SECTION II. DES DONNES SCIENTIFIQUES AU CADRE
JURIDIQUE
DE LA LUTTE CONTRE LE RECHAUFFEMENT CLIMATIQUE
Jusqu'aux années 70, dates des premières
manifestations d'intérêt sur les questions
climatiques de la part des Etats, les cris alarmistes sur les
changements climatiques seront
scientifiques (§1). Sur bases des ces mises en garde, la
communauté internationale se
penchera sur la question climatique pour déboucher sur
deux instruments juridiques - la Convention
des Nations Unies sur les changements climatiques et le
Protocole de Kyoto - qui
constitueront le cadre juridique international de lutte contre
les changements climatiques (§2).
Il s'agira, dans le cadre de cette deuxième section, de
retracer l'apparition de la question climatique
en droit international.
§1. Le monde scientifique comme facteur incitatif de
la prise de conscience internationale
du problème du réchauffement climatique.
Tout commence en 1895 lorsque Svante Arrhénius
analyse le mécanisme de
l'effet de serre à l'Académie des Sciences de
Suède. Après avoir décrit le mécanisme tel que
développé ci-haut (cfr. Section I supra), il met
en garde contre le développement de l'usage
des combustibles fossiles, estimant qu'il devrait se traduire
par une augmentation de la température
moyenne de la Terre.
La théorie d'Arrhénius ne sera pas
prise au sérieux et il faudra attendre 1956
pour qu'un autre scientifique américain, Gilbert
Plass, reprenne cet argument d'un réchauffement
climatique dont l'homme serait responsable.45 Ainsi
débuteront, en 1957, les premières
mesures systématiques du CO2, à Hawaï et en
Alaska. Pratiquement à la même période
Charles Kelling utilisa les technologies les plus
modernes pour produire des courbes de con-
45 CORNUT (P.), « Petite historique de la convention
climat et des négociations climat », in Les cahiers de
globales
chances n°8, Paris, juillet 1997, p.53
21
centration du CO2 dans l'antarctique et à Mauna Loa.
Ces courbes serviront de référence pour
toutes les modélisations climatiques qui suivront.
En 1967, deux scientifiques, Syukuro Manabe et
Richard Wetherald, prédisent
un doublement de la concentration de CO2 d'ici le début
du XXIème siècle et une élévation
de la température moyenne de l'ordre de 2,5°C.46
C'est ainsi que la communauté internationale
commencera à se pencher sur la question.
Une première conférence sur l'Environnement sera
organisée en juin 1972 à
Stockholm et fera de l'environnement une question majeure sur
la scène internationale. Sous
l'égide des Nations Unies, elle réunira les pays
développés et en développement, mais l'Union
soviétique d'alors et la plupart de ses alliés
n'y participeront pas, certes la conséquence logique
du contexte géopolitique de l'époque.47
La Conférence de Stockholm a produit une
déclaration de 26 principes et un
plan d'action de 109 recommandations parmi lesquelles la
création d'un secrétariat qui centralisera
l'action en matière de l'environnement et
réalisera la coordination entre les organes des
Nations Unies. Cette recommandation se matérialisera la
même année sous le nom du Programme
des Nations Unies pour l'Environnement (PNUE). En outre ,
quelques objectifs spécifiques
ont été fixés : un moratoire de 10 ans
sur la chasse commerciale à la baleine, la prévention
des rejets délibérés de pétrole en
mer au plus tard en 1975 et rapport sur les utilisations
de l'énergie, au plus tard en 1975 . La
Déclaration de Stockholm sur l'environnement et
les principes de Stockholm constituent le premier exemple de
« droit international non contraignant
» concernant l'environnement. Comme le remarquera le
professeur Mostafa Tolba,
chef de la délégation égyptienne : «
...l'une des principales responsabilités de cette conférence
est de diffuser une Déclaration internationale sur
l'environnement ; un document qui
n'aurait pas force de loi mais qui, nous l'espérons,
aurait une autorité morale, qui mettrait
dans le coeur des hommes le désir de vivre en harmonie
les uns avec les autres et avec leur environnement
».48
46 Idem
47 La conférence de Stockholm eu lieu dans un contexte
géopolitique particulier. La polarisation du monde,
caractéristique
de la guerre froide, ne favorisait pas la réunion de
tous les Etats pour une action internationale en
faveur de l'environnement. Il n'était normal que le
bloc soviétique s'abstienne d'y participer car voyant en
cette conférence un « conglomérat
capitaliste ».
48 NEBBIA (T.), Environnement et développement :
vers l'intégration 1979-2002, UNEP, Nairobi, 2002, p. 3
22
En 1974, sous l'égide du Programme des Nations Unies
pour l'Environnement
et de la Commission des Nations Unies pour le commerce et le
développement (CNUCED)
sera organisé un colloque d'expert à Cocoyoc
(Mexique). Présidé par Barbara Ward, il aura le
mérite de dresser la liste des facteurs
économiques et sociaux qui entraineraient une
détérioration
environnementale. La Déclaration de Cocoyoc,
officiellement publiée à l'issue de ce colloque,
a eu une grande influence car elle a modifié la
réflexion sur l'environnement.
Mais il faudra attendre la première Conférence
Mondiale sur le Climat, en
1979, pour voir une assemblée scientifique
internationale mettre en garde contre les changements
climatiques. Cette conférence parviendra à la
conclusion que les émissions anthropiques
de dioxyde de carbone pouvaient avoir un effet à long
terme sur le climat et la déclaration
adoptée par les participants appellera tous les
gouvernements à "prévoir et prévenir celles
des conséquences possibles de l'action de l'homme sur
le climat qui pourraient nuire au bienêtre
de l'humanité".49
Un Programme Mondial de Recherche sur le Climat est alors mis
en place sous
la responsabilité de l 'Organisation
Météorologique Mondiale (OMM), du Conseil International
des Unions Scientifiques (CIUS) et du Programme des
Nations-Unies sur l ' Environnement
(PNUE). Il sera le cadre d'une coopération
internationale à la recherche et une base pour
l'examen des grandes questions climatologiques durant les
années 80 et 90, notamment celles
de l'épuisement de la couche d'ozone et du
réchauffement mondial.
Les années 80 seront celles où la théorie
des changements climatiques aura gagné
du terrain dans l'opinion publique. Il y'a tout d'abord le
constat scientifique que les
courbes annuelles de température augmentaient de
façon inquiétante. Du coup, les ONG environnementales
commenceront à pousser les Etats à une
protection de l'environnement pour
empêcher un réchauffement planétaire
à court terme. La presse a également joué un rôle
important
dans ce lobbying en faveur de l'environnement. Les images de
fumés, de fonte de
glace, pour ne citer que ceux là, seront les grandes
vedettes de ce cirque médiatique qui se développera
et finira par convaincre l'opinion publique que nous courrions
le risque des changements
climatiques imminents et qui auront beaucoup d'impacts
négatifs.
49 CORNUT (P.), op cit
23
En 1987, la Commission « Brundtland »50,
nommée quatre ans plus tôt par les
Nations unies, publiera son rapport « Our common future
». pour l'essentiel ce document est
une étude des solutions pour des problèmes
parallèles de dégradation environnementale et de
manque de développement social et économique en
demandant d'adresser ces problèmes. Ce
rapport aura le mérite de la popularisation de concept
« développement durable » qui fut défini
comme étant un développement qui puisse
répondre aux besoins présents sans toutefois compromettre
l'habilité des générations futures
à répondre à leurs propres besoins.
Toronto, 1988. A l'occasion de la conférence sur
l'atmosphère qui y est organisée
en juin, toujours sous l'égide du Programme des
Nations-Unies sur l'Environnement
(PNUE) et de l'Organisation Météorologique
Mondiale (OMM), la communauté scientifique
alerte les responsables politiques, affirmant pour la
première fois qu'il faut absolument stabiliser
la concentration atmosphérique de CO2 et
précisant qu'à l'échelle mondiale, le premier objectif
devrait consister à réduire les émissions
de CO2 d'environ 20% de leur valeur de 1988
d'ici à l'an 2005". Les participants recommanderont,
pour la toute première fois, l'élaboration
d'une convention-cadre pour la protection de
l'atmosphère. Aussi, à la suite d'une proposition
de Malte, l'Assemblée générale des
Nations Unies se penchera pour la première fois sur la
question des changements climatiques en adoptant la
résolution 43/53, dans laquelle elle a
considéré « l'évolution du climat
comme une préoccupation commune de l'humanité, le climat
étant l'une des conditions essentielles de la vie sur
Terre » et a estimé qu'il fallait «prendre en
temps voulu les mesures nécessaires pour traiter de
l'évolution du climat dans un cadre mondial...
».51
Une plate forme scientifique intergouvernementale sera mise en
place à la
même occasion : le Groupe Intergouvernemental sur
l'Evolution du Climat, GIEC en sigle. Sa
mission est de rassembler les donnés scientifiques,
techniques et socio-économiques pertinentes
afin d'envisager les risques des changements climatiques
liés aux activités humaines,
formuler et évaluer des stratégies possibles de
prévention et d'adaptation. Cadre de confrontation
scientifique, le GIEC jouera un rôle important dans la
compréhension de la question climatique
surtout pour les pays du sud où il n'existait, à
l'époque, quasiment pas de programme
50 Du nom de sa présidente Mme. Gro Harlem
BRUNDTLAND
51 Assemblée générale des Nations Unies,
Résolution A/RES/43/53 du 6 décembre 1988, Nations Unies, New
York, 1988, op cit.
24
climatologique national. Son premier rapport de 1990 servira
de base à la Conférence de Rio
qui donnera naissance à la Convention de Rio sur les
changements climatiques.
En définitif, il faudra retenir qu'à la fin des
années 80, il fut acquis que le climat
se réchauffait. En même temps, la mobilisation
internationale se précisa. Toutes les rencontres
qui suivront ne serviront qu'à aplanir la route aux
« négociations-climat » qui aboutiront
à la Convention cadre des Nations Unies sur les
changements climatiques.
|