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Formation en informatique. Ouverture sociale et sexisme. Le cas Epitech.

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par Clémentine Pirlot
Université Paris VII Diderot - Master II Sociologie et Anthropologie option genre et developpement 2013
  

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1.4 Le harcèlement stratégique

Au-delà de l'humour et de l'apparente légèreté des propos, on trouve un type de sexisme plus brutal et qui ne s'embarrasse pas toujours du ton humoristique : le harcèlement stratégique ou territorial. Ce type de harcèlement est planifié, consciemment ou non, et utilisé pour maintenir un privilège social, économique ou politique. C'est un moyen de contrôler l'accès à des emplois, à une filière, une institution ou un territoire. Les hommes utilisent le harcèlement sexuel parce qu'il est très efficace pour intimider les femmes (Langelan, 1993). Le harcèlement « non seulement écarte les femmes qui osent s'aventurer dans les emplois à haut prestige et à forte rémunération, mais envoie également un message très clair aux plus jeunes : ne songez même pas à entrer dans cette profession. Le harcèlement sexuel est un outil de contrôle social extrêmement efficace38 » (ma traduction). Ce harcèlement n'a de sexuel que la forme qu'il prend, car il n'est pas toujours motivé par un quelconque désir sexuel mais toujours par un désir de préserver le monopole qu'ont les hommes sur les domaines et emplois clés (Langelan, 1993). Cette forme de harcèlement semble exister à Epitech, où les filles se sentent parfois ramenées à leur sexe, comme Marie le rapporte, « c'est juste un inconvénient [d'être une fille à Epitech] dans ces cas là où les gars veulent avoir un peu plus qu'un sourire de temps en temps. » Le travail et les compétences des femmes semblent invisibilisées et dévaluées, comme en témoigne Amélie : « une fois j'ai eu une réflexion d'un astek qui m'a dit OK je te mets 13 mais maintenant dis-moi qui te l'as fait. Donc si tu veux ça m'a super choquée, sur le coup je n'ai pas su quoi dire parce que c'est un prof, tu ne vas pas lui dire t'es con ou quoi. D'autant plus que j'avais 18 ans, mais par contre au fond de toi-même tu te dis mais putain qui c'est pour te dire ça. » Le cas d'Emyou illustre l'efficacité de ce harcèlement stratégique car l'objectif a été atteint dans son cas : « quand j'arrivais dans un groupe de travail les gens me prenaient que parce qu'il leur manquait une personne mais pas vraiment pour mes compétences propres et c'est là où j'ai commencé justement à me

38« Strategic harassment not only drives out the women who dare to venture into high-wage male jobs today, but sends an unmistakable message to their younger sister : keep out-don't even think about trying to enter this profession. Sexual harassment is an extremely efficient social controle mechanism. »

poser vachement de questions. En me disant est-ce que je suis faite pour ça, est-ce que je ferais mieux d'aller ailleurs, où les gens ne sont pas, sont un peu moins crétins sur ce côté-là. » Amélie a donc décidé de quitter Epitech et d'intégrer l'ETNA, une école du même groupe où les élèves sont en entreprise la majorité du temps, car elle se sentait mieux dans le monde du travail qu'à Epitech. Epitech semble donc un environnement plutôt hostile aux femmes, comme le dit Dounia, « c'est un monde d'hommes en fait vraiment des fois ça se sent. » Le harcèlement est parfois clairement sexuel , comme le rapporte Mélanie : « quand tu es la seule fille. Tu prends des remarques par rapport aux garçons. [...] il y en a plein c'était pour se vanter ils disaient ah bah tiens moi j'ai couché avec Mélanie. » Les filles qui restent à Epitech semblent être celles qui intègrent le discours masculin et sexiste sur les femmes, comme c'est le cas pour Anissa et Dounia, qui ont bien compris les règles imposées par les garçons :

« Quand t'es dans une école de garçons, au bout de deux semaines tu vas pas sortir avec un garçon d'Epitech. Et au bout de deux semaines casser, tu vas pas aller sortir avec un autre. Tu vas rapidement prendre une mauvaise réputation. » Anissa

« Après si tu fais chaque année un garçon on sait jamais ça parle beaucoup quand même. S'il y a une fille qui se met avec plusieurs garçons ils parlent entre eux les garçons. » Dounia

Mes recherches m'ont amenée à un autre exemple de harcèlement stratégique réussi, qui mérite qu'on s'y attarde un peu : un élève a posté sur le forum « délation », un message intitulé : « Y'en as une dans chaques promo et ça fait plaisir quand elle se fait avoir ! » dans lequel il raconte comment une des filles dont il donne le nom et qu'il appelle « la salope » aurait triché en prenant le code d'un élève avant que les asteks ne s'en rendent compte. Ce qui est problématique dans ce message est la misogynie à peine masquée :

« A Epitech comme on le sais tous, les filles soit elles travaillent vraiment et galères comme tous le monde. Soit ... dirons nous qu'elles profitent de la faiblesses de certains bon élèves EXTRÊMÊMENT en « manque » (ou « puceau » ça dépends comment on vois la chose) pour la lisibilité de ce post nous appellerons cette race de fille « Salope ».[...] Et donc par le fait de la proportionnalité, plus de filles = plus de « salope ». »

Il semblerait donc qu'il y ait deux catégories de filles pour cet élève, les « filles bien » qui seraient « comme tout le monde », comprenez comme les garçons, et les « salopes ». Les réponses à ce message sont aussi très problématiques et montrent une culture sexiste partagée et décomplexée, voici quelques citations des réponses (qui sont très nombreuses) :

« EPIC POST... On a envie de l'imprimer pour l'encadrer au Lab Astek =D. » « On a pas des photos d'elle en petite culotte ? <3 »

« Moi au moins j'avais pas sucé ! »

65

Les élèves qui prennent la défense de la jeune fille insultée sont très rares :

66

« Mais imagine une seule seconde si c'est pas vrai...

C'est juste horrible de dire tout ça...

Puis pour le str_capitalize de l'exam [l'accusation de tricherie], euh... ça, ça veut strictement rien dire :) c'est assez violent comme texte la... genre vraiment violent. »

« Les faits ne sont pas encore prouves. Tu as le droit d'avoir des suspicions, mais ça ne te donne en aucun cas le droit de l'insulter en public de façon aussi gratuite. »

Un autre élève lui signale simplement qu'une de ses « preuves » que cette fille a triché est fausse, sans autre commentaire. Mais le commentaire d'un autre élève semble révéler ce qui les gêne vraiment : « c'est certes vrai, c'est certes abusé, mais l'endroit ne s'y prête pas. On est pas entre nous, là. On est pas dans un groupe de potes restreint. On est devant toute une communauté, et ce qui se dit entre nous ne se dit peut-être pas devant tout le monde. »

Il semble que des propos haineux infondés et misogynes sont acceptables dans un groupe « de potes restreint », mais pas devant toute l'école, bien que cet élève avoue savoir très bien que ces propos sont problématiques puisqu'il prévient que le forum n'est pas approprié. Il est intéressant de constater que de tels propos ne posent pas de problème en « privé », entre hommes pour cet élève. Après un certain nombre de réponses, un administrateur finit par fermer la discussion :

« De ma propre initiative et avant que cela ne vire au drame humain (si il n'est pas déjà trop tard), je clos ce thread qui, du peu que j'ai pu en lire, a pris une tournure tout à fait inacceptable à mes yeux. (et j'ai la prétention d'être plutôt open-minded)

Rien ne justifie une telle curée à l'égard d'une personne et surtout pas l'aigreur et la frustration palpable chez les principaux 'accusateurs publics' qui s'improvisent juges et bourreaux.

Je vous conseille à tous d'être adulte, de prendre un peu de recul concernant cette histoire, et surtout d'en rester la.

gael

Responsable du développement Web »

L'élève qui a posté le premier message semble alors se raviser en disant que si ce n'est pas vrai, cette histoire est fictive. Mais les conséquences, elles, sont bien réelles. La fille en question est partie d'Epitech, probablement traumatisée, d'après les personnes qui ont vécu cette histoire, dont fait partie Anissa. Cette déferlante de haine envers les femmes sonne comme un rappel à l'ordre des femmes, une tentative pour les remettre à « leur place » de femme, grâce au très efficace harcèlement stratégique.

67

Dans le compte-rendu du séminaire « Etre femme dans la recherche », publié dans Les Cahiers du Cedref en 2003, on peut lire que : « des formes plus insidieuses de harcèlement existent également pour rappeler aux femmes qu'elles ne sont en quelque sorte que tolérées dans un univers où l'intellect est une valeur masculine et où la féminité n'aurait d'attrait que par son sex-appeal ». Ce type de harcèlement semble donc se retrouver dans le domaine des sciences en général, tout comme dans celui de l'informatique.

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"Nous voulons explorer la bonté contrée énorme où tout se tait"   Appolinaire