3. Difficultés scolaires et rejet de la
discipline scolaire chez les enqueté.e.s
Les personnes ayant participé aux entretiens ne sont
pas tant des personnes en décrochage ou en échec scolaire
réel que des personnes en réorientation, ou ayant connu des
obstacles et des difficultés durant leur parcours scolaire (tou.te.s ont
obtenu le bac, dont deux au rattrapage), partageant parfois une aversion pour
la théorie et la pédagogie classique. Sur le site internet
d'Epitech, on peut lire : « un étudiant d'EPITECH doit être
capable d'inventer, d'imaginer des solutions et non pas de reproduire ce qui
existe déjà. » Epitech se positionne donc en rupture avec
l'enseignement traditionnel théorique et propose une «
pédagogie par projets » ainsi qu'une grande autonomie à ses
élèves, ce qui semble plaire à tou.te.s les
enquêté.e.s.
Dounia a eu une scolarité relativement bonne mais
aurait eu de bien meilleures notes au lycée, si elle s'y était
mis plus sérieusement :
« Là à Epitech j'ai plus de
difficultés j'étais perdue mais franchement j'ai jamais eu de
difficultés, mes parents ils m'ont aidée quand j'étais
petite mais après à partir du collège je me suis toujours
débrouillée toute seule j'avais toujours une bonne moyenne
j'avais toujours 16 ou 15 de moyenne sauf qu'en première je travaillais
pas beaucoup parce que je commençais à sortir, j'avais 13 de
moyenne un truc comme ça. En terminale j'avais rien foutu mais
j'étais sûre dans le sens où je m'en doutais, j'avais rien
foutu j'avais 10 de moyenne toute l'année mais j'ai eu mon bac du
premier coup. Au début j'ai pas travaillé j'ai commencé un
mois avant le bac et là je travaillais tard la nuit je travaillais
vraiment j'avais peur de pas l'avoir j'ai paniqué. »
En entrant à Epitech, Dounia n'est pas devenue plus
sérieuse du jour au lendemain, elle a préféré
demander de faire la session de rattrapage, appelée tek 2RE, qui permet
aux élèves de ne pas faire le stage de première
année et de reprendre le début de l'année avec les
nouveaux/elles arrivant.e.s :
« j'ai fait une demande pour faire une tek 2RE. Pour
reprendre les bases en octobre parce que j'ai pas eu mon toeic [examen] en
anglais et j'ai le droit de le passer jusqu'au mois de décembre donc je
me suis dit pour éviter tout problème je vais réviser le
toeic, j'ai commencé à partir d'aujourd'hui je m'y suis prise
trop tard je faisais la fête je sortais tous les jours. Ils voulaient me
faire passer directement en tek 2 et je voulais pas en fait c'est moi qui
voulais pas. Il suffisait juste de rattraper le toeic avant décembre
mais moi je voulais pas parce que si je faisais un stage, je travaillerais de
9h à 19h, ils sont sympas dans l'informatique si tu veux te prendre des
pauses tu fais comme tu veux c'est pas trop sévère mais quand
même quasiment 10h par jour mon entreprise j'aurais jamais eu le temps de
faire le toeic. Moi je fais la rentrée avec les gens de première
année je refais que le début, octobre novembre et
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décembre et comme aussi le C [langage de
programmation] c'est la base de tout je dois vraiment avoir de très
très bonne base comme ça l'année prochaine j'avais pas
trop envie d'être à la traîne. »
Thibault, lui, est clairement opposé au système
scolaire, qui ne lui correspond pas du tout et qu'il considère
coupé du monde d'aujourd'hui :
« Le problème c'est que le système
scolaire classique, il est basé sur le mérite
énormément c'est-à-dire que si tu sais bien ta
leçon tu va mériter la bonne note et si tu as des bonnes notes tu
valides la leçon. À Epitech il y a de ça mais en
même temps il y a aussi... tu vois dans le vrai monde tout est pas
toujours basé sur le mérite, les gens ont pas ce qu'ils
méritent. Sinon les pauvres seraient riches et vice versa. Du coup c'est
comme en entreprise, si tu fais un truc super mais que tu sais pas le vendre
ça sera tout pourri. Je pense que le système doit être
réadapté pour aller dans ce sens-là. Le monde bouge de
plus en plus vite, donc il faut un système qui permet aux gens de
s'adapter, quand une entreprise industrialise et met des machines aujourd'hui,
les gens qui se font virer, les mecs qui étaient au travail à la
chaîne. Mais ils ont appris un truc, ils savent le faire mais ils savent
pas se reconvertir. C'est toute la génération qui est un peu
comme ça aussi. Nous on nous a rien promis. Tu sais à
l'époque, tu avais ta carrière de 40 ans dans la même
boîte. Aujourd'hui on sait pertinemment que ça n'existe plus et
que de toute manière il va falloir que tu te réinventes un moment
de ta vie pour pouvoir continuer. »
Thibault admet avoir été en difficultés
scolaires : « au lycée, j'étais très nul. Moi
ça été la dégringolade scolairement. En primaire et
début collège j'étais premier de la classe, 17-18-19 de
moyenne après quatrième et lycée, dernier de la classe.
» Son bac en poche, il a cependant été pris à
Epita, l'école d'ingénieur.e du même groupe qu'Epitech :
« Epita, je sais pas pourquoi, ils m'ont pris.
Déjà, j'ai eu mon bac au rattrapage, il me manquait 14 points.
J'ai rattrapé facilement donc je l'ai eu super limite. Et je sais pas
Epita, mon dossier était limite genre je pouvais rentrer après
tout dépendait de ma motivation. Tu sais ils prennent pas non plus les
mecs qui ont 15 de moyenne au bac. Là c'est pareil la sélection
elle se fait vite, parce que vu que tu as deux ans de prépa, moi
à la fin de la première année j'ai compris que
c'était pas mon truc. »
Epitech lui correspond donc beaucoup mieux et lui a permis
d'obtenir un diplôme bac + 5, on peut donc considérer qu'Epitech
l'a « rattrapé » après un parcours scolaire à la
limite de l'échec.
Sam a également trouvé sa place à Epitech,
car il partage l'aversion du système traditionnel :
« L'école est partie d'une très bonne
intention parce que c'était une école d'expertise en informatique
pour les passionnés donc pour des gens qui aiment l'informatique mais
qui n'ont pas envie de devenir ingénieur et d'apprendre à faire
des maths, de la physique des choses qui vont jamais leur servir, qui ont juste
envie de faire un petit programme et de travailler dans un secteur
donné. Epitech c'est vraiment si tu aimes l'informatique tu es
passionné motivé, tu peux venir tu n'as pas des cours de
maths
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obligatoires et chiants que tu n'utiliseras jamais de ta
vie. À Epitech tu as besoin d'un bac et d'être motivé.
»
Marc a également un parcours scolaire difficile, et a
peiné à avoir son bac :
« jusqu'à la 4ème on va dire,
j'étais très scolaire, un peu comme beaucoup je pense, genre pas
de problème avec l'école, j'aimais bien et tout. J'étais
content, j'étais un petit peu l'élève parfait. Ça
s'est vite dégradé puisque j'ai redoublé ma
première, après en terminale j'ai eu mon bac je ne sais pas
comment. Oh ça va j'avais quand même la bonne direction. Mais
genre j'étais un peu fainéant, mais surtout j'en avais marre de
l'enseignement général. Moi j'avais de bonnes notes en maths au
lycée c'était à peu près la seule matière ou
j'avais des bonnes notes, parce que c'était le seul truc où
j'arrivais à retrouver les formules sans les apprendre par coeur. J'ai
jamais réussi de ma vie à apprendre quelque chose par coeur.
»
Après un IUT où il ne va presque jamais en
cours, il entre à l'Exia, où la pédagogie est
différente mais le niveau faible selon lui, et l'encadrement inexistant,
si bien qu'il n'apprend pas beaucoup en deux ans. Il entre alors en
troisième année à Epitech, où il s'épanouit
et trouve qu'il a appris beaucoup, et considère que les
élèves non scolaires comme lui peuvent s'épanouir : «
Et du coup ben c'est eux qui réussissent à Epitech, parce
qu'il ne te demandent pas de ressortir le cours que tu viens d'apprendre, parce
que en fait le cours tu ne l'as pas encore appris. Donc à un moment
donné, il faut que tu réfléchisses et que tu trouves la
solution tout seul. Du coup c'est les mecs qui ont l'habitude de ne pas
connaître leur cours qui y arrivent. »
Matthieu exprime la même critique du système
scolaire traditionnel et aime particulièrement être à
Epitech
« la méthode de travail, pour moi ce qui est
révolutionnaire c'est qu'on te dise tu fais ce que tu veux je veux juste
que tu me rendes le boulot. Moi je trouve ça super parce que je
détestais me lever tous les jours à 7h pour arriver à 8h
à l'école et travailler pour faire des trucs barbants. Ils nous
reprochent de ne pas nous concentrer sur des trucs par moment alors que notre
attention elle est captivée partout. C'est complètement pourri de
devoir être forcé à faire quelque chose si on a pas envie.
»
Matthieu n'était pas réellement en échec
scolaire mais n'a tout de même pas été accepté en
section générale, il voulait faire S « mais vu que j'ai
pas pu aller en S j'étais en STI. C'était des notes suffisantes
mais ils disaient que le rythme de travail que j'avais c'était pas
convenable à une S. C'est pas parce qu'on a les notes on a le mental
pour. Mon prof de maths il m'a dit à la base de faire Epita c'est pour
la même raison que je suis pas allé en S je suis pas allé
à Epita. » Epitech a donc servi de filet dans son cas et lui a
permis de poursuivre des études longues malgré son bac
technologique.
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Chloé n'aurait également pas eu l'occasion de
faire de longues études sans Epitech, en particulier dans
l'informatique, car lors d'un salon, elle se rend au stand d'une autre
école d'informatique non certifiée, SupInfo :
« Alors SupInfo déjà ils étaient
habillés en costard, c'était un peu intimidant. Je me suis dit
ouais ils ont l'air un peu plus sérieux. Donc je vais les voir, je leur
parle, et puis quand j'ai dit le bac que j'avais fait ils se sont foutus de ma
gueule. J'ai eu cette impression. Il y avait un groupe de trois qui
était à côté, j'étais en train de parler avec
un mec, en plus il était pas à l'aise il était
gêné. Donc je lui dis moi je viens d'un bac STG et j'entends les
autres pouffer de rire. Je me sentais trop mal à l'aise. Le gars il me
fait ouais mais tu peux rentrer que si tu es en STI. »
Epitech, en acceptant tous les bacs, permet donc aux
élèves que les filières générales (ou STI)
n'intéressent pas de faire de l'informatique.
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