D) Quelle part donnent les personnes interviewées
à la réciprocité, la notion de partage, entre les
collaborateurs dans l'entreprise?
Christophe émet tout de suite une vision
extrêmement claire pour lui qui parle de la convivialité comme
d'un facteur contre productif. Il l'explique de cette façon:
«C'est à dire que le fait de bien s'entendre avec son
collègue est un élément qui empêche de travailler,
pour moi c'est très clair. Un moment donné mon collègue ne
fait pas ce qu'il devrait faire, je n'ose pas lui dire, parce que j'ai pas
envie d'altérer le bien être ensemble. Pour moi la
convivialité est un frein à l'efficacité ». Ce
qu'il veut dire a effectivement un sens car il développe sa vision en
expliquant que ce n'est pas la bonne ambiance qui produit un bon travail mais
bien la finalité. Il détaille son point de vue en
déclarant que si les procédures et les organisations sont claires
et compréhensibles par tous, ciblées sur la mission commune et
que les salariés sont convaincus du projet et donc s'y investissent,
alors effectivement la convivialité et la notion de partage deviennent
un fruit de cette collaboration autour du projet commun, il dit: «
à ce moment la convivialité se développe mais elle n'a
pas d'intérêt, c'est un fruit, c'est un effet secondaire, qui est
très agréable, mais qui reste secondaire par rapport à la
satisfaction de bien travailler par rapport aux besoins et demandes de les
personnes âgées ». Il insiste sur la pensée que
les procédures claires gèrent le lien social. Il donne
également l'exemple d'entreprises ou tout le monde s'entend très
bien mais que le travail n'est pas fait car la mission
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commune n'a pas été investie, seuls les besoins
personnels de sociabilité ont été comblés. Il dit:
« Si on développe du lien social les personnes vont être
dans la motivation, comme on disait tout à l'heure, donc c'est du
narcissisme partagé et, ça, ça mène à rien.
ça met de la bonne ambiance et compagnie, peut être que les gens
sont plus contents d'aller travailler, mais ça ne donne pas de
l'efficacité. », il rajoute: « En revanche, quand il
y a la mission commune et que tout le monde s'investit ensemble, il y a une
super ambiance ! Du don, du contre don et tout ça. Mais tout ça,
pas par rapport à mon besoin à moi mais par rapport à ma
responsabilité. Par rapport au sens. On est dans une autre dimension et
si on ne prend en compte que les besoins des salariés, ce n'est pas
ça qui fait une équipe. Il faut toujours arriver à se
sortir de soi même. »
Christophe revient alors sur l'idée de devenir adulte
et de quitter l'enfance. Il nous parle à nouveau de l'enfant qui a
besoin d'aimer et d'être aimé et de l'adulte qui est capable de
sortir de soi, d'intégrer davantage la notion qui consiste à
apporter sa contribution, se sentir utile et se sentir responsable. Christophe
rajoute que le problème est de mélanger tout le temps la
dimension affective avec la dimension existentielle, il dit: « et je
suis dans une dimension où j'existe et je rentre dans la dimension
historique où j'apporte quelque chose à l'extérieur, et
là je ne m'écoute plus. Je réponds à mon besoin de
me sentir utile et que ce que j'apporte a du sens par rapport à moi ou
à ce que les autres me demandent ». Christophe met en avant la
fierté que ressentent les membres du personnel quand ils
reçoivent un courrier d'une famille les remerciant de s'être aussi
bien occupé de leur parent. Il dit que ça leur donne envie
d'aller plus loin car le personnel a fait un travail difficile, qui a un sens.
Nous comprenons bien le sentiment d'existence dont il nous parle et le
sentiment d'utilité qui prime effectivement sur les besoins affectifs
personnels liées à l'enfance comme il nous l'explique: ne pas
être généreux pour être aimé mais être
généreux pour se sentir utile, exister. Il donne d'ailleurs un
exemple personnel, il explique qu'il arrive souvent que certaines personnes lui
fassent remarquer à quel point il doit être content de recevoir de
la reconnaissance de ses clients quand il les a aidés. Il répond
alors qu'il ne cherche pas à être aimé à travers son
travail, il dit que ce qui le valorise est le résultat obtenu et qu'il y
trouve là une satisfaction. Il rajoute que c'est son métier
d'ingénieur: « il fait un truc et ça marche ! ».
Dans son approche, nous entendons bien que pour la qualité du
travail, il est d'abord important de prendre une posture adulte, de sortir de
soi, d'investir la mission commune et d'y donner un sens existentiel au
delà de son besoin d'être aimé ou reconnu
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personnellement. On entend que la satisfaction se trouve alors
dans la réussite de la mission qui fait se sentir utile et exister et
que c'est uniquement ce partage de satisfaction autour de la finalité
qui permet d'installer un lien social et une convivialité qui ne nuit
pas à l'efficacité du travail collectif.
Nous allons voir que Sonia dit quelque chose qui paraît
complètement différent de ce que l'on vient de voir avec
Christophe, et pourtant nous allons au final y retrouver les mêmes
intentions.
La première phrase que dit Sonia est qu'elle est
convaincue qu'une bonne ambiance fait fonctionner l'entreprise. Elle explique
que quand elle entend les salariés rire avec les résidents, bien
s'entendre et s'entraider, elle se dit alors que ça fonctionne bien.
Elle dit réaliser chaque année un spectacle avec les
résidents et le personnel, où tout le monde participe, et que
cela permet de lâcher prise et se connaître différemment,
elle dit: « Cette fois ci on est vraiment sur le coté
échange, partage, positif on n'est pas sur les soins ou la technique, on
est sur un autre niveau, on se voit tous différemment et du coup je me
suis rendu compte que ces rapprochements là faisaient que, après,
il y a comme une espèce... comment je pourrais dire... j'allais dire
intimité, je ne sais pas si c'est le mot... d'affectif, je ne sais pas
comment dire, qui se met en place entre nous, qui fait que le travail est plus
facile. ». Sonia dit qu'elle ne sait pas mettre de mot sur ce
phénomène mais, qu'en le pratiquant, elle a vu que cela
fonctionnait mieux et que tous devenaient plus professionnels auprès des
résidents. En entendant cette approche de Sonia, on pourrait
effectivement penser qu'elle est totalement à l'opposé de ce que
nous disait Christophe. Seulement Sonia rajoute 3 éléments qui
finalement se rapprochent de l'intention de Christophe. Tout d'abord, elle dit
que, dans ses moments de fête, elle reste la directrice et elle garde son
positionnement de directrice, de manager. Ensuite elle dit que personne ne
devient copain/copine car ce qu'elle recherche n'est pas que le personnel
rigole de son côté et les résidents de l'autre mais qu'il y
ait bien une osmose tous ensemble autour du bien--être des
résidents. Pour finir, elle dit bien qu'elle prend tellement de temps
pour expliquer le sens de chaque action et de la mission que cette approche
permet uniquement de casser la barrière un peu rigide de trop de
procédures. Elle dit: « il n'y a plus cette barrière, tu
es le chef, je garde mes distances et j'obéis. Il y a un réel
échange qui est plus constructif, on devient plus professionnel et on
devient meilleur pour les résidents du coup. ». Sonia dit que
les résidents ont souvent exprimé leur
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contentement à entendre les rires du personnel. On peut
entendre que la maison de retraite étant un lieu de vie, les
résidents chercheraient effectivement à ressentir la bonne humeur
générale, en plus, bien entendu, de l'efficacité des
services proposés. Sonia est convaincue que si on empêchait ce
lien social de se former, il faudrait alors la remplacer par autant de
procédures qui déshumaniseraient ce lieu de vie, elle dit: «
je pense que si, au contraire, on disait « arrêtez de rigoler,
ça ne fait pas professionnel, buvez votre café l'un après
l'autre, sinon ce n'est pas professionnelle, etc... », je pense qu'elles
ne se parleraient plus, que chacun ferait son travail de son coté, qu'il
n'y aurait plus d'aide, puisqu'elle ne se connaitraient pas bien, et du coup je
pense que le travail ne se ferait pas correctement, on serait obligé
d'écrire pleins de procédures pour pallier à ce manque de
partage et d'aide, et d'entraide, je pense que ce serait très
très très froid et très inhumain, ce serait l'enfer, je ne
crois pas en cette façon de faire. ». On peut comprendre son
approche puisqu'elle précise bien que cette convivialité se met
en place alors que le sens et la mission sont très clairs au
départ. Pour Sonia on pourrait penser dans son approche et par son
expérience que c'est une évidence que le personnel ait investi la
mission et qu'elle cherche alors à mettre en place ce lien social, par
le spectacle annuel par exemple, comme une force supplémentaire, Sonia
parle de la maison de retraite qu'elle dirige. Pour Christophe, au contraire,
ce n'est pas une évidence puisqu'il intervient en maison de retraite
pour accompagner le personnel à investir et comprendre sa mission. J'y
vois donc la même intention au départ, qui est d'abord de donner
sens à l'objectif commun.
Sonia donne un autre exemple sur ce sujet qu'elle a
vécu personnellement auprès des personnes du siège social
de l'association pour laquelle elle travaille. Elle se rappelle qu'au
début, elle ne connaissait personne et que les relations étaient
donc très réduites à une petite question professionnelle
de temps en temps. Elle rajoute en plus qu'elles n'osaient pas trop poser de
question de peur qu'ils pensent qu'elle n'est pas autonome, etc... Sonia
raconte être partie en séminaire avec ses collègues et que
cette occasion avait tout changé. Elle dit qu'effectivement ils ont
appris à se connaître un peu plus personnellement et
professionnellement, que la confiance s'est installée, qu'il y a eu un
lâcher prise, et elle explique alors : « Quand on est revenu de
ce séminaire, tout a changé, au niveau des relations de travail,
on s'appelait plus souvent, on mettait plus d'humour et d'intérêt
à l'autre dans nos mails ou nos échanges
téléphoniques, on était plus en collaboration, on
collaborait beaucoup plus souvent, on n'hésitait pas à se poser
des
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questions qui pouvaient nous paraître idiotes mais
du coup on devenait plus professionnel parce qu'on avait une réponse a
une question qu'on aurait jamais posé avant de peur que... etc...
». Elle rajoute que contrairement à ce que l'on pouvait alors
imaginer, même quand ils se voyaient en dehors du travail, c'était
pour parler travail. On retrouve alors encore la notion de partage, de lien
social autour, avant tout, de la mission commune professionnelle.
Jessica apporte un fait nouveau dans cette notion de partage
et de réciprocité, elle dit effectivement laisser ce lien se
mettre en place naturellement car il apporte une ambiance qui permet plus de
collaboration et d'implication dans les équipes. Elle rajoute
également quelque chose de très important puisqu'elle dit que les
personnes âgées se sentant plus rassurées peuvent alors
laisser exprimer leur vulnérabilité en confiance car l'ambiance
générale est saine. Elle finit par une phrase essentielle qui
fait écho à ce que l'on vient de voir dans les interviews de
Christophe et Sonia, elle dit qu'elle laisse ce lien se mettre en place
uniquement si le cadre est bien posé par les managers et
respectés par tous.
Dans ces 3 approches, nous retenons que la notion de partage
et le lien social sont des éléments très positifs à
condition que la mission commune ait bien été comprise et
investie.
Tout ce que nous venons de voir rejoint tout à fait les
points que nous retrouvons dans le livre « donner et prendre » de
Norbert Alter. L'auteur nous parle de la coopération, du lien social qui
se crée et qui fait avancer l'entreprise au delà ou en plus des
procédures, que ces dernières ne sont pas suffisantes pour la
finalité du travail. Il précise bien que l'entreprise fonctionne
uniquement si les salariés font vivre les projets et les
procédures et ceci se produit par la mise en place naturelle des
échanges sociaux. Norbert Alter rejoint la pensée de Christophe
concernant la satisfaction autour de la mission commune, quand il met en avant
le plaisir de la fusion dans un être collectif. C'est à dire
travailler au nom du lien, donner à la collectivité pour un bien
être général. A mon sens, nous retrouvons alors là
la notion de travailler avant tout au nom de la finalité, de l'objectif
commun et d'y trouver comme conséquence un plaisir d'échanger
ensemble, de partager et de collaborer autour de la mission commune. Le
coaching qui propose alors
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un accompagnement autour du sens que l'on donne à la
mission permet de faire vivre, renforcer ou faire apparaître ce lien
social entre collaborateurs et donc consolider la coopération et le
professionnalisme dans l'entreprise.
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