Formation en informatique. Ouverture sociale et sexisme. Le cas Epitech.( Télécharger le fichier original )par Clémentine Pirlot Université Paris VII Diderot - Master II Sociologie et Anthropologie option genre et developpement 2013 |
1.3 L'humourUne autre forme d'exclusion des femmes se manifeste dans le recours à l'humour pour véhiculer des stéréotypes sexistes. Guillaume décrit en détail et non sans contradictions cette utilisation de l'humour sexiste : « Alors c'est culturel mais traditionnel vu qu'il n'y avait pas beaucoup de filles elles en prennent plein dans la figure. C'est compliqué je dirais pas que c'est misogyne mais dans l'humour ça l'est forcément. Mais des vieilles blagues parfois à connotation sexuelle ça c'est sûr. En fait je sais que les filles ça les énervent. Des fois il y a des petits trucs autour des filles il y en a pas beaucoup donc forcément il y en a pour qui c'est pas du tout comme ça mais il y a forcément une quelque part dans les années, après c'est pas le cas de toutes les filles très très loin, il y a peut-être une par promo. Mais du coup ça jase il y a des gens qui jasent même c'est que pour le coup on sait pas trop si c'est vrai. Je sais pas comment l'expliquer. C'est des blagues lourdes, ailleurs qu'à Epitech ça serait lourd ça les énerve mais au final elles prennent l'habitude c'est-à-dire que ça arrive pas tous les jours heureusement d'ailleurs ça vient d'elles-mêmes des fois c'est elles qui sortent des trucs naturellement, c'est l'ambiance humoristique mais à aucun moment ça se veut méchant ni quoi que ce soit. Donc ça reste toujours respectueux. » On voit difficilement comment des blagues « lourdes » et qui énervent les filles pourraient être respectueuses, ni comment en s'en prenant « plein dans la figure » cela ne serait pas misogyne. Ce qui surprend c'est la distinction entre Epitech et le reste du monde, le fait que pour lui, ces « blagues » seraient lourdes ailleurs mais 30« It takes work to disregard an environment in which people telling you that you don't belong seem to be pervasive. It takes effort to reconcile the cognitive dissonance of these people saying one thing and doing another. So when a guy says « get over it » or « don't be so sensitive », he's really demanding that women do work for him so he doesn't have to. » 31« When someone demands that you participate in such an unequal relationship, in which their feelings matter but yours do not, it's hard to believe that they consider you to be a professional peer or even a human being of equal value. » 32« More so, it's the unwillingness of men in the community to say something: not a single person in the Haskell Symposium audience spoke up. Most guys probably wouldn't say in public that women should join the community because they're attractive. They seem to feel powerless to do anything about the state of affairs, and yet, they have power: they can let men who make these comments know that sexism isn't okay. » 63 ne le sont pas à Epitech. Il peut probablement en déduire qu'ailleurs les filles pourraient dénoncer ces blagues mais pas à Epitech où elles n'ont d'autre choix que de s'y habituer. Il convient ici de réfléchir au sens de cet « humour », qui pourrait également être une tentative de proximité plutôt que d'éloignement, bien que l'intention ici ne change en rien le résultat, qui est un climat hostile aux filles. L'utilisation de l'humour pour véhiculer des stéréotypes sexistes n'a rien d'anodine, comme le montre une étude33 menée en 2007 par un professeur de psychologie à l'université de Western Carolina : « les blagues sur les blondes et les femmes au volant ne sont pas que des plaisanteries inoffensives, au contraire, être exposé.e à de l'humour sexiste peut mener à tolérer des sentiments hostiles et des discriminations contre les femmes (ma traduction)34. » Cette étude consistait à demander à des hommes d'imaginer qu'ils étaient membres d'un groupe de travail ou d'une entreprise, puis à leur faire lire des blagues sexistes, des propos sexistes sans humour, ou des blagues non sexistes. Il leur était ensuite demandé combien d'argent ils donneraient à une association de femmes : les hommes présentant un haut niveau de sexisme étaient moins enclins à donner à cette association après avoir lu des blagues sexistes, mais pas après avoir lu des propos sexistes sans humour ou des blagues non sexistes. Dans une deuxième expérience, on montrait des vidéos humoristiques sexistes et non sexistes aux participants, puis on leur demandait ensuite de participer à la détermination du retrait de financement à certaines associations étudiantes : « après avoir été exposés à de l'humour sexiste, les hommes présentant un haut niveau de sexisme discriminaient les femmes, réduisant les budget de leurs associations plus que ceux des autres associations.35 » Pour les chercheur.euse.s, cette étude montre que « l'humour sexiste n'est pas qu'un simple amusement sans conséquences, car il affecte la perception qu'ont les hommes de leur environnement social et leur permet de se sentir à l'aise en exprimant du sexisme sans avoir peur de la désapprobation des autres.36 » L'humour sexiste agirait alors comme un libérateur de préjugés, pour le professeur responsable de cette étude, « cela montre que dénigrer les femmes avec humour entraîne chez les hommes la perception d'une tolérance partagée aux discriminations et peut les mener à penser que les autres pensent la même chose.37 » A la lumière de cette étude, on peut donc supposer qu'à Epitech, la grande tolérance de l'humour sexiste renforce certains garçons dans leur croyances sexistes et a un impact négatif sur les filles qui sont humiliées et altérisées par cet humour. 33 http://www.sciencedaily.com/releases/2007/11/071106083038.htm 34 « A research project led by a Western Carolina University psychology professor indicates that jokes about blondes and women drivers are not just harmless fun and games; instead, exposure to sexist humor can lead to toleration of hostile feelings and discrimination against women. » 35« We found that, upon exposure to sexist humor, men higher in sexism discriminated against awomen by allocating larger funding cuts to a women's organization than they did to other organizations » 36« Sexist humor is not simply benign amusement. It can affect men's perceptions of their immediate social surroundings and allow them to feel comfortable with behavioral expressions of sexism without the fear of disapproval of their peers » 37« We believe this shows that humorous disparagement creates the perception of a shared standard of tolerance of discrimination that may guide behavior when people believe others feel the same way » 64 Dans la lignée de l'humour sexiste, la section « délation » du forum interne montre également un festival de propos homophobes sous couvert d'humour : des élèves ayant oublié de verrouiller leur ordinateur voient des messages postés de leur compte sur ce forum, comme par exemple : « Bonjour, je suis grec et gay, je n'ai pas de problème avec ma sexualité. Tout ceux qui serai intéressée me contacter par mail » voire pire « J'aime les pénis et je ne sais pas Zlock » (Zlock = verrouiller mon ordinateur). Ce à quoi l'intéressé répond par « BANDE DE PD » quand il découvre le message. Il est intéressant de noter que cette section du forum n'est jamais modérée et que ces propos sont donc acceptés par l'école, sous couvert d'humour, les exemples donnés ici n'étant pas les pires car on trouve des horreurs de la sorte à la pelle. La déduction semble donc être similaire à celle de l'étude concernant l'humour sexiste, les garçons homophobes se trouvant renforcés dans leurs croyances tandis que les personnes LGBT sont humiliées. L'humour serait alors un moyen de renforcer la solidarité du groupe dominant, en excluant les dominé.e.s. |
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