D. LES DEVIANCES POSSIBLES DE LA PRATIQUE DU COACHING
Jusqu'alors, dans les différents points traités,
j'ai présenté le coaching tel que le défendent ceux qui
sont convaincus de son intérêt. J'ai amorcé qu'il me
faudrait revoir de manière plus critique ces différentes
positions. Pour ce faire, je reprends l'ouvrage de Valérie Brunel qui
insiste longuement sur les déviances de l'accompagnement de type
coaching.
La première concerne les outils de développement
personnel, tels que l'AT, le MBTI, la PNL et la Process Communication, que j'ai
développés plus en amont.
Valérie Brunel nous dit que ces outils visent la
gestion des situations de communication interpersonnelle et présentent
deux types de dérives qui sont les suivantes:
- Le Processus d'attribution: Le fait de ranger les individus
dans une « case ». Quoi que fasse l'individu, ce sera toujours
expliqué par le fait qu'il est dans cette « case » et
l'individu lui même va se comporter comme tel puisqu'il a
été « enfermé » dans cette version
réduite de lui même.
- Les conduites de l'individu ne sont attribuées
qu'à sa propre personnalité. Le contexte et les conditions de
travail ne sont plus pris en compte.
Valérie Brunel dit qu'effectivement il n'est pas
possible de réduire la responsabilité des réussites ou des
échecs à la seule « norme d'internalité » qui
revient à dire: Nous sommes à la source de ce qui nous arrive.
L'auteur cite Marx: « séparer l'homme du monde extérieur
sensible, le plonger dans son intériorité abstraite afin de
l'améliorer revient à lui crever les yeux » (page 113).
Car bien évidemment les contraintes sociales, organisationnelles et
managériales sont également responsables des échecs et
réussites. Cela fait écho à un souvenir personnel lorsque
je dirigeais une maison de retraite, le Directeur General de l'association
avait le désir « d'injecter de la crise, par le changement
incessant » car, selon sa croyance, cela permettait aux salariés de
ne pas « s'endormir » dans un quotidien. Naturellement cette pratique
a provoqué au sein du
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personnel une grande fatigue, une démotivation et un
sentiment de ne pas être reconnu. Ces symptômes ont alors
été perçus par le Directeur Général comme
une rébellion, une paresse du personnel et une incompétence
professionnelle. L'approche systémique n'a pas été
étudié, seuls les individus portaient la responsabilité
des échecs ou des réussites.
Valérie Brunel nous donne également l'exemple
d'une entreprise totalement tournée vers le développement
personnel: cette entreprise offre des formations couteuses, des coachs
personnels et des parcours individualisés en fonction des souhaits des
consultants et besoins de développement. Le sentiment qui est
donné aux consultants, est que l'organisation donne tous les moyens pour
progresser au maximum avec bienveillance. Cependant cette entreprise a mis en
place également un processus d'évaluations et de sanctions
permanentes, entre collègues, qui ne donne aucun droit à l'erreur
ni à la remise en question du processus puisque l'entreprise est «
extrêmement bienveillante » envers ses consultants. Chaque
consultant est remis en question par ses collègues, lors d'un Feed back,
et ne peut qu'accepter les remarques (même s'il n'est pas d'accord)
puisque l'organisation donne le sentiment de donner toutes les
possibilités pour réussir. Il doit le vivre comme un don puisque
la critique est constructive et l'aide à s'améliorer. L'auteur
ajoute que transformer la critique en don, c'est annuler le pouvoir de la
remettre en question. C'est alors une dénégation de la violence
du système.
Valérie Brunel revient également sur la
méthode d'influence en indiquant que si celle-ci est utilisée
avec une intention de manipulation « diabolique » et que l'autre le
perçoit, alors la méthode ne fonctionnera plus. Cela revient
à dire qu'utiliser des méthodes de manipulation pour obtenir
quelque chose ne fonctionne que si l'intention est respectueuse et
bienveillante. Elle nous donne l'exemple d'un consultant qui utilisait la
méthode d'influence pour amener les ouvriers d'une usine à juger
eux-mêmes leurs postes superflus et à légitimer leur propre
licenciement.
Valérie Brunel note également la
difficulté du rôle de manager-coach si celui-ci n'a pas les
compétences telles que l'intuition des problèmes d'autrui,
l'empathie, une grande souplesse d'attitude et une importante
sécurité personnelle. Effectivement, lors de ma formation de
coach professionnelle, ces compétences dites essentielles sont
très largement mises en avant et pratiquées.
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L'auteure nous faire remarquer que les organisations sont
parcourues de tensions car traversées par une multiplicité de
logiques différentes. Par exemple la logique financière et la
logique commerciale, la logique du travail bien fait et la logique de
rationalisation économique... La dérive se trouve à faire
intérioriser ces tensions aux individus et à leur faire porter
sous la forme d'un don de soi.
Valérie Brunel constate que l'approche du
développement personnel a également pour effet d'éviter,
d'annihiler toute sorte de conflit. Cependant elle rappelle que le conflit est
essentiel dans une entreprise car il permet de mettre en mots les tensions, les
oppositions et les contradictions qui existent dans une organisation sociale et
de les arbitrer. Cela permet de rétablir l'équilibre social.
L'organisation étant un monde de tensions et de
contradictions, elles doivent pouvoir s'exprimer, au besoin par le conflit,
ajoute l'auteur.
Valérie Brunel résume ainsi que le
développement personnel en entreprise n'existe que parce qu'il existe
une demande individuelle pour la connaissance et l'amélioration de soi.
Elle précise que l'entreprise offre ces accompagnements arguant aux
bénéficiaires qu'ils sont uniquement destinés à
leur bien être et non pour le bien de l'entreprise.
Valérie Brunel rajoute également que le
manager-coach peut être dangereux de part sa double casquette de deux
postures opposées. Le manager qui prend en compte uniquement
l'entreprise et le coach qui prend en compte uniquement l'individu.
De part mon expérience et ma formation, le
manager-coach n'a pas comme première intention d'offrir une
méthode de développement personnel à ses collaborateurs
pour leur bien-être personnel. Il reste le manager qui se doit
d'atteindre l'objectif final de son entreprise et non l'objectif personnel du
salarié. Le coaching reste alors un outil du manager pour, dans cette
forme de manipulation, aider le salarié à trouver du bien
être personnel pour atteindre le but de l'entreprise. Les outils du
coaching peuvent facilement glisser vers la manipulation comme le montre
Valérie Brunel. Une entreprise n'a pas à demander au
salarié de reconnaître ou de remercier son employeur pour tout le
bien être qu'il lui offre car ce n'est pas « gratuit ».
Effectivement, comme nous l'explique l'auteure, les
déviances sont d'ordre de la
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manipulation faisant croire à l'individu que les
dispositifs d'accompagnement sont autant de services qui lui sont rendus pour
se développer, en dehors des besoins de l'entreprise.
J'ai abordé à plusieurs reprises les
échanges entre coach et coaché. Aussi, parmi tous les concepts
proposés dans le cadre du coaching, j'ai choisi d'approfondir celui de
la réciprocité.
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(1) ALTER Norbert, (2010), Donner et Prendre, Editions
La Découverte
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