7) LA PAROLE AUX PROFESSIONNELS
J'ai donc réalisé 3 entretiens.
Même si j'ai choisi attentivement mes interlocuteurs, mon
panel est trop succinct pour
me permettre d'être affirmative dans mes remarques.
Je peux cependant proposer quelques pistes d'analyses et
dégager quelques tendances.
J'ai considéré successivement plusieurs points:
- Comment les personnes interviewées sont-elles
arrivées au coaching
- Quelles définitions donnent-elles du coaching
- Les limites et critiques de l'approche coaching du point de vue
des personnes
interviewées
- La part donnée à la réciprocité et
la notion de partage entre collaborateurs
- Les spécificités du coaching dans le champ du
vieillissement
Je vais les considérer successivement pour proposer une
analyse transversale de mes
entretiens.
Je chercherai, pour chacun de ces points, à établir
des liens avec les auteurs de ma
problématique.
A) Comment les personnes interviewées sont-elles
arrivées au coaching?
Je commence par l'histoire de Christophe car il a donné
beaucoup de détails lors de son interview.
Christophe a d'abord fait des études
d'ingénieur, il nous explique qu'il vient d'une lignée
d'ingénieurs car la valeur fondamentale de sa famille est la
construction. Nous retrouverons dans son itinéraire la conjugaison de
son héritage, la construction, et de son esprit novateur qui s'appuie
sur deux idées qui ne le quittent pas: la notion d'humanité et le
projet. Nous verrons comment il réussit à nourrir son projet pour
le lier à la notion d'humanité et, après plusieurs
étapes que je vais détailler ci-après, comment a-t-il
été amené à travailler pour les maisons de
retraite.
Christophe comprend intuitivement qu'il doit associer l'humain
à la construction, il dit: « Ceci dit, ce qui m'a paru
intéressant une fois arrivé dans l'école
d'ingénieurs c'est que les enjeux de la construction du monde de demain
étaient davantage de l'ordre de l'humain
64
que du technique ... je voulais garder cette dimension de
construction et, en même temps, ce qui m'intéressait avant tout
c'était la notion d'humanité ».
Il ajoute une pensée novatrice qui est d'allier la
construction et l'humain mais dans une dynamique de projet. Son idée se
précise alors, il est question de construire un projet autour de
l'humain au travail.
Le hasard fait qu'il rencontre un consultant lors d'un
déjeuner et que ce dernier lui fait découvrir le métier.
Il raconte : « il m'a invité à des interventions, des
stages deformation, j'ai trouvé ça passionnant».
Cette rencontre a incontestablement confirmé l'approche
qu'il cherchait pour mettre en place son projet. Christophe décide alors
de créer sa propre société en tant que consultant. Il
franchit sa première étape.
Pour débuter, il propose ses services en
commençant par de la formation continue auprès de grandes
entreprises. Sa première idée était de former les
personnes pour les aider à se construire en compétence et en
affirmation de soi. Au fil de cette expérience, il prend conscience de
l'importance de certains éléments liés aux grandes
entreprises et se rend compte qu'il ne peut y atteindre son but, il dit: «
A la suite de ça, je me suis rendu compte que le
développement de la personne dans un contexte professionnel était
très lié au management, et à la culture interne, la
communication interne, le fonctionnement interne, donc sur les grandes
entreprises c'était difficile d'intervenir à ce niveau là
».
Cette expérience a apporté une nouvelle
dimension à son projet, celle d'identifier le mode managérial et
de le faire progresser en intégrant l'étendue de l'être
humain au travail. Il construit alors une école de management avec des
chefs d'entreprise. Très vite, il n'y trouve pas son compte, cela
diffère de son projet initial, il dit: « j'ai travaillé
à la création d'une école de management avec des chefs
d'entreprises, mais qui ne m'a pas satisfait parce qu'en fait, très
vite, on est sorti de la problématique de management au profit d'une
préoccupation de développement personnel des chefs d'entreprise,
ce n'est pas ça qui m'intéressait. Ce qui m'intéressait
était d'avoir des managers qui intègrent pleinement la dimension
humaine ».
Obstiné, Christophe ne quitte pas la voie qu'il s'est
tracée, il s'intéresse alors à des petites entreprises,
plus accessibles à la transformation interne. Cette expérience
lui fait découvrir deux enjeux nouveaux à intégrer dans
son projet: le sens et la finalité. Il explique: « je me suis
rendu compte que la structuration des entreprises se faisait
65
beaucoup autour du sens, donc quand on travaille sur la
cohésion on se pose la question de la finalité ».
L'itinéraire de Christophe se précise de plus en
plus, de nouvelles clés apparaissent: la construction, la notion
d'humanité, le projet, l'être humain au travail, le management, le
sens et la finalité.
Il quitte finalement les petites entreprises car
l'organisation de ces entreprises se fait davantage dans des logiques de
marché technique.
A ce stade, nous pouvons nous rendre compte qu'à chaque
étape Christophe précise son projet et démarre alors une
autre quête auprès d'une cible différente.
Avec ces nouveaux éléments il décide donc
de s'intéresser à la fonction publique car le management ne peut
s'y faire qu'autour du sens, il précise pourquoi: « le
management de la contrainte n'est pas possible, parce que le salarié,
l'agent est tellement protégé que finalement, la seule
façon de fédérer et de gérer, c'est de ramener au
sens et d'aller chercher la motivation ».
Il rajoute alors un nouveau mot à intégrer
à son projet: la motivation.
A ce moment là il s'intéresse aux maisons de
retraite lors de la réforme de la tarification. Cette nouvelle
réforme va effectivement faire résonnance à ses valeurs,
il explique: « on est passé du soin au projet, du social
à la construction, donc on était dans une profession... On
était généreux avec des personnes en souffrance,
vulnérables et compagnie. On essaie de faire en sorte que ce soit moins
difficile pour elles. On essaie de créer une cohésion, une
dynamique de projet, mais c'est quoi un projet pour une personne
âgée en maison de retraite ? ». Nous retrouvons donc
dans ses propos la construction et le projet mais nous retrouvons aussi et
surtout la notion d'humanité qu'il recherchait, il répond
à sa question: « Et donc c'est arrivé à la
question de la fin de vie, donc vivre jusqu'au bout. Et à partir de
cette notion ou on n'est pas là pour sauver des gens qui se noient, mais
davantage là pour accompagner des personnes jusqu'au bout, donc et dans
cette logique là, le fait de découvrir l'humanité dans ce
qu'elle a de plus vulnérable, et en même temps de plus
épanouie, parce qu'une personne âgée en fin de vie, il n'y
a pas plus libre, elle n' a plus aucun enjeu que son humanité, donc
finalement c'est une très belle approche et une très belle
découverte de l'humanité à mon sens ».
Christophe fait alors la découverte et
l'expérience de sa quête humanitaire personnelle dont il avait
l'intuition.
66
Il revient d'ailleurs sur cette notion d'humanité en
divisant bien l'accompagnement du personnel d'une entreprise commerciale et
d'une maison de retraite. Il ajoute que dans une entreprise commerciale on est
dans une logique de jeu alors que dans une maison de retraite, on est dans une
logique de sens, il précise: « Dans la logique du jeu on gagne
à réussir, on décroche un marché, on gagne de
l'argent, on réussit une belle opération, tout ça c'est
très amusant, mais c'est pas forcément relié à la
finalité...le problème est que le jeu est un éternel
recommencement et n'entre pas dans une dynamique de construction ».
Nous retrouvons donc la finalité et la construction, deux valeurs
qui comptent pour lui. Par ailleurs, il rajoute que l'accompagnement du
personnel en maison de retraite est plus abouti car il se fait autour de la
notion du sens. Et pour accentuer la dimension humaine qu'il retrouve en maison
de retraite, il ajoute: « C'est à dire, ce qui
différencie à mon sens le jeu du projet c'est que un moment
donné la question se pose pour l'être humain de se dire « je
suis sur cette planète pour une centaine d'années au maximum
» pour faire simple (rire), « et finalement quelle va être ma
contribution ? A ce moment là, je m'inscris dans l'histoire de
l'humanité, je prends, je fais un bout de chemin avec l'humanité
et quel va être mon apport». Et donc moi ça rejoint mon
aspiration à la construction. Ceux qui sont dans le jeu, au bout d'un
moment, se posent cette question là parce que l'âge avance et
après on se dit a partjouer à quoi je sers ? »
Christophe trouve ce qu'il cherche depuis le départ. Il
savait ce qu'il voulait faire sans savoir comment le faire. Ses
différentes étapes ont nourri sa quête et son métier
d'ingénieur lui a permis de construire pas à pas son parcours.
Sonia a eu un itinéraire différent. Son approche
du coaching est venue plus tard dans son expérience professionnelle.
Elle a commencé par faire des études en Sciences de l'Education,
elle dit que ces études ont été sa première
approche pour mieux comprendre par la suite les membres du personnel à
manager. Son parcours professionnel l'a ensuite conduite au sein d'une
préfecture au niveau de la politique des publics
défavorisés. On peut alors déjà se rendre compte
qu'elle se tourne naturellement vers l'être humain et l'éducation.
Son travail auprès des publics défavorisés l'a
amené à se mobiliser sur le sujet de la précarité
qui touchait les personnes âgées. Ce cheminement l'a alors
conduite à s'intéresser aux différents moyens de prise en
charge des personnes âgées. C'est ainsi qu'elle a pris la
décision de devenir Directrice d'un établissement pour personnes
âgées dépendantes.
67
Dans ce résumé, on devine bien l'attirance vers
l'être humain quand elle parle de « comprendre le personnel »
et qu'elle s'intéresse aux publics défavorisés. Ses
études en sciences de l'éducation qui l'ont amené à
s'interroger sur l'être humain sont déjà un signe
d'intérêt naturel pour les sciences humaines et comment
l'éducation et le management peuvent y apporter des réponses.
Sonia explique qu'elle a commencé à
s'intéresser à l'outil coaching en tant que Directrice de maison
de retraite quand elle a été elle--même coachée,
elle raconte: « Et bien j'y ai été sensibilisé
parce que j'ai eu la chance en fait d'avoir un accompagnement moi-même,
pour ma prise de poste, de type coaching et j'ai pu vivre de l'intérieur
effectivement ce que ça apportait comme aide à la prise de recul,
face à la responsabilité, face à des choses à
mettre en place, face au management... je me suis sentie quelque part
recadrée mais avec bienveillance, recadrée dans ma pratique
professionnelle, mais avec beaucoup de bienveillance, comme une... commentje
pourrais dire ça... comme une éducation en fait». Son
approche est effectivement plus de l'ordre de l'expérience interne. On y
retrouve le mot « éducation ». Lors de son coaching elle a
vécu de l'intérieur cette éducation qui lui parlait
intuitivement et qu'elle a essayé de trouver dans ses études.
Elle a pu alors mettre des mots sur ce qu'elle recherchait: aide à la
prise de recul, responsabilité, management, être recadrée,
bienveillance. Son vocabulaire est différent de celui de Christophe.
Elle emploi des termes tels que: « je me suis rendue compte... »,
« j'ai remarqué... ». D'ailleurs elle dit: «
Voilà en fait, j'ai appris de l'intérieur cette pratique
là, comment être reconnu et responsabilisé dans son
rôle sans être écrasée, en fait».
Sonia explique le mot « écrasée »
qu'elle ressent: elle dit que le travail en maison de retraite est très
fragilisant émotionnellement et qu'avec cette pratique elle a compris
comment gérer ses responsabilités, ses émotions, tout en
restant professionnelle, très humaine et sans se sentir
écrasée par les responsabilités ou ses propres
émotions.
Lors de son expérience en tant que coachée,
Sonia s'est également rendu compte que le travail effectué sur le
sens avait été très salvateur et très aidant, elle
l'explique ainsi: « On m'a expliqué mes responsabilités
dans ce rôle là, mais qui n'était plus écrasantes
telles que je les vivais avant. Mais des responsabilités que
j'étais capable d'assumer parce qu'il y avait un cadre, parce qu'il y
avait un sens, parce qu'il y avait un objectif qui était en l'occurrence
le bien être des résidents. » . On retrouve le mot
« sens » employé également par Christophe et le mot
« objectif», qui rejoint celui de « finalité » que
Christophe mettait également en avant. Sonia parle plusieurs fois de
responsabilité, ce qui nous fait
68
ressentir l'ampleur qu'elle vit personnellement concernant
cette fonction et la réponse qu'elle en a trouvée au travers du
coaching qu'elle a vécu.
Sonia a donc décidé de mettre en pratique ce
qu'elle a vécu de l'intérieur pour aider le personnel.
Christophe de son côté avait déjà
des convictions personnelles, il cherchait à les préciser et les
mettre en place. Sonia a d'abord dû les vivre personnellement pour en
avoir la conviction et ensuite les mettre en pratique au sein de
l'établissement qu'elle dirige.
Elle utilise alors cet outil comme une transmission de
l'éducation qu'elle a reçue, l'éducation qui fait grandir
et rend professionnel et autonome. Elle l'exprime ainsi: « dans le
management... c'est un outil qui prenait en compte les salariés, c'est
un outil bienveillant, c'est un outil qui appuie beaucoup sur l'autonomie et la
responsabilité. J'ai remarqué que les salariés, à
partir du moment où on les regardait, on leur parlait comme des
personnes sensées, des personnes capables de réfléchir,
des personnes capables d'autonomie, des personnes... capables d'être
responsables de leurs actes, qui sont capables d'avoir de bonnes idées,
qu'on les respecte... je me suis rendu compte qu'ils devenaient matures,
professionnels ».
En ce qui concerne Jessica, elle a toujours su qu'elle voulait
être coach, dans le sens du guide, c'est sa personnalité. Elle a
commencé par faire des études de Droit avant de se lancer dans
des études sur la gestion des établissements hospitaliers et de
santé. Ses choix professionnels ont très vite pris cette
orientation puisqu'elle a occupé la direction d'une Maison d'accueil
spécialisée. Elle a donc pu guider toute une équipe dans
la gestion de l'établissement. Elle a ensuite eu la direction du
pôle handicap de l'association. Puis elle a quitté cette
association pour prendre la direction d'un pôle pédiatrique dans
un institut. Aujourd'hui elle dirige le pôle médico social d'une
fondation à Paris. Toutes ces expériences l'ont confortée
et renforcée dans son rôle de guide, celle qui montre la
direction.
Sa vision de guide exclut toutes directives
dénuées de sens. Elle dit avoir toujours su intuitivement qu'en
s'intéressant à l'être humain avant tout, l'entreprise
avançait mieux. Elle met alors un point d'honneur à comprendre et
guider chaque être humain au travail, pour les impliquer plus sur la
mission, recueillir tout leur potentiel et obtenir les résultats voulus.
Ce sont les raisons qui lui donné envie de devenir coach
professionnel.
69
Une recherche commune se dessine avec, pour chacun, un terme
différent: Jessica parle de résultat, Sonia parle d'objectif et
Christophe parle de finalité. Nous retrouvons également la notion
de sens donné à l'action, abordée dans ma
problématique.
|