C) Quels sont les limites et les critiques de l'approche
coaching du point de vue des personnes interviewées?
La première limite exprimée par Christophe est
la notion de ne pas être maître du résultat, il dit: «
parce qu'en fait c'est la personne qui est maître, la personne si
elle ne veut pas déverrouiller, si elle veut pas lâcher, elle
continue à raconter des choses annexes, périphériques
à ce dont elle a besoin et ça n'avance pas ». Nous
comprenons alors qu'une personne ne peut changer que si elle l'a
décidé, que le coach n'a pas le pouvoir de transformer quelqu'un
d'où sa posture humble et bienveillante.
Il parle d'une autre limite liée à une
problématique personnelle. Effectivement Christophe nous explique
n'intervenir que sur une situation professionnelle et si, lors du coaching, il
s'avère que le coaché à un problème personnel qui
l'empêche d'atteindre son
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objectif professionnel alors, dans ce cas, le coaching a
atteint sa limite à la découverte de ce nouveau fait. Il donne
l'exemple suivant: « Moi il m'est arrivé de faire un coaching
sur la gestion du temps car la personne n'arrivait pas à gérer
son temps et on s'est rendu compte que si elle n'arrivait pas à
gérer son temps c'est parce qu'elle avait un problème conjugal
donc elle ne voulait pas rentrer chez elle. ». Effectivement la
personne se plaignait de rentrer trop tard chez elle et voulait revoir son
organisation professionnelle avec Christophe et s'est rendu compte que le
problème ne venait pas de là et était plus personnel. A ce
moment, Christophe explique alors avoir atteint sa limite d'accompagnement.
En ce qui concerne les dérives, Christophe met en avant
une problématique récurrente que sont l'interprétation et
le jugement, il explique: « le plus grave est le jugement, ça
c'est radical, c'est pas possible. Mais il y a l'interprétation, c'est
une forme un peu plus... forcément on interprète mais est ce
qu'on privilégie son interprétation ? ». Christophe
raconte avoir déjà identifié cette situation chez lui
quand il est fatigué et qu'il veut que le coaching se termine
rapidement, il l'identifie ainsi: « je m'aperçois que dans des
entretiens j'ai trop vite la solution et que du coup il y a une espèce
de bagarre, ou de rapport de force qui s'établit avec la personne, parce
qu'elle ne se sent pas comprise et je m'aperçois qu'elle se sent pas
comprise car pour moi ça parait trop clair, et je me dis pourquoi
ça me paraît trop clair, parce que je ne suis pas disponible, je
suis trop fatigué... ». C'est alors que l'on retrouve la
notion de supervision par ses clients car quand il prend conscience de ce
rapport de force, de la réaction de son client, il dit faire tomber ses
a priori, se rendre à nouveau disponible et ajoute : « et tout
se dénoue alors rapidement et finalement on arrive à une solution
très éloignée que celle que j'avais imaginé pensant
avoir compris le problème et avoir la solution. Les personnes
s'expriment en fonction du niveau d'écoute, alors quand j'ai vraiment
écouté, ça a avancé, si on n'est pas disponible
elles disent des trucs anecdotiques, elles doivent sentir qu'on est vraiment
à l'écoute, c'est très important. ». Cela
rejoint la posture « d'accueil » dont il nous parlait. Nous avions
bien identifié l'accueil comme un outil et cet exemple nous permet de
comprendre la force de cet outil qui nous ramène d'ailleurs à la
posture d'humilité et de non-jugement. Pour revenir à la notion
de non-jugement, Christophe met également en avant la dérive qui
consiste à perdre de vue l'objectif du client et à se centrer sur
ses propres objectifs personnels, il donne comme exemple d'attitude: «
et moi ça me rappelle si... donc j'en profite pour régler mon
truc à moi... j'ai besoin de me valoriser etc » Il faut
beaucoup
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d'humilité et être très centré
sur l'enjeu de la personne qu'on a en face de soi. ». Il explique
effectivement la difficulté du coach d'être renvoyé
à ses propres problématiques qu'elles soient affectives,
politiques ou de l'ordre de la croyance. Il explique qu'à ce moment
là, le coach n'est plus lucide et n'est plus à l'écoute,
il développe: « dans ce qu'évoque la personne il peut y
avoir quelque chose qui pour nous n'est pas acceptable, donc du coup on n est
plus disponible. Ça peut être la fatigue, ça peut
être une fragilité, ça peut être une opinion
politique, une vision du monde, ça peut être n'importe quoi, ce
qui fait que je me recentre sur moi, sur mon interprétation et je suis
sur une attitude défensive, donc là le coaching n'est plus
efficace ».
Christophe signifie que ce n'est pas grave tant que l'on prend
conscience de ses dérives. Il rajoute que ce qui est destructeur, parce
que le coaché est vulnérable, est que le coach se sert de sa
propre interprétation pour gérer son propre problème
à travers la problématique de son client. Il se rappelle d'une
expérience personnelle avec un coach qui lui a dit: « vous ne
comprenez pas car vous avez des problèmes avec votre père »,
Christophe ajoute: « c'était un jugement personnel et
fermé et une grosse faute professionnelle, d'autant que je n'ai jamais
parlé de mon père lors de l'entretien ! »
De ce fait, Christophe réaffirme son point de vue quant
au fait que le coaching doit avoir un objectif clair, il dit qu'il refuse les
coachings où le directeur général lui dit qu'il a carte
blanche. Effectivement nous comprenons maintenant parfaitement que « carte
blanche » peut amener à une dérive du coaching et alors en
quoi il est important d'avoir un objectif clair pour rester lucide et ne pas
s'éparpiller dans ses propres problématiques car, comme le
précise Christophe: « qu'est-ce qui va nous permettre
d'arbitrer».
En ce qui concerne Sonia, elle a également le
même regard que Christophe sur les limites du coaching quant au fait
qu'on ne peut pas changer quelqu'un qui ne veut pas changer, elle dit: «
C'est à dire qu'un moment donné, le coach peut faire tout ce
qu'il veut, s'il a devant lui une personne qui n'a pas envie, qui n'a pas envie
de changer, de s'ouvrir à ça... le coaching a ses limites dans le
sens où ça ne fonctionne que si le coaché l'a
accepté, c'est pour ça que tout revient au final au coaché
». Elle précise qu'effectivement le coaching est un engagement
de moyens et non de résultats. Nous retrouvons cette notion chez
Christophe quand il parle d'apporter des outils pour aider la personne et nous
comprenons que seule la personne peut décider de les utiliser ou non.
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Au niveau des dérives, Sonia apporte une nouvelle
notion, celle de la manipulation. Elle dit: « il y a une espèce
de manipulation, à priori bienveillante, mais du coup qui peut se
transformer en malveillance bien entendu, c'est à dire on peut tomber
sur un coach malveillant qui fait culpabiliser la personne, qui l'embarque
sur... parce que le coaché est complètement... il se laisse
guider, il est ouvert... certains peuvent en faire malheureusement ce qu'ils en
veulent». Nous retrouvons l'idée du coaché qui est
vulnérable et l'obligation alors du coach d'avoir une posture
bienveillante et humble. Sonia parle même de perversion de la part du
coach. Elle donne du fait une autre vue de cette perversion qui peut exister
dans cet accompagnement coaching, quand l'employeur offre un accompagnement
coaching à un salarié et qu'il attend ensuite de lui qu'il soit
parfait: « je vous ai payé un coaching, vous devriez être
parfaite, si vous n'y arrivez pas, c'est que vous êtres nulle »
cite t--elle comme exemple. Sonia dit que le coaching est une force, elle
rajoute même « une belle force » pour effectivement
aider à retrouver de la motivation, se repositionner, devant la pression
du travail et les divers changements incessants car tout ceci fatigue et
affaiblit les professionnels. Mais pour elle cela n'empêche en rien le
droit à l'erreur, elle dit: « je veux dire personne n'est
parfait, on est dans la vie, dans la vie, personne n`est parfait».
Nous entendons bien que le coaching ne change pas la personne en « robot
» parfait, qu'elle reste un être humain avant tout avec comme
avantage de cet accompagnement, d'avoir pu se reconnecter à ses
ressources, son potentiel pour surmonter des difficultés
professionnelles.
Cette histoire fait écho au livre « les managers
de l'âme », l'auteure, Valérie Brunel nous parle
également de manipulation de la part de l'entreprise qui
privilégie l'accompagnement en développement personnel, dont le
coaching, pour tous ses salariés et qui ensuite ne tolère aucune
erreur se gratifiant d'offrir ces accompagnements pour le seul bien être
du personnel. Christophe nous disait que c'était destructeur pour le
coaché de vivre ces dérives là et Sonia affirme que ces
méthodes peuvent « déglinguer réellement
quelqu'un » . Elle rajoute: « s'il existe la bienveillance,
c'est parce qu'il existe la malveillance ».
Jessica, quant à elle, apporte deux faits concernant
les limites et les critiques sur la pratique du coaching. Tout d'abord, elle
exprime que le plus dur est de ne pas donner de conseils par rapport à
sa propre vision des choses. Ce qui nous ramène à la vision de
Christophe qui parlait de rester neutre et bien calé sur l'objectif de
son client. Jessica
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met ensuite en avant le côté « manager-coach
», elle nous dit que cette posture ne permet pas toujours d'utiliser la
méthode coaching pour toutes les situations. Elle donne l'exemple
d'urgences à régler pour lesquelles elle a besoin de recadrer les
choses sur la vision du groupe et les besoins des personnes âgées
et, dans ce cas, elle dit redevenir le manager à part entière.
Elle rajoute d'ailleurs que son patron, manager-coach également, utilise
aussi cette approche coaching avec elle et que parfois elle aimerait simplement
qu'il lui dise ce qu'il attend d'elle. Nous comprenons alors bien la
différence entre coach et manager-coach, que nous avons
détaillé dans les diverses définitions. Cela confirme bien
que le manager-coach reste avant tout manager, en position haute de par ses
responsabilités, et utilise les outils du coaching dans son approche
managériale. Alors que le coach, en tant qu'intervenant extérieur
dans l'entreprise par exemple, gardera constamment la position basse,
l'humilité, lors des échanges avec le coaché.
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