ne sont pas retenues à la source mais rétrocédées par le pouvoir central (§1). Nous atterrirons par la rétrocession des recettes à caractère national des provinces ou de la ville de Kinshasa vers les ETD (§2). §1. Du pouvoir central
vers les provinces et la ville de Kinshasa
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Rubriques |
BUDGET 2011 |
BUDGET 2012 |
BUDGET 2013 |
BUDGET 2014 |
BUDGET 2015 |
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1 |
Recettes courantes (Hors TVA remboursable) |
3.285 milliards |
4.260 milliards |
4.601 milliards |
4.806 milliards |
5.372 milliards |
2 |
Les 40% prévus pour les provinces |
1.183 milliards |
1.568 milliards |
1.578 milliards |
1.795 milliards |
2.053 milliards |
3 |
La part de 40% versée aux provinces et gérées par elles |
212 milliards |
212 milliards |
212 milliards |
212 milliards |
241 milliards |
4 |
La part versée aux provinces sur total du budget |
6% |
4% |
4% |
4% |
4% |
2. Affectation de 40% des provinces (en milliards de francs congolais)
Rubriques |
BUDGET 2011 |
BUDGET 2012 |
BUDGET 2013 |
BUDGET 2014 |
BUDGET 2015 |
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1 |
La part des 40% versée aux provinces et aux ETD |
212,400 |
212,400 |
212,400 |
212,400 |
241,698 |
2 |
La part des 40% gérée par le Gouvernement central |
970,640 |
1 356,446 |
1 365,996 |
1 582,640 |
1 791,950 |
Rémunérations |
350,000 |
602,625 |
483,544 |
699,264 |
688,528 |
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Investissements |
620,640 |
753,820 |
882,451 |
883,376 |
1 103,421 |
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TOTAL |
1 183,040 |
1 568,846 |
1 578,396 |
1 795,040 |
2 033,648 |
3. Ventilation de la quotité des 40% de recettes due aux provinces
Rubriques |
BUDGET 2011 |
BUDGET 2012 |
BUDGET 2013 |
BUDGET 2014 |
BUDGET 2015 |
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1 |
Crédits gérés par les provinces |
18% |
13,50% |
13,50% |
12% |
12% |
2 |
Crédits gérés par le Gouvernement central |
82% |
86,50% |
86,50% |
88% |
88% |
TOTAL |
100% |
100% |
100% |
100% |
100% |
Comme nous venons de le voir, si, en 2011, les provinces ont globalement encaissé ou géré 6% des ressources à caractère national au lieu de 40%, dans la période allant de 2012 à 2015, elles n'en n'ont encaissé qu'environ 4%.177(*)
Cette question n'avait pas fini de créer des remous. Avant le découpage territorial intervenu en 2015, certaines provinces nommées « G3 », entendons ici le Katanga178(*), le Bas-Congo179(*) et la ville de Kinshasa déclaraient urbi et orbi que ces 40% ne concernaient uniquement que les recettes perçues dans leurs entités. Par contre, les huit autres provinces, appelées « G8 », rétorquaient qu'il s'agissait de 40% des recettes produites dans les onze provinces du pays et qu'il fallait les rétrocéder équitablement.
La question de la rétrocession des recettes n'est pas la seule à poser problème. D'autres situations malencontreuses ralentissent le processus de décentralisation dans son aspect financier. C'est le cas de l'anomalie observée depuis la promulgation de la loi de finances pour l'exercice 2016 en ce qui concerne le prélèvement de la taxe sur la pollution.
En effet, l'article 39 de la loi n°11/009 du 09 juillet 2011 portant principes fondamentaux relatifs à la protection de l'environnement dispose que toute installation classée est assujettie au paiement d'une taxe d'implantation, d'une taxe rémunératoire annuelle et d'une taxe de pollution.180(*)
Par installation classée, il faut entendre une source fixe ou mobile, quel que soit son propriétaire ou son affectation, susceptible d'entrainer des nuisances et de porter atteinte à l'environnement notamment aux ressources en terre, aux ressources du sous-sol, aux ressources en eau, à l'air et aux ressources forestières.181(*)
Initialement, les deux premières sont de la compétence du pouvoir central tandis que la troisième est perçue par les provinces, quelle que soit la catégorie de l'installation classée. Mais, avec la loi de finances pour l'exercice 2016, la taxe de la pollution sur les installations classées de catégorie I.a., est devenue de la compétence du pouvoir central.182(*)
D'après les services du pouvoir central, en l'occurrence la DGRAD, les provinces ne sont plus habilitées à la percevoir. En réplique, les services provinciaux disent toujours en avoir les moyens juridiques de perception car l'article 36 ne leur a pas explicitement retiré cette compétence. Nous sommes bel et bien devant une situation de double taxation pour les installations classées de la catégorie I.a.
Par ailleurs, aucun texte juridique n'a été élaboré pour fixer le taux de cette taxe et pour en déterminer l'échéance de paiement. La DGRAD continue de l'assimiler à la taxe d'implantation et à la taxe rémunératoire annuelle.
De notre avis, cette position de la DGRAD n'est pas juridiquement soutenable car, en matière fiscale, les textes sont d'interprétation stricte.
* 169 Ministère de l'Intérieur, Sécurité, Décentralisation et Affaires coutumières, « La décentralisation en bref », CTAD, RDC, 2013, p.77.
* 170 I. MUAMBA MUAMBA, La décentralisation fiscale en RDC. Plaidoyer pour une gestion rationnelle et efficace des finances locales, Travail de recherche, Faculté de Droit, Université Notre-Dame du Kasayi, 2014-2015, inédit, p.6.
* 171 Recettes administratives, judiciaires, domaniales et de participation (prélevées par DGRAD), recettes fiscales (collectées par la DGI) et recettes douanières (encaissées par la DGDA).
* 172 Voir I. MUAMBA MUAMBA, op.cit., p.7.
* 173 F. VUNDUAWE te PEMAKO, « La dynamique de la décentralisation territoriale en R.D Congo (2ème partie) », in Revue Congo-Afrique, n°433, Mars 2009, pp. 177.
* 174 E. KASONGO MUNGONGO, cité par P. MBARAGA SEBALIMBA, op.cit., p. 69.
* 175 I. MUAMBA MUAMBA, op.cit., p.7.
* 176 A. MUZITO, « La RDC : Un Etat sans provinces », in Le Phare n°5036, 23 mars 2015, pp. 3.
* 177 Idem, pp. 3.
* 178 Province qui, depuis 2015, a donné naissance à 4 nouvelles provinces : le Haut-Katanga, le Haut-Lomami, le Lualaba et Tanganyika.
* 179 Actuellement dénommé Kongo-Central.
* 180 Loi n°11/009 du 09 juillet 2011 portant principes fondamentaux relatifs à la protection de l'environnement, JORDC, numéro spécial, 16 juillet 2011.
* 181 Article 3 du décret n°13/015 du 29 mai 2013 portant réglementation des installations classées, JORDC, numéro spécial, 20 juin 2013.
* 182 Article 36 de la loi de finances n°15/021 du 31 décembre 2015 pour l'exercice 2016, JORDC, numéro spécial, 31 décembre 2016.