Formation en informatique. Ouverture sociale et sexisme. Le cas Epitech.( Télécharger le fichier original )par Clémentine Pirlot Université Paris VII Diderot - Master II Sociologie et Anthropologie option genre et developpement 2013 |
ConclusionDans une interview52, Aaron Swartz, un programmeur réputé (qui s'est suicidé récemment), avait déclaré : « Le déni [de la misogynie et du racisme] de la communauté tech est si grand que parfois je perds espoir qu'il puisse être réparé. Et le problème n'est clairement pas qu'il y a des gens stupides qui sont offensants et plein de préjugés. Beaucoup de ces personnes sont mes meilleurs amis dans la communauté. C'est un problème institutionnel, pas un problème personnel53 (ma traduction). » Epitech semble donc représentative de la communauté geek, excluant méthodiquement les femmes et les personnes racisées. Le problème est ici clairement institutionnel car l'école non seulement n'intervient pas pour réprimer les comportements discriminants mais semble même les encourager en disant aux filles qu'elles doivent s'y habituer. La culture troll, particulièrement misogyne est également encouragée à travers le forum délation, où se déverse une haine décomplexée. 52 http://blogoscoped.com/archive/2007-05-07-n78.html 53« The denial about this in the tech community is so great that sometimes I despair of it ever getting fixed. And I should be clear, it's not that there are just some bad people out there who are being prejudiced and offensive. Many of these people that I'm thinking of are some of my best friends in the community. It's an institutional problem, not a personal one. » 79 Chapitre VIStratégies des filles à Epitech1. Se rapprocher des salarié.e.s de l'école ou des autres élèves pour avoir du soutienFace à une catégorisation et une exclusion très forte, les filles d'Epitech qui restent doivent développer différentes stratégies, consciemment ou non, qui leur permettent de tenir. Une des stratégies qui ressort des entretiens est de se rapprocher des adultes salarié.e.s de l'école ou d'autres élèves pour avoir un soutien et ne pas être seule. C'est le cas de Julie, qui s'est beaucoup rapprochée du directeur pédagogique d'Epitech Bordeaux. L'école n'ayant presque pas de professeur.e.s, le directeur prédagogique semble être la personne avec laquelle les élèves sont le plus souvent, en tout cas dans les petites écoles de province, mais sa relation avec Julie est atypique : « C'est bien d'avoir le directeur dans sa poche, il entendait certains trucs donc il me disait ça tu devrais faire gaffe, [...] il m'a dit `moi ce que je voulais c'était te pousser, que vraiment si tu le voulais pas ou si tu tenais pas, que tu t'en ailles, parce que clairement Epitech, en soi normalement c'est pas fait pour toi ». Dans le cas de Julie, le soutien est assez ambivalent car le directeur pédagogique lui dit clairement qu'il essayait de la pousser à partir tout en la poussant à rester en même temps : un jour elle craque, à « 3 ou 4 heures du mat' j'étais en train de bosser à l'école, mais ça c'est normal, t'inquiètes pas c'est Epitech, c'est classique » elle s'en va et veut arrêter Epitech mais « son » directeur la rattrape et la convainc de rester. On peut supposer que le directeur pédagogique, bien que la poussant à bout, l'a aidée à tenir, et une amitié semble s'être développée, pour qu'elle parle de lui en disant « mon directeur pédagogique » plutôt que « notre » qui aurait fait référence à la promotion. Mélanie, seule fille dans la promotion suivante à Bordeaux a remarqué que Julie avait aussi trouvé du soutien auprès d'une autre membre de l'administration : « Julie en fait vu qu'elle a été peut-être mise un peu de côté [probablement car elle était la seule fille], elle s'est bien rapprochée de la secrétaire et du coup elle était tout le temps avec donc nous quand on est arrivés elle était tout le temps avec Hélène déjà. Et du coup moi j'ai traîné avec les gens de ma promotion donc quand j'étais avec elle on discutait mais on n'a jamais été manger toutes les deux ou on a jamais fait une soirée toutes les deux. » 80 Les deux seules filles d'Epitech n'ont donc pas pu créer de lien, mais se sont quand même montrées solidaires car Mélanie raconte : « quand j'ai dû monter à Paris pour les entretiens elle m'a hébergée sans problème. » Chloé a également trouvé du soutien dans l'école, auprès d'un autre élève : « une fois, j'ai failli abandonner l'école, je me disais ouais c'est parce que je ne suis pas dans ce que j'aime. Et au final quand j'ai dit ça à quelqu'un il m'a dit mais non mais tu veux crever sous les ponts ou quoi. Et puis c'était l'un des meilleurs de la promo donc... C'est vrai il m'a dit ça mais tu ne vas pas faire du dessin, tu vas mourir tu vas devenir SDF. Et il m'a fait mais regarde regarde, et on a codé ensemble genre même pas 2/3h et il m'a fait regarde on va apprendre un langage ensemble, tu vois que tu en es capable. Et c'est ça qui m'a poussée à rester dans l'école, sinon je ne serais pas là. Là je viens de finir ma première année. Genre c'est vraiment cette personne là qui m'a encouragée, qui m'a montré que j'étais capable de le faire, et si j'y mettais du mien j'étais capable. Et sans elle j'aurais quitté l'école. Je m'en serais pas rendu compte et j'aurais quitté l'école. » Le garçon dont Chloé parle semble donc avoir agi comme un mentor, et avoir compensé la culture d'exclusion des femmes d'Epitech. Pour Amélie, qui est partie d'Epitech après deux ans, c'est précisemment ce qui l'aurait sauvée : « je pense que c'est ce qui m'a manqué [du soutien], parce qu'à l'intérieur de la promotion même j'ai pas eu de soutien. Je ne voulais pas trop, enfin moi je suis de nature enfin j'étais de nature à ne pas vouloir trop embêter les gens donc je n'ai pas trop demandé de l'aide, je me suis enfermée un peu toute seule donc du coup j'étais seule, en plus j'étais une fille, je suis toujours une fille, mais c'est un petit peu dur. Donc je ne voulais pas trop demander d'aide, je ne voulais pas embêter les gens, donc je n'ai pas trop osé. » On peut émettre l'hypothèse qu'avec un.e mentor, Amélie serait restée à Epitech et ne se serait pas sentie aussi exclue. Anissa, qui est en deuxième année, a elle immédiatement essayé de se rapprocher des rares filles : « en fait j'ai cherché à connaître à peu près toutes les filles. Parce que début on se sent mieux avec les filles. » Mais elle n'a pas été amie avec beaucoup de filles d'Epitech, et se contente de relations de travail. Dounia, quant à elle, s'appuie sur des amies en dehors d'Epitech : « Dans l'école j'ai des amis garçons qui sont sympa qui sont vraiment comme moi donc on s'entend super bien et comme moi j'ai d'autres copines à moi à l'extérieur, je vois souvent mes copines à l'extérieur. » Dans son livre, La Mixité à l'école primaire, Claude Zaidman remarque, en s'intéressant à la situation des hommes minoritaires statistiquement, que même si les instituteurs sont minoritaires, « les hommes, minorité surveillée mais convoitée, courtisée, peuvent se permettre de garder entre eux des liens de connivence masculine »(1996), ce qui n'est pas le cas des rares filles à Epitech, qui ne peuvent manifester aucun signe de 81 connivence féminine puisqu'elle est découragée dès le plus jeune âge dans la socialisation des filles. La solidarité de genre des hommes est « l'effet d'appartenance à un groupe dominant » (Zaidman, 1996), les femmes appartenant à un groupe dominé, n'ont donc pas le loisir de créer une solidarité de genre. |
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