5. Catégorisation racisante
Mes recherches et entretiens ne recherchaient pas de
catégorisation racisante, aucune question n'était donc
posée à ce sujet, cependant, quelques exemples montrent qu'une
exclusion et des discriminations racisantes existent à Epitech.
Voici l'extrait d'un email d'un des directeurs de
l'école (envoyé à tous les élèves)
posté sur le forum interne, dans la section « délation
» :
« Certains étudiants sont confrontés à
du racisme gratuit de la part d'autres étudiants.
C'est inadmissible et ce comportement va à l'encontre des
vos responsabilités et carrières futures. » Un
élève de couleur répond et confirme les accusations :
« True story ! »
Dans l'email original, la dénonciation de cas de
racisme est faite entre une annonce générale et un paragraphe sur
des élèves se plaignant de bruit, ce qui semble indiquer le
sérieux avec lequel l'administration prend la chose. Les
élèves ne semblent pas y accorder plus d'importance au vu des
nombreuses réponses « humoristiques » comme par exemple un
élève qui demande si les personnes discriminées ont
demandé des crédits en compensation. Un élève de
couleur remarque que l'expression « racisme gratuit » semble indiquer
qu'il y aurait un racisme justifié mais il est le seul à prendre
la chose au sérieux, dans les autres messages on retrouve le fameux
« second degré » censé justifier les pires propos
(comme par exemple « Jle ferais bien [du
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racisme payant], mais les juifs ne se sentiraient pas
concernés et faut être impartial avec les sous races autres
gens »).
On peut trouver un autre exemple de catégorisation
racisante sur le forum (dans la rubrique « général »
cette fois): un élève rapporte sur le forum interne s'être
fait agressé par des « racailles » qui voulaient lui voler son
ordinateur. Un autre répond:
« Si on passe pour les victimes du sud de Paris (parce
que c'est bien ce qu'ils doivent se dire entre eux hein) c'est vraiment pas
à cause du manque de flics... C'est juste parce que petit a petit, tout
ensemble, on accepte le fait d'être soumis à la populasse
locale. Donc quitte à ne pas avoir les noms des rebeus,
donne au moins ceux des témoins n'ayant pas bougé ! (mes
italiques) »
Epitech n'est pas située vraiment dans Paris, mais
à cheval entre Paris et le Kremlin Bicêtre, banlieue toute proche
dont la population au XXème siècle était principalement
composée d'ouvrier.e.s vivant d'abord dans un habitat très
précaire jusqu'à la construction de logements sociaux dans les
années 1920. Aujourd'hui, la majorité de la population est
toujours modeste, la population de cadres du Kremlin Bicêtre en 2009
n'était que de 16,9%, la majorité étant des
employé.e.s (21,6%) et des personnes sans activité
professionnelle (18,6) (source Insee). Si l'on passe de « racaille »
à « rebeu » dans le discours de certains élèves,
c'est par la catégorisation et les stéréotypes
partagés qui assimilent la population locale à des hommes
maghrébins délinquants. Un raccourci qui permet de recourir
à des catégories partagées, et qui n'est pas remis en
question par les autres élèves.
Lors des entretiens, très peu de personnes ont
parlé de catégorisation raciale, ce qui ne veut pas dire qu'il
n'y a pas de racisme à Epitech, comme nous l'avons vu plus haut il
existe bien. Guillaume montre une croyance à la catégorie «
asiatiques » et au stéréotype des asiatiques comme meilleurs
en informatique : « on a un regard sur les Asiatiques qui dit qu'ils
sont toujours capables de trucs énormes que c'est des débugueurs
et dans notre groupe il y en a un qui est asiat il représente un peu
ça dans le groupe pas niveau technique mais niveau débugue.
» Le seul qui présente une catégorisation plus
poussée serait Matthieu, qui a grandit dans le 93 et qui rejette toute
existence de rapports sociaux, pour n'analyser les choses qu'individuellement
:
« en fait quand tu me parles d'origine sociale j'ai
une idée en tête c'est les ethnies, les gens qui vivent dans les
banlieues plutôt racailles comparés aux gens qui vivent dans des
endroits respectables. L'origine sociale n'est pas pour grand-chose mais c'est
la mentalité de la personne. Je sais que la mentalité de la
personne se fait par rapport à son environnement mais bon t'es le
maître de ton monde, de cette partie-là en fait. C'est nous qui
supervisons la construction de notre mentalité à mon avis.
Même s'il avait un environnement dur s'il en est arrivé à
avoir une mentalité de racaille c'est parce qu'il est faible moi par
exemple je suis dans le 93 et c'est pas pour ça que je suis
arrivé à Epitech en ayant un mental de faible qui travaille pas.
»
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L'utilisation de l'expression « endroit respectable
» semble suggérer que d'autres endroits ne méritent pas de
respect, et par extension les personnes qui y vivent, sauf, d'après sa
logique, si ces personnes opèrent une mobilité sociale comme lui
qui grâce à Epitech sera cadre.
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