4. Vocation de l'informatique
Un des critères d'admission affiché par Epitech
est la « passion » pour l'informatique. Mais cette passion semble
profondément genrée. Isabelle Collet dans son livre
L'informatique a-t'elle un sexe?, analyse le système dissuasif
chez les jeunes filles et montre que les mécanismes qui
découragent les filles de s'engager dans le domaine de l'informatique
sont les mêmes que ceux qui les découragent de s'engager dans les
domaines scientifiques, en particulier des mathématiques. L'image du
scientifique comme « ambitieux, combatif, audacieux, froid
indépendant, esprit logique, rationalité, obsession de l'objet au
détriment de la relation, exclusion de la sensibilité » est
en totale contradiction avec le stéréotype féminin et
correspond donc à l'image qu'a la société de ce qu'un
homme doit être (Collet, 2006). Elisabeth Kerr et Wendy Faulkner, dans
leur article pour Les Cahiers du Cedref (2003), notent que la
masculinité de la science est en partie dûe à la domination
masculine des sciences mais sert aussi à renforcer la domination
masculine sur la science. L'image moderne du hacker, ou du geek, a
remplacé l'ancienne image, plus mixte des années 1980 pour
symboliser l'informatique. Isabelle Collet s'est intéressée au
mythe du hacker, qui correspond à un jeune homme passionné de
programmation, qui n'adhère pas à la virilité
traditionnelle (puissance sexuelle, force physique, charisme). Le hacker «
incarne à lui seul toute la force du mythe informatique. Il est celui
qui maîtrise le formidable outil de pouvoir qu'est l'ordinateur »
(Collet, 2006). Le fait que les hackers soient presque tous des hommes
mène à l'association de l'informatique et du masculin. Pourtant,
de nombreuses femmes ont contribué à la naissance de
l'informatique (Ada Lovelace, Grace Hopper...) mais ont été
volontairement effacées de l'histoire. Le mythe influe
énormément sur les choix d'orientation des étudiant.e.s,
comme l'a constaté Collet en distribuant un questionnaire: « nos
étudiants nous disent en substance que, pour devenir informaticien, il
faut ressembler à un informaticien. Pour autant, une femme peut tenter
de ressembler à un informaticien, à condition d'accepter
d'intégrer dans l'image de soi des descripteurs
généralement considérés comme masculins. Mais elle
ne peut quand même pas devenir un homme » (Collet, 2006). En
étudiant les mythes qui entourent l'informatique,
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Collet met en lumière un mécanisme de mise
à l'écart des femmes, car l'appropriation masculine de
l'informatique est récente et donc indéniablement socialement
construite: « la programmation est devenue une discipline prestigieuse
à partir du moment où les hommes se la sont appropriée
» (2006).
Tou.te.s les enquêté.e.s n'ont pas
évoqué une vocation ou une passion pour l'informatique, mais
quatre garçons montrent une vocation construite parfois depuis
longtemps.
Guillaume, bien qu'ayant décidé de faire de
l'informatique à la fin du lycée, semble avoir une certaine
vocation pour l'informatique, même si, comme nous le verrons plus bas, il
ne s'y destinait pas à la base. La vocation de Guillaume a
été construite à travers les médias, mais surtout
en voyant son père :
« Il y avait un autre truc qui me plaisait à
ce moment-là c'était l'informatique en général. J'y
connaissais rien. Et avant de me décider j'ai commencé à
toucher un peu à tout ce qui était informatique. On avait une
idée générale ce qu'on voit dans tous les films un
programme qui fait toujours plein de trucs ça donnait envie mais je
voyais aussi mon père lui qui touchait mais pas comme moi je fais
actuellement mais il savait faire des choses. Et quand j'étais petit je
le regardais faire. Il savait par exemple formater un disque dur avec des
commandes. C'est des trucs qu'il a appris parce que c'était avant.
»
Sa passion pour l'informatique a été
impulsée et entretenue par son père, qui lui a donné les
moyens de découvrir l'informatique :
« disons que j'ai appris ça aussi parce que
quelque part il aurait aimé en faire donc on peut dire que ça m'a
inspiré et que ça m'a donné envie de connaître j'ai
voulu découvrir et donc on m'a fourni quelque chose sur lequel je
pouvais travailler apprendre déjà. Donc j'ai testé et j'ai
bien aimé. C'est à partir de là que j'ai commencé
à m'intéresser à l'informatique. En fait c'est à la
fin de la troisième, mais quand j'avais six ou sept ans je
commençais déjà à jouer aux jeux vidéos on
commence à connaître l'ordinateur à toucher un peu je
trouvais pas ça extraordinaire mais c'est après en
troisième que j'ai commencé à m'intéresser à
la programmation et je suis allé en S après la seconde
générale. »
La passion de Thibault est également venue à
travers une figure familiale masculine :
« c'est une passion qui me vient
depuis que je suis tout jeune. C'est mon frère qui m'a transmis un petit
peu la passion de l'informatique, moi depuis le collège c'était
l'informatique, c'était sûr, je démontais des PC depuis la
sixième, donc c'était ça c'était sûr. En fait
c'est parce que mon frère était là avant moi je du coup
lui il a eu son PC quand il devait être milieu collège et moi
j'étais tout petit et du coup j'ai eu un PC entre les mains dès
le collège. »
Baptiste a également eu envie de faire de
l'informatique depuis longtemps, il pensait que le seul moyen était
d'avoir un bac S, et n'aurait donc pas pu faire des études
d'informatique avec son bac ES sans une école
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comme Epitech : « Moi qui voulais faire informatique
et qu'on me dit pour l'informatique tu n'as pas besoin de sortir de S ça
peut me sauver la vie sachant que je voulais rien faire d'autre et que je me
voyais mal redoubler mon bac ES alors que j'étais sûr de l'avoir
quasiment. »
Sam, pensant la même chose, a lui obtenu un bac S, mais
aurait préféré faire un bac technologique : « Je
pensais à l'informatique deux ans avant d'y aller à peu
près quand j'étais en seconde je me suis dit tiens l'informatique
pourquoi pas j'étais allé sur quelques sites pour voir comment
c'était. Si j'avais su j'aurais pas fait un bac sciences de
l'ingénieur juste un bac STI [Sciences et technologie industrielle]. En
fait STI c'est qu'on a de la théorie mais aussi de la pratique
comparé à S où on a que de la théorie.
»
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