2. Comment analyser les parcours scolaires ?
Le décrochage scolaire, définit par P.Y. Bernard
a pour « définition institutionnelle des sorties
prématurées du système éducatif »(2011). En ce
sens, aucun.e des élèves d'Epitech ne peut être
considéré.e comme étant en décrochage scolaire
puisque d'après la définition du Code de l'éducation, les
personnes considéré.e.s comme en décrochage scolaire sont
celles qui n'ont pas le bacalauréat ou équivalent, qui est
reconnu comme une « norme d'achèvement de la scolarité
». Il convient probablement mieux de parler de difficultés
scolaires (à des degrés différents). En utilisant la
notion de difficultés scolaires, on peut donc exprimer le désir
d'Epitech d'être un filet pour des élèves n'ayant pas eu un
parcours scolaire linéaire et parfait et/ou en rupture avec les
méthodes d'enseignement traditionnel.
Nicolas Sadirac, directeur d'Epitech déclare, dans une
interview12 au Figaro Etudiants, intitulée « A
l'Epitech, nous avons supprimé les cours » : « Nous recevons
souvent des élèves qui ont peiné dans le système
scolaire. Nous les choisissons à la sortie du bac, sur entretien. »
Epitech est donc pensé en contradiction avec le système scolaire
traditionnel : « Nos étudiants sont souvent faibles en
rédaction. Nous pourrions faire un cours comme ceux qu'ils n'ont pas
compris durant leur scolarité. Nous préférons les faire
écrire et les confronter au jugement de leurs copains, qui en lisant
leur texte n'arrivent pas à comprendre de quoi on parle. Ils
évoluent plus vite. » La littérature relatant la meilleure
réussite scolaire des filles est maintenant très
développée, et une lecture genrée s'impose ici afin de
saisir le contexte de la philosophie du filet pour des élèves en
difficulté scolaire.
Ce n'est pas nouveau, les filles réussissent mieux que
les garçons à l'école, elles sont plus « scolaires
» et sont donc moins sujettes à l'échec scolaire que les
garçons. Selon Bianka Zazzo, « si les filles réussissent
mieux c'est grâce à deux formes de contrôle:
12
http://etudiant.lefigaro.fr/le-labeducation/actualite/detail/article/a-l-epitech-nous-avons-supprime-les-cours-912/
26
- contrôle de soi: de ses impulsions, intentions ou
objectifs immédiats, qu'elles sont capables de différer ou
d'inhiber grâce à la prise de conscience de leurs
opportunités;
- contrôle de la situation dont les fluctuations et
changements sont plus aiséments saisis » (Zaidman, 1996).
Epitech est en rupture avec les valeurs classiques de
l'école telles que la discipline ou le conformisme et prône
plutôt des valeurs « masculines » en accordant une grande
importance à l'autonomie et l'indépendance, valeurs
inculquées aux garçons bien plus qu'aux filles, dès le
plus jeune âge. Les garçons seraient donc moins
dépaysés que les filles à Epitech, en quelque sorte en
terrain conquis, tandis que les filles, socialisées dans la
dépendance, viendraient moins facilement à une scolarité
indépendante. Les valeurs « masculines » permettent aux
garçons de se construire en opposition à la discipline et
à la performance scolaire, ce qui leur apportera une valorisation. La
remise en cause du système scolaire traditionnel n'est donc pas anodine
du point de vue du genre. Le système scolaire participe grandement
à la socialisation différenciée des filles et des
garçons, et contribue donc à renforcer les rapports sociaux de
sexe : « La sociologie de l'éducation a mis en évidence
l'importance des comportements que doivent avoir les élèves dans
la maîtrise des formes langagières, des règles de conduite,
des habiletés interactionnelles, bref d'un ensemble de normes qui
renvoient à la forme éducative. Or, les travaux sur la
difficulté scolaire montrent justement que les élèves en
échec sont souvent ceux qui réduisent l'univers scolaire à
ces dimensions formelles » (Bernard, 2011).
La réussite scolaire est donc, à analyser
à travers le prisme des rapports sociaux de sexe mais également
de classe et de « race » : « il est une conclusion à
laquelle arrivent toutes les études empiriques : la réussite
scolaire est fortement et positivement corrélée à
l'origine sociale des élèves » (Cherkaoui, 1986).
L'échec scolaire est donc statistiquement plus fréquent chez les
garçons, venant de classes moins privilégiées, et/ou
racisés. Epitech se posant comme filet pour les élèves en
difficultés scolaires, la population étudiante de l'école
devrait donc, en théorie être composée majoritairement de
ces personnes. Or, l'élève « type » d'Epitech serait
plutôt un homme blanc, les statistiques « raciales » ne sont
évidemment pas disponibles en France, mais, lorsque l'on parcourt les
photographies des élèves d'Epitech, la majorité des
étudiant.e.s sont blanc.he.s. Quant à la classe, il est bien
sûr difficile de se prononcer, sans connaître les professions de
tous les parents. Nous avons également vu, au chapitre
précédent, que les perceptions concernant la mixité
sociale et géographique différaient selon les
élèves. Si « la réussite scolaire la plus
élevée est celle des enfants de cadres supérieurs ou
professions libérales » et « la plus basse [...] celle
d'élèves issus de familles ouvrières », notre
questionnaire, bien que basé sur un échantillon limité,
montre qu'à Epitech, les élèves les plus sujets à
l'échec scolaire ne sont pas représentés autant qu'ils le
devraient en théorie. Le choix d'Epitech de refuser l'élitisme
semble toutefois permettre à des élèves de classes
sociales modestes d'entreprendre des études supérieures qui
mènent au statut de cadre, si l'on se réfère aux
enquêté.e.s, qui sont pour la moitié en mobilité
sociale ascendante forte. Les critères de sélection à
Epitech étant annoncés sur leur site internet, les
élèves ne sont pas laissés dans le doute et « plus
les réseaux scolaires sont transparents, plus les critères
sélectifs du système sont explicites, plus seront
avantagés les élèves issus des classes sociales
défavorisées » (Bernard, 2011). Accepter tous les bacs dans
une
27
école d'informatique peut être
considéré comme un choix radical si l'on compare aux
écoles d'ingénieur.e, qui n'acceptent que des bacs S, ou à
certaines écoles non certifiées qui n'acceptent que les bacs
généraux.
|