§3. De la nécessité d'une
redéfinition post-2012 du fonctionnement des marchés-
carbone
Avec la fin de la première période d'engagement,
la nécessité d'une revisite du
fonctionnement des marchés-carbone s'impose car, si la
question de leur effectivité ne fait
l'ombre d'aucun doute, celle de leur efficacité par
contre...
Il s'agit, dans le cadre de ce paragraphe, de soumettre
certaines propositions
pertinentes qui, nous estimons, devront être prises en
compte dans la structuration du marchécarbone
post-2012.
v Le marché-carbone, de par les mécanismes
de flexibilités, est un dispositif créé par le
droit international dont l'objectif est de garantir la
réduction des émissions à moindre
coût : la robustesse du signal prix est à cet
égard déterminante et doit être
préservée
En effet, Le système international d'échanges de
quotas est d'abord un instrument
de contingentement volumique des émissions de gaz
à effet de serre, avant d'être un système
d'échanges. Ce qui implique que l'objectif
environnemental doit constituer le pilier du
marché-carbone et ne le pourra que par la robustesse et
la crédibilité du signal prix, éléments
fondamentaux de l'efficacité du système
d'échange.125
Or, comme nous l'avions noté plus haut, le manque de
parcimonie dont ont fait
preuve les Etats dans l'attribution des quotas nationaux n'ont
pas permis cette émergence d'un
signal-prix fort.
Il convient dès lors de définir un prix-carbone
robuste et unique, applicable à
tous les acteurs, suffisamment crédible. En un mot, un
signal prix capable de susciter la confiance
de tous les acteurs et de jouer son rôle d'inducteur de
comportements d'investissement
et d'optimisation opérationnelle.126
125 Lire à ce sujet PRADA (M.), la
régulation des marchés du CO2, Paris, inédit, 2009,
p.21-26
126 Idem
71
v Si le principe de marché ouvert doit être
préservé dans les marchés-carbone, les
participants
au marché doivent être mieux encadrés,
afin de garantir l'intégrité et
l'efficience du marché.
Il a été établit par la CCNUCC que les
mesures de lutte contre les changements
climatiques ne doivent point constituer «...un moyen
d'imposer des discriminations arbitraires
ou injustifiables sur le plan du commerce international, ou
des entraves déguisées à ce
commerce».127Comme nous avions eu à le
démontrer, les transactions-carbones sont des marchés
à part entière. De ce fait, ils ne peuvent pas
échapper aux règles et principes posés par le
droit du commerce international.
Ainsi, le marché du CO2 s'est développé
dans le cadre d'un accès totalement
ouvert qui a favorisé une diversification d'acteurs et
d'intérêts. A côté des Etats ayant des
engagements,
des entreprises assujetties et des intermédiaires, on a
vu émerger certains acteurs
agissants pour leur propre compte et, parfois à des
fins purement spéculatifs.
Si certains de ces acteurs poursuivent réellement des
objectifs environnementaux,
certains ne visent que le lucre. Dès lors, il convient,
en plus de la couverture des acteurs
traditionnels (les financiers, courtiers...), d'adopter
certaines mesures visant à réglementer
l'activité des autres intervenants (surtout ceux qui
interviennent à titre personnel), afin de
s'assurer que les transactions dans lesquelles ils
interviennent ont vraiment un objectif environnemental
et ce, toujours dans le but de protéger l'efficience du
marché-carbone.
v Corollairement, un cadre de prévention et de
sanction des abus de marché, adapté aux
spécificités du marché du CO2, doit
être mis en place pour limiter les risques de manipulation
de cours et les délits d'initiés.
Plus en amont nous avions souligné que, du fait de la
technicité et de la complexité
du marché-carbone, certains acteurs étaient
obligés de recourir à d'autres. De cette situation,
ceux d'entre eux qui sont mal intentionnés peuvent
abuser de leur position.
Le premier abus peut consister en des manipulations de cours.
Ce sont des manoeuvres
visant à tromper les autres acteurs du marché
sur l'état de l'offre et de la demande,
127 Art.3§5
72
au bénéfice de leur auteur, qui aura pris des
positions lui permettant de profiter de l'évolution
induite du prix de marché.128
Le second abus consiste en l'utilisation par un acteur
d'informations privilégiées,
ayant une influence sur le prix de l'actif, qui n'ont pas
été portées à la connaissance des
autres acteurs. L'acteur concerné peut ainsi exploiter
à son profit une situation d'asymétrie
d'information.129
Ces deux types d'abus recouvrent des enjeux
différenciés quant à leur impact
sur le fonctionnement du marché. Des manipulations de
cours sont de nature à nuire à la robustesse
du signal-prix, en l'écartant de ses fondamentaux, et
à l'efficacité même de
l'instrument économique que constitue le marché
de quotas. Le cas de l'utilisation
d'informations privilégiées est sensiblement
différent : il ne met pas en péril la robustesse du
signal prix, mais constitue un cas d'inégalité
entre acteurs participant au marché. Néanmoins,
les deux types d'abus ont en commun qu'ils constituent des
détournements de l'instrument
environnemental, à même de nuire à la
confiance des participants et des citoyens à l'égard du
marché du CO2.130
Il faudra alors réfléchir sur
l'élaboration d'un cadre de prévention et de sanction
effective de ces abus de marché adapté au
marché du CO2, régissant l'utilisation
d'informations sensibles et d'informations
privilégiées, et couvrant l'ensemble des produits
échangés, et des modalités de
négociation.
v L'émergence de certaines puissances appelle une
remise en question du principe de la
responsabilité commune mais
différencier.
Le principe de la responsabilité commune mais
différencier dans le dossier
climatique traduit un besoin de justice et
d'équité : l'essor économique de Etats
industrialisés
ayant entrainé des concentrations de GES
considérables dans l'atmosphère, les contraintes
découlant
d'une action internationale doivent d'abord concerner ceux-ci.
Cependant, avec la
montée économique des pays tel que la Chine ou
le Brésil, devrait-on imposer des engagements
chiffrés qu'aux seuls pays industrialisés
figurant dans l'annexe B du Protocole ?
128 PRADA (M.), Op cit, p. 118
129 PRADA (M.), Op cit, p. 118
130 Idem.
73
Une réponse dans le sens de l'affirmatif remettrait en
cause le principe du pollueur-
payeur, principe sur lequel repose la rationalité du
marché-carbone.
Dès lors, il faudrait penser à revoir la
différenciation de la responsabilité des
Etats. Voir dans quelle mesure les pays émergents
peuvent rejoindre l'annexe B du protocole
ou trouver une solution intermédiaire qui permette de
les inciter à réduire leurs émissions.
v Renforcer et encrer la supplémentarité au
coeur de l'action environnementale par le
marché-carbone
Comme nous l'avions évoqué, le Protocole de
Kyoto institue les mécanismes
de flexibilité en appui à des mesures à
des politiques nationales de réduction de GES. Cependant,
en dépit du cadre d'observance de Marrakech, cette
question de la supplémentarité demeure.
Par conséquent, il semble plus que nécessaire
d'éluder cette question en renforçant les
mesures d'atténuation internes par une
définition claire et nette de la quantité exacte de GES
qu'un Etat peut réduire sur le territoire d'un
autre.
v Revoir la politique de prix des crédits carbone
dans le cadre des mécanismes de développement
propre pour orienter davantage les investissements des
compagnies énergivores
vers l'Afrique
Il serait impératif de revoir le système d'achat
des crédits carbone concernant
les mécanismes de développement propres. Car il
n'est absolument pas logique que ce soit le
même prix pour une tonne de carbone suivant qu'il
s'agisse d'un projet d'investissement en
Chine ou d'un projet d'investissement en RDC : le rapport
rendement/risque ne les met pas
sur un pied d'égalité.
Les prix des crédits carbone varient en fonction du
type des projets de mécanismes
de développement propre, de son état
d'avancement et du risque correspondant. A titre
d'exemple, en fin Août 2007 les prix des
crédits-carbone se présentaient comme suit :
- 5 à 6 € pour les projets à risque moyen
dans le futur,
- 7 à 10 € pour les projets à faible risque
dans le futur,
- 9 à 13 € pour les projets enregistrés,
- 15 à 16 € pour les crédits carbones
délivrés.
74
Cette méthodologie est intéressante mais il faut
aller plus loin. Le prix effectif
du carbone étant défini sur le marché par
un équilibre classique entre l'offre et la demande et
sachant que le but serait de trouver des solutions pour
attirer plus d'investisseurs énergivores
vers l'Afrique, pourquoi ne pas attribuer une décote
(réduction de prix) sur les crédits carbone
relatifs à des investissements en Afrique.
Décote ajustée en fonction de l'aversion au risque
des investisseurs suivant les pays et qui serait fixé
en pourcentage du prix d'équilibre défini
par le marché. Ainsi, plus d'investissements iraient
vers l'Afrique et permettrait notamment
de valoriser, par le transfert technologique, les importants
gisements d'énergie renouvelable
dont dispose l'Afrique (solaire, éolienne et
hydraulique) et ainsi de pallier progressivement au
déficit énergétique dont elle souffre.
v Dans la même optique, revoir les critères
d'éligibilité selon la nature du projet et les
capacités du pays hôte et, élargir le
champ des projets admis aux MDP
Comme nous l'avions souligné, la structure de
gouvernance internationale qui
a été retenue pour le MDP prévoit
plusieurs étapes et opérations de vérification, fait
intervenir
plusieurs acteurs et s'appuie sur des prescriptions
détaillées concernant la méthodologie et
l'additionalité.
Si ces dispositions sont nécessaires pour assurer
l'intégrité du mécanisme fondé
sur le jeu du marché qu'est le MDP, la procédure
d'approbation des projets a été critiquée
comme trop lourde et trop rigide et parce qu'elle implique des
coûts de transaction élevés
pour les pays en développement pauvres. En outre, il
faut noter que c'est le secteur de
l'utilisation des terres qui offre potentiellement le plus
important gisement de financements
carbone dans la plupart des pays d'Afrique. Cependant, les
règles actuelles limitent les activités
de projet éligibles dans le secteur de l'agriculture,
foresterie et autres usages du sol aux
activités de boisement et de reboisement
définies de façon restrictive. En plus de la complexité
des règles et modalités de
génération de crédits AFAU, le marché
européen - qui est le plus
important - exclu les activités de boisement et de
reboisement.
Il faudrait donc revoir ces dispositifs afin de permettre un
assouplissement des
procédures et des modalités et une
réduction des coûts de transaction liés au
développement
de projets MDP, simplifier les modalités de production
de crédits par les activités de boisement
et de reboisement et imposer ces derniers comme
activités éligibles aux MDP.
75
v Intégrer les pays du Sud dans le processus de
négociation des mécanismes de flexibilité,
particulièrement du MDP
Les décisions concernant les mécanismes de
flexibilité sont prises au cours des
réunions des Parties aux Protocoles, les COP/MOP, dans
lesquels les autres Parties à la
CCNUCC ne participent qu'à titre d'observateur.131 Il
en résulte une situation telle que les
Etats parties non-parties au protocole sont appelés
à se plier en aval à des décisions
arrêtées
en amont, dans des réunions auxquels ils n'ont pas
participé, sans parfois en saisir les enjeux
réels.
Dans le cas sous examen, intégrer les Etats non-Parties
au protocole ne ferait
que renforcer la confiance entre les Parties, la
crédibilité des mécanismes de flexibilité ainsi
que du marché-carbone et répondrait à un
besoin d'équité.
v Intégrer le REDD dans les
marchés-carbone
La déforestation tropicale est responsable de 15
à 20 % de l'ensemble des
émissions humaines de gaz à effet de serre. De
l'agriculture au commerce du bois, en passant
par le besoin énergétique, plusieurs facteurs,
dans un contexte socio-économique, contribuent
à ce phénomène.
En décembre 2007, lors de la Conférence
internationale de Bali, les Nations
Unies ont reconnu qu'une solution viable au changement
climatique devait intégrer un mécanisme
visant à limiter la déforestation et la
dégradation des forêts. La Conférence encourage
également les pays et les organisations et parties
concernées à entreprendre des activités pilotes
susceptibles de nourrir les négociations des
règles détaillées du futur mécanisme REDD.
C'est dans ce contexte que le Fonds Bio Carbone de la Banque
mondiale, bien que principalement
tourné vers les projets de reforestation, signera un
contrat d'achat avec trois projets (à
Madagascar, en Colombie et au Honduras) qui comportent une
composante REDD.
Décliné en REDD+ par la prise en compte des
activités de gestion durable des
forêts, le bilan de la phase pilote, bien que
mitigé en RDC (conséquence d'une mauvaise gouvernance),
semble satisfaire toutes les Parties : le montage des projets
REDD sont moins coûteux
que ceux des mécanismes de flexibilité existants
et, de ce fait, se présentent comme une
131 Art. 13 du protocole
76
aubaine tant pour les pays à forêts. Aussi, ces
derniers n'étant pas tenus à des objectifs de
réduction,
peuvent générer des crédits forestiers
ex-nihilo et bénéficier de beaucoup de financement.
Cependant, A l'heure actuelle, le seul débouché
pour les « actifs climatiques »
des initiatives REDD demeure le marché de la
compensation carbone volontaire : les émissions
réduites par ces initiatives sont financées par
des entreprises ou des particuliers qui souhaitent
volontairement compenser leurs émissions de GES. De ce
fait, l'accord post-Kyoto
devra pensée à consacrer le REDD comme
mécanisme de flexibilité à part entière car elle
est
d'une importance capitale, tant sur le plan écologique
que sur le plan économique.
v Les gouvernements du Sud en général et
ceux de l'Afrique en particulier doivent penser
à renforcer leurs capacités en
finance-carbone et à instaurer un climat d'affaire
propice aux investissements-carbone
Les capacités institutionnelles d'un pays constituent
un facteur important qui
peut favoriser ou au contraire freiner son évolution
dans le marché-carbone. En ce qui concerne
le MDP, le lancement de tels projets suppose d'évaluer
et de comprendre de nombreux
aspects juridiques, financiers, opérationnels et
techniques. Or, la plupart des pays en développement
(particulièrement ceux d'Afrique), disposant de
capacités institutionnelles limitées,
ont et auront du mal à prospérer dans la
finance-carbone. Par ailleurs, le climat d'affaire (pollué
par la corruption, la concussion, les tracasseries
administratives qui se sont érigés en système
de gouvernance), les crises politico-militaires... n'incitent
pas les investisseurs à
s'engager sur des projets-carbones en Afrique.
Les Etats africains doivent penser à mettre sur pied
des organes sérieux chargés
de la gestion de leurs actifs sur les marchés du
carbone, à renforcer les capacités de ceux existants,
à assainir le climat des affaires et à proposer
des mesures incitatives aux investisseurs
(par exemple des exonérations fiscales)...
v Les PED doivent renforcer la coopération SUD-SUD
s'ils veulent vraiment peser sur
les marchés-carbone post-2012.
La question climatique évolue dans un contexte
géopolitique particulier où la
préservation de l'environnement, chère au Nord,
doit être conciliée à la croissance économique
mondiale en générale, du Sud en particulier.
Cependant, dans cette société internatio77
nale, bordel d'intérêts, les Etats ne se font pas
des cadeaux. Chaque partie cherche à tirer son
épingle du jeu, quit à écraser,
diplomatiquement parlant, celui qui lui paraît en position de
faiblesse.
Ainsi, pour peser dans les prochaines négociations qui
aboutiront au marchécarbone
d'après Kyoto, les Etats du Sud doivent se serrer les
coudes afin de faire face à
l'occident. Ceci passe par une coopération Sud-Sud,
tant sur le plan technique que sur le plan
financier :
- Sur le plan technique, ceux d'entre eux qui ont
développés des capacités et acquis
l'expérience dans la finance carbone devront aider les
canards boiteux à évoluer et à se
mettre à la hauteur des enjeux.
- Sur le plan financier, la Chine par exemple, fort de son
économie, peut être un partenaire
financier important en ce qui concerne le montage des
projets-carbone.
Et ceci bien entendu, dans le respect mutuel de
souveraineté.
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