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Formation en informatique. Ouverture sociale et sexisme. Le cas Epitech.

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par Clémentine Pirlot
Université Paris VII Diderot - Master II Sociologie et Anthropologie option genre et developpement 2013
  

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4. Justifications de l'exclusion

Dans la lignée de la culture troll, certains garçons ont évoqué des justifications à l'exclusion des filles et ont donc tenté de justifier voire d'excuser les comportements sexistes à Epitech.

Une des justifications avancées est que les filles devraient « être comme les autres », comprenez comme les hommes, puisque les autres sont des hommes, comme l'explique Guillaume : « c'est très compliqué j'arrive pas à tout expliquer je suis pas le meilleur pour parler de ça, en même temps c'est un désavantage [d'être une fille à Epitech] enfin je sais pas je pense au final il suffit juste d'ignorer tout ça et tout se passe correctement il suffit de pas se laisser tenter par les gens qui voudraient nous aider on est une fille et à côté de ça il faudra pas refuser parce qu'on est une fille, il faut juste essayer d'être comme tous les autres et faire normalement il y a aucun souci tout se passerait bien. » Pour Baptiste, les filles deviennent même des garçons : « Moi je sais que dans le groupe de travail où je suis il y a deux filles c'est limite on les considèrent comme des mecs. Pour nous c'est pas des filles c'est un pote on parle de tout on peut tout faire on s'en fout. »

Cette injonction faite aux filles d'être « comme les autres » est analysée par C. Delphy pour qui le dominant « demande au dominé de se conformer à son modèle, d'être comme lui. C'est évidemment impossible, car les hommes ne sont des hommes que dans la mesure où ils exploitent des femmes. Les femmes ne peuvent donc pas, par définition faire comme les hommes, 1) parce qu'elles n'ont personne à exploiter, 2) parce qu'il faudrait qu'elles cessent d'être exploitées elles-mêmes pour pouvoir être à égalité avec les hommes, et 3) parce que si les hommes n'avaient plus de femme à exploiter, ils ne seraient plus des hommes » (Delphy, 2008). On voit donc dans quelle situation les femmes se trouvent, coincées entre l'injonction à la féminité et le devoir de se conformer à la « norme » masculine pour être prises au sérieux.

46« Is the very nature of open-source, its fundamental ideologies and values, inherently bound up with the insulation of oneself from the collaborative social project of making progress towards equality? In a community with no formal governing structures, it's far easier for people to take advantage of whatever privilege and power they inherit from the underlying society. One form this power takes on is that of speech acts that dehumanize and objectify people, and appeals to « freedom of speech » to immunize the speaker from the consequences of their speech. »

Le manque de femmes dans le domaine de l'informatique est souvent analysé à travers l'association de l'informatique et des mathématiques. Isabelle Collet analyse le système dissuasif chez les jeunes filles et montre que les mécanismes qui découragent les filles de s'engager dans le domaine de l'informatique sont les mêmes que ceux qui les découragent de s'engager dans les domaines scientifiques, en particulier des mathématiques (2006). Si l'association de l'informatique et des mathématiques est indéniablement liée au faible nombre de femmes dans l'informatique, il subsiste un problème, soulevé dans un article sur l'exclusion des femmes de la communauté geek47: « même le domaine des mathématiques est plus féminisé que celui de la programmation informatique, alors l'excuse selon laquelle les programmeurs seraient innocents et le manque de femmes viendrait du découragement des filles face aux maths au niveau primaire et secondaire n'explique pas cette différence48. (ma traduction). » En effet, en France malgré le système excluant les filles des sciences, 46,5% des élèves de terminale S étaient des filles en 2010 et 44,9% en 201249et les filles représentaient environ 39% des étudiant.e.s en sciences à l'université en 2011-201250. On sait que la majorité des filles s'oriente principalement vers certains domaines des sciences, elles représentaient en 2009 51,6% des étudiant.e.s en sciences économiques, gestion, et 62,3% en sciences de la nature et de la vie51. Il existe alors un système d'exclusion spécifique aux domaines très masculinisés comme l'informatique, qui se distingue du système d'exclusion des filles des sciences en général. A défaut de renvoyer la faute au domaine des sciences en général, certaines personnes font porter la responsabilité à la communauté geek en général ou au domaine de l'informatique et de la programmation.

Au cours des entretiens, certains garçons, bien que cela ne leur était pas demandé, ont tenté de justifier le faible nombre de filles à Epitech en renvoyant la faute au domaine, se dégageant ainsi de toute responsabilité. Pour Guillaume, « c'est une histoire de culture de ce que les filières n'ont pas, enfin les filles sont pas forcément mises en avant par rapport à tout ce qui est programmation même la culture geek comme je l'appelle au niveau des mangas quand je parle avec des gens qui aiment bien mais à partir du moment où on parle de programmation il y a très peu de filles, enfin il n'y en a pas énormément par rapport à ce qu'on pourrait attendre. Après est-ce que ça vient du pays parce que ça vient de quoi que ce soit je sais pas. »

On peut remarquer que la culture des mangas n'est qu'un loisir tandis que la programmation est plutôt une activité professionnelle bien rémunérée, les deux sont donc difficilement comparables. Pour Baptiste, le

47 http://geekfeminism.org/2012/12/30/re-post-how-to-exclude-women-without-really-trying/

48« Even the field of mathematics is less male-dominated than functional programming research, so the excuse that PL people are blameless and the numbers result from discouragement of girls learning math at the primary and secondary educational levels does not explain the imbalance. »

49 http://media.education.gouv.fr/file/2012/66/0/DEPP-filles-garcons-2012_209660.pdf et http://cache.media.enseignementsup-recherche.gouv.fr/file/2012/06/4/DEPP-RERS-2012_224064.pdf

50 http://www.enseignementsup-recherche.gouv.fr/cid66728/les-etudiants-inscrits-dans-les-universites-publiques-francaises-en-2011-2012.html

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51 http://www.femmesetsciences.fr/Documentation/Livret_IDrecues2011.pdf

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sexe n'a aucune pertinence, le fait que peu de filles fassent de l'informatique semble une donnée « naturelle » et immuable :

« En même temps c'est pas vraiment une question de dire qu'il y a beaucoup de mecs, c'est que en général dans ces domaines, il y a pas beaucoup de filles qui s'intéressent à l'informatique. C'est juste une question de se dire que tu t'intéresses à ça ou non. C'est comme il y a beaucoup de gens qui font droit parce que beaucoup de gens s'intéressent au droit, en journalisme pareil. C'est en fonction de ce que tu veux faire, donc c'est vrai que pour une fille se dire de l'informatique c'est rester sur son PC, de se dire je vais rester comme ça devant un ordinateur alors que pour nous c'est pas du tout comme ça qu'on le voit, nous rester devant le PC, parce que déjà ça je peux passer 10 ou 12h devant mon écran noir avec ma petite ligne de commande et je sais qu'il y en a d'autres s'ils ne vont pas toutes les 3 minutes sur Facebook ils sont perdus. Juste une mentalité c'est pour ça qu'il y a peut-être pas beaucoup de fille. »

On trouve le même raisonnement chez Thibault, qui, en plus, rejette la responsabilité sur les filles, que l'école accueillerait à bras ouverts : « c'est pas tant qu'ils ne veulent pas que les filles rentrent, c'est que déjà, c'est spécial, en général c'est plutôt les filles qui vont pas se plaire, enfin il faut être un geek quoi et des filles geek il n'y en a pas des masses en fait. C'est surtout ça le truc. Après, il sont super ouverts à ce que les filles viennent mais le problème c'est que c'est spécial, il n'y en a pas beaucoup, et y'a que des mecs, qui sont sur les dents toute la journée, non mais c'est vrai, ça ça pose problème. »

Cette dernière phrase nous amène à une autre justification, qui fait appel au mythe du geek jeune et ne correspondant pas aux standards de la masculinité, qui ne pourrait s'empêcher de voir toutes les filles comme des partenaires sexuelles potentielles. David explique que

« les mecs qui viennent à Epitech en général ils ont jamais de copine donc dès qu'ils voient une fille ils se disent je vais l'aider peut-être qu'elle va me trouver sympa peut-être que j'arriverai à sortir avec elle donc c'est ça leur théorie donc ouais les filles elles sont beaucoup aidées. » Guillaume, dans la même veine, se montre tout de même plus explicite : « il y a un type de gens à Epitech étant donné qu'il n'y a pas beaucoup de filles en première et deuxième année il y a surtout des mecs et ils sont en mode chien des fois dès qu'il y a une fille il y en a certains se font très bien le chien après donc ça c'est du côté des avantages du coup elle peut, il y a toujours un mec prêt à aider c'est compliqué. »

Il semble que l'aide scolaire prenne donc un sens tout particulier lorsqu'on est une fille à Epitech, ce qui ne peut que nuire à leur scolarité car les filles sont traitées différemment, il leur est plus difficile d'être indépendantes et d'être reconnues pour leur travail.

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Une autre justification est revenue au cours des entretiens et bien connue des féministes à qui l'on répond souvent que « c'est en train de changer », comme si la tendance était perpétuellement vers l'égalité. Pour Baptiste, « peut-être qu'après on verra mais on voit déjà qu'il y a beaucoup plus de filles qui viennent. On verra bien. » Même son de cloche chez David « en fait ça dépend ça commence à changer aussi cette année il y a beaucoup beaucoup de filles mais non ça me dérange pas je trouve ça bien même il faut s'ouvrir. » Si le « cette année » fait référence à sa promotion (2015), il semblerait qu'on soit loin du « beaucoup beaucoup de filles » car il y a en tout 27 filles sur 378 élèves (à Paris) ce qui représente environ 7% de filles. Cela est certes mieux que les 2,5% de la promotion 2012 mais à cette vitesse, la parité n'est pas prête d'être atteinte, surtout que la promotion suivante affiche le même pourcentage de filles. Pour Guillaume c'est des promotions suivantes que viendra (peut-être) la parité : « je crois que dans la nouvelle promo il y en a plus et justement l'école veut, aimerait qu'il y en ait plus. » Ces arguments sont balayés par les chiffres de la toute dernière promotion (2017), si on regarde toutes les écoles Epitech de France, il n'y a que 4,1% de filles, et 4,7% si l'on ne considère que Paris. Preuve s'il en est que la parité n'est absolument pas un phénomène « naturel », l'égalité comme la parité ne sont pas linéaires mais très fragiles et à l'opposé de la tendance habituelle de notre société. Il faut donc les provoquer mais Epitech ne semble pas y accorder une quelconque attention, trop occupée à nier les faits.

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"Et il n'est rien de plus beau que l'instant qui précède le voyage, l'instant ou l'horizon de demain vient nous rendre visite et nous dire ses promesses"   Milan Kundera